Comment se débrouille un jeune couple ayant adopté un enfant d’origine africaine ? A fortiori lorsque la vie familiale, déjà compliquée, croise le destin d’un migrant ? Pour son premier film, le réalisateur (et auteur du script) Maxime Motte choisit la comédie loufoque et aborde des sujets graves, parfois dramatiques, voire tragiques, en empruntant des chemins buissonniers, pleins de fantaisie. Il décide en effet de nous raconter l’histoire fabuleuse d’un petit garçon noir persuadé d’avoir trouvé en la personne d’un immigré clandestin son véritable ‘père biologique’. Une conviction enfantine qui remet en cause les liens familiaux, bouleverse le cadre de l’adoption et la parenté dans son ensemble, interroge in fine le rapport à l’autre. Sous ses dehors légers, ses bouffées poétiques et ses rebondissements rocambolesques, « Comment j’ai rencontré mon père » plaide avec modestie en faveur de l’accueil fraternel et de l’humanité partagée.
Pères et fils
Enguerrand (Owen Kanga), petit garçon africain adopté, a tout pour être heureux. Il vit en Normandie dans une belle maison tout près de la mer choyé par ses parents de cœur, sa mère Ava (Isabelle Carré), magistrate très occupée, et son père Eliott (François-Xavier Demaison), libraire à ses heures perdues et papa attentionné à plein temps, respectueux des origines africaines de son fils. Ce dernier n’a de cesse de savoir où se trouve son vrai papa, s’il le reverra. Ava a beau lui expliqué qu’il est monté au ciel d’où il le voit, Enguerrand espère toujours. Une nuit, en cachette, il quitte sa chambre pour se réfugier dans sa cabane faite de branches d’arbres, située dans les dunes en bordure de la vaste plage de sable fin. Au loin, il distingue une petite lumière, puis une frêle embarcation au raz de l’eau. Il en sort un Africain qui parle une langue inconnue mais, comme il a la même couleur de peau, Enguerrand l’adopte immédiatement comme son père véritable. Et il décide de lui offrir l’hospitalité. Au matin, le père soulève les couvertures du lit de son fils et y découvre (présentations faites sans langue commune) Kwabéna (Diouc Koma).
Très vite, Eliott décide d’héberger le clandestin venu de loin, sans en parler à sa femme, avec la complicité d’un fils qui réitère sa conviction d’avoir rencontré son géniteur. Eliott se croit tenu d’apprendre à Kwabéna ‘Je ne suis pas ton père biologique’, une phrase prononcée en français et répétée sans succès aux oreilles du petit garçon. La présence de Kwabéna est vite découverte par Ava à la faveur d’une visite des gendarmes venus alerter les résidents de l’existence d’un réseau de passeurs pour clandestins et de la découverte d’une barque abandonnée sur la plage. Tout se complique. La mère (et juge de métier) désapprouve mais finit par accepter cette présence hors la loi. Le père et son fils déploient des trésors pour aider Kwabéna. Ce dernier souhaite gagner de l’argent et rejoindre sa famille en Angleterre.
Papy fait de la résistance
Ainsi se retrouve-t-il fort opportunément embauché comme homme de ménage occasionnel par André (Albert Delpy), père excentrique d’Eliott. Ce dernier vient d’être admis dans une maison pour riches retraités dans laquelle toutes les prestations complémentaires sont payantes. Il s’y entend pour trouver à son protégé d’autres petits travaux rémunérés au sein de la résidence. A la faveur de ce rapprochement accidentel avec un vieux père à la fois profiteur et jouisseur, immature et affectueux, et au fil de la relation amicale avec l’immigré qui rêve de repartir, tous les repères d’Eliott sont chamboulés. De parties de foot à la maison de retraite en parcours acrobatiques dans les arbres, Enguerrand sèche les cours car son père ne l’emmène plus à l’école. La maman découvre le pot aux roses et veut le divorce, conduisant son mari à demander asile à son propre père dans la maison de retraite.
Parallèlement, les tentatives se poursuivent dans le but de permettre au clandestin de passer en Angleterre. Des facéties du papy irrévérencieux aux gamineries d’un père réfractaire au travail, hasards et coups de force font dévier l’engrenage de sa course funeste. Ne comptez pas sur nous pour vous dévoiler par quel tