Travailler avec des robots peut-il favoriser non seulement la capacité à programmer, mais aussi des compétences plus générales, par exemple créatives et narratives ? Professeure-documentaliste à Ornans, Amélie Fleury a mené une expérimentation en ce sens, en collaboration avec les professeur.e.s de français et d’arts plastiques de son collège. Des 6èmes se sont inspiré.e.s d’œuvres littéraires pour inventer des récits d’aventures : il s’agit de partir à la découverte d’îles imaginaires, qui sont cartographiées ; ces cartes servent alors de support à la rêverie, à une histoire, à un parcours programmé du robot Thymio. Bilan de ces narrations interdisciplinaires : « La programmation permet de découvrir l’envers du décor des mouvements et objets qui nous entourent. Elle permet du même coup de les questionner et d’avoir envie d’en devenir acteur. »
Dans quel contexte le projet a-t-il été mené ?
Ce projet a été mené dans le cadre d’un accompagnement éducatif proposé aux élèves de 6ème, sur la base du volontariat, à raison de 10 séquences de 1 H 15 entre les vacances de Pâques et fin juin le lundi de 15h45 à 17h. Il a mobilisé 23 élèves et 3 enseignant.e.s : la professeure documentaliste (porteuse du projet), le professeur d’arts plastiques et une professeure de français. Il s’est inscrit dans le cadre d’un partenariat avec Canopé Besançon pour le prêt des robots Thymio et l’accompagnement pédagogique.
Le projet amène les élèves à explorer des œuvres littéraires et picturales : sur quelles œuvres avez-vous plus particulièrement travaillé ? de quelle façon ?
Après une phase de découverte de la robotique et du fonctionnement de la programmation des robots, il s’est agi de s’inspirer d’œuvres pour inventer un récit d’aventures : « A la façon d’Ulysse ou du Petit Prince, le robot Thymio part à la découverte d’îles et découvre sur chacune d’elle un climat, une végétation, un peuple, … »
Ces deux œuvres avaient été abordées en classe et nous nous sommes plus particulièrement attachés à découvrir « Les Atlas d’Orbaé » de François Place. Ces ouvrages ont la particularité de proposer des cartes d’îles et de continents imaginaires au travers de contes à la façon de récit de voyage qui dessine un monde fantastique.
Dans ces albums, le rapport entre le texte et l’image est étroit. Plus qu’une illustration, les dessins de François Place opèrent un jeu d’accompagnement, d’insertion et d’inclusion : le texte suggère l’image et le dessin augmente le récit. C’est cette particularité de liens entre texte-image que nous voulions recréer entre déplacement du robot sur la carte imaginée à cet effet et récit inventé par les élèves.
Les élèves sont amenés à réaliser des cartes qui vont servir de support au récit d’aventures : quels ont été les modalités et intérêts spécifiques de ce travail créatif ?
Les « lettres cartes » ouvrant chacun des récits des Atlas d’Orbaé nous ont permis de définir ce qui allait être le terrain de déplacement du robot : une carte, déjà narrative, pour permettre un regard surplombant sur le pays. « Pour l’enfant, amoureux de cartes et d’estampes, / L’univers est égal à son vaste appétit. » (Le voyage, « Les Fleurs du mal ») : cette citation de Baudelaire permet d’illustrer l’engouement des élèves à travailler la partie plastique du projet. Les contraintes imposées par le trajet que le robot devait réaliser sur leur île donnait du sens au travail d’ensemble de la carte et au soin des détails. Différentes techniques plastiques ont été utilisées (peinture, tampons, collages, aplat, …).
Des robots Thymio sont programmés par les élèves pour se déplacer sur ces cartes : comment techniquement cette étape a-t-elle été menée ? avez-vous rencontré des difficultés particulières ?
La phase de découverte des robots et des possibilités de programmation a été une étape indispensable et préalable à l’écriture du récit d’aventures. Chaque groupe devait inventer la rencontre du robot avec un peuple sur une île particulière.
Au delà de la fonction déplacement, le robot dispose de plusieurs fonctionnalités programmables telles que : suivre une ligne, suivre un son, tracer, faire de la musique, clignoter dans différentes couleurs, … Les élèves ont donc pu intégrer ces fonctions dans leur récit. Elles ont stimulé leur créativité, notamment pour l’étape où le robot-héros vient en aide aux habitants des îles qu’il visite.
Nous avons utilisé le site Blockly4Thymio pour programmer les actions et déplacements. Il s’agit de programmation par blocs (comme Scratch par exemple). La prise en main par les élèves a été très rapide.
Une des vidéos mise en ligne sur le blog du CDI illustre très bien les allers-retours de l’histoire à la carte et de la carte à l’ordinateur pour programmer les robots. L’histoire écrit la carte qui définit à son tour les déplacements du robot.
Du point de vue des élèves, quel bilan tirez-vous de l’expérience ?
Ce projet a permis à des élèves de découvrir la robotique et la programmation grâce à la manipulation d’un robot. Ils n’avaient encore jamais été mis en situation de développer des compétences de programmation informatique et de production numérique. Ils ont placé de façon répétée en situation de faire des essais, des constats, d’en déduire des conclusions, de donner leur point de vue, de proposer des solutions, d’argumenter et d’écouter les idées des autres. C’était une expérience très riche qui les a amenés à réfléchir et à résoudre des problèmes de narration de programmation et de réalisation plastique. Au delà de ce groupe constitué, de nombreux élèves sont venus regarder et tester les robots au CDI.
De manière générale, au vu de l’expérience menée, en quoi vous semble-t-il intéressant de relier ainsi activités robotiques et activités artistiques ?
Lorsqu’il s’est agit d’écrire un projet avec les robots et l’animatrice Canopé, j’avais à cœur de sortir du champ des mathématiques ou de la technologie pour venir rencontrer d’autres matières. Ce robot est un médiateur en quelque sorte, son langage permet d’accéder de façon plus ludique ou plus concrète à d’autres langages.
De nombreux artistes contemporains s’emparent de la robotique dans leurs créations ou processus créatif. La programmation permet de découvrir l’envers du décor des mouvements et objets qui nous entourent. Elle permet du même coup de les questionner et d’avoir envie d’en devenir acteur. Elle stimule la créativité cela ne fait aucun doute !
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut