« Autoriser le redoublement ce n’est pas un virage absolu mais c’est une inflexion importante ». Jean-Michel Blanquer met en valeur dans Le Parisien du 8 juin le rétablissement du redoublement. Une semaine après l’annonce, le 30 mai, de ce retour au redoublement, le ministre évoque précisément l’école et annonce des stages de soutien cet été.
Le redoublement en Une du Parisien
« Il n’est pas normal d’interdire le redoublement. Il y a quelque chose d’absurde à laisser passer de classe en classe des élèves accumulant les retards. La première réponse réside dans l’accompagnement tout au long de l’année et dans les stages de soutien que nous créons. Mais le redoublement doit rester possible quand c’est dans l’intérêt de l’enfant ».
Dans Le Parisien, Jean-Michel Blanquer revient sur le rétablissement du redoublement qu’il avait déjà annoncé le 30 mai. Et il le fait à propos du primaire puisqu’il évoque dans l’entretien le Cm2.
Il annonce dès le mois d’août l’organisation de stages de remise à niveau pour les élèves de Cm2 entrant en 6ème. « Dès cette année nous allons donner aux élèves de CM2 la possibilité de bénéficier de soutien gratuit avant l’entrée en 6ème. Ces stages d’une semaine seront proposés fin août en éducation prioritaire. Aussi souvent que possible ils se dérouleront dans les collèges ». Quelque chose qui ressemble beaucoup au dispositif « L’école ouverte » qui existe depuis 1991…
Des propos qui choquent
Mais ces nouveaux propos sur le redoublement , qui font la Une du Parisien, choquent. « Je ne sais pas où est le curseur entre le positionnement politique en période électorale et la volonté que le redoublement soit plus utilisé. Mais je suis choqué », nous a dit Stéphane Crochet, secrétaire général du Se Unsa. « On connait toutes les études qui disent que le redoublement sauf en de rares cas, est inutile et nocif et d’autant plus quand les élèves sont jeunes. On ne peut pas utiliser n’importe quelle formule auprès des familles. On laisse penser que l’école est laxiste et regarderait passer les élèves sans se préoccuper de leurs faiblesses. On ne peut pas dire comme cela qu’on aurait le remède mais qu’on ne l’utiliserait pas par idéologie ».
Le Snalc est venu immédiatement soutenir le ministre. « Le SNALC et le SNE partagent le point de vue du ministre sur ce sujet : le redoublement n’est ni une panacée, ni le diable. Cela doit être étudié au cas par cas, et faire partie d’une boîte à outils plus large. Le SNALC et le SNE affirment que si redoublement il doit y avoir, il est plus profitable quand il se passe tôt dans la scolarité de l’élève. Il doit pouvoir être prononcé par l’équipe pédagogique, et non décidé uniquement par la famille. Il faut faire comprendre aux élèves qu’on ne passe pas dans la classe supérieure sans travailler ».
Le redoublement est-il efficace ?
De nombreuses études ont travaillé sur cette question. De nombreuses études, à commencer par celles de T. Troncin ou D. Meuret, ont souligné l’inefficacité pédagogique du redoublement. Pour D. Meuret, « en règle générale, à l’école et au collège, le redoublement s’avère peu équitable et inefficace du point de vue des progrès individuels des élèves. Il affecte négativement la motivation, le sentiment de performance et les comportements d’apprentissage de ceux-ci et les stigmatise : à niveau égal en fin de troisième, les élèves « en retard » obtiennent de moins bonnes notes que les élèves « à l’heure », sont moins ambitieux que ceux-ci et sont plus souvent orientés en filière professionnelle. En outre, les comparaisons internationales montrent que le redoublement est inefficace du point de vue des résultats d’ensemble des systèmes éducatifs ».
En 2015, le Cnesco apporte une évaluation plus fine. « Dans la majorité des études », écrit le Cnesco, « le redoublement n’a pas d’effet sur les performances scolaires à long terme. Quelques études obtiennent des effets positifs à court terme dans des contextes très particuliers (notamment lorsque le redoublement est accompagné d’autres dispositifs de remédiation comme des écoles d’été). Le redoublement a par contre toujours un effet négatif sur les trajectoires scolaires et demeure le meilleur déterminant du décrochage. Il semble également impacter négativement le revenu futur du jeune adulte en agissant comme un signal de faible performance du salarié pour les entreprises ».
Pour autant on aurait tort de croire le redoublement inutile. Il peut entrer dans les stratégies scolaires familiales. Par exemple, redoubler une troisième peut être proposé pour éviter une orientation dans la voie professionnelle. En seconde on l’utilisera pour empêcher une orientation dans la voie technologique ou une filière générale non souhaitée. Pour les enseignants, la menace du redoublement est aussi une arme pour faire régner l’ordre scolaire. C’est la force des ces croyances et des ces situations qui ont permis aussi longtemps le maintien d’une pratique aussi coûteuse.
Mais une pratique plébiscitée
Mais la croyance dans l’efficacité du redoublement est bien installée dans la société française aussi bien chez les enseignants que les parents et même les élèves.
En 2015, le Cnesco a pris l’initiative d’interroger 3302 collégiens et 2314 lycéens venus de 59 établissements sur leur rapport au redoublement. Selon cette étude, 69% des lycéens et collégiens se déclarent défavorables à la suppression du redoublement. Mais 80% voient dans le redoublement une seconde chance. 73% le jugent utile. Les redoublants gardent le souvenir positif d’une année d’efforts. » 67 % des redoublants déclarent s’être plus investis dans leur travail l’année de leur redoublement ; 71 % des lycéens et collégiens sont tout à fait ou plutôt d’accord avec l’affirmation : « J’ai eu de meilleurs résultats l’année redoublée » », affirme l’étude.
Du coté des enseignants, Hugues Draelants a étudié de près, en 2012, le rapport qu’entretiennent les enseignants belges au redoublement. Pour lui, s’il se maintient contre vents et marées, c’est tout simplement parce qu’il a son utilité. » Le redoublement fait l’objet d’un attachement social important et est une pratique difficile à abolir », écrit-il. « D’une part, car nombre d’acteurs scolaires continuent à croire dans son efficacité.. D’autre part, peut-être plus fondamentalement, car le redoublement servait et sert toujours en Communauté française belge (là où il n’est pas interdit) à assumer une série de fonctions latentes ». Il en distingue quatre : « une fonction de gestion de l’hétérogénéité et de tri des élèves au sein des établissements ; une fonction de positionnement stratégique et symbolique par rapport à des établissements environnants ; une fonction de régulation de l’ordre scolaire au sein de la classe ; une fonction de maintien de l’autonomie professionnelle des enseignants ». Ainsi le redoublement participerait du fonctionnement ordinaire du système , du positionnement symbolique des établissements et de l’ordre scolaire quotidien. « En l’absence du redoublement, les enseignants se plaignent du défaut de motivation induit auprès des élèves, il devient (encore plus) difficile de les faire travailler », écrit-il.
H Draelants soulève une dernière raison qui explique l’attachement des enseignants au redoublement. « L’interdiction du redoublement au sein du premier cycle participe de fait avec d’autres mesures – instauration d’un droit de recours face aux décisions du conseil de classe ; complication de la procédure d’exclusion ; règles très précises aux refus d’inscription – à priver les établissements et les enseignants de leurs instruments de régulation ordinaire… Ainsi, l’attachement manifesté par les enseignants vis-à-vis du redoublement peut aussi se comprendre comme l’expression d’un groupe professionnel qui revendique le maintien de son autonomie et une certaine vision de ce que l’Ecole doit être ».
Le dernier paradoxe est à chercher du coté des parents. Selon un sondage réalisé pour l’Apel en décembre 2012, seulement une minorité de parents (41%) le jugent mauvais ou estiment qu’il n’aide pas (43%). Il est vrai que, comme pour les enseignants, le redoublement entre aussi dans les stratégies familiales. C’est particulièrement clair en 3èe et en seconde où de nombreux parents préfèrent le redoublement à une orientation non souhaitée (en L.P. par exemple).
Comment faire pour s’en passer ?
Dans de nombreux pays le redoublement a disparu et les établissements ont développé des alternatives. Selon le Cnesco, « la quasi-totalité des pays européens offre aux élèves la possibilité de passer des épreuves supplémentaires (écrites et/ou orales selon le pays) en fin d’année scolaire pour rattraper les cours pour lesquels les notes ont été jugées trop faibles par l’équipe enseignante. Ce type d’organisation limite l’incidence d’un « accident de parcours » et corrige le caractère aléatoire de certaines évaluations. » D’autres pays , comme l’Allemagne ou l’Espagne, pratiquent la promotion conditionnelle. L’élève passe en classe supérieure mais doit suivre un programme de rattrapage dans la matière où ses résultats sont insuffisants. En Italie, on a créé des écoles d’été pour les élèves ayant de mauvais résultats.
Dans les bonnes pratiques qui permettent d’éviter l’échec et le redoublement , le Cnesco n’hésite pas à citer les classes à effectifs réduits. « Les classes à effectifs réduits peuvent permettre aux enseignants de modifier leur pédagogie en consacrant davantage de temps, d’attention à chaque élève », écrit le Cnesco. « La probabilité d’avoir des élèves perturbateurs dans une classe est également plus faible lorsque le nombre d’élèves est réduit ».
Le Cnesco cible aussi d’autres outils pour faire baiser le redoublement. Par exemple le looping : garder le même enseignant plusieurs années facilite l’intégration de tous les élèves et améliore la gestion de la différence dans la classe. L’organisation des programmes en cycles, et non sur une base annuelle, fait également reculer le redoublement.
Pourquoi relancer cette question ?
On peut alors s’interroger sur les raisons qui poussent Jean-Michel Blanquer à relancer la question du redoublement. D’autant que le redoublement a un coût puisqu’il faut scolariser davantage d’élèves. On avait évalué les économies liées au décret de 2014 à environ 200 millions trois ans après le décret. Qu’est ce qui peut pousser JM Blanquer à gâcher une telle somme ?
Le ministre peut-il croire réellement ce qu’il dit ? Peut-il ignorer la masse d’études qui démontrent depuis tant d’années l’inutilité du redoublement et particulièrement au primaire ? Si ce n’est pas le cas, comment expliquer autrement que par la volonté de flatter les préjugés et les croyances populaires ces propos sur le redoublement ? Les propos tenus par le ministre ont-ils une influence sur le système éducatif ? La rue de Grenelle va -t-elle être gouvernée à coup de mesures populistes comme elle l’a été sous Gilles de Robien, époque où JM Blanquer était directeur adjoint du cabinet du ministre ?
François Jarraud
Comment est né le redoublement ?
A qui profite le redoublement ?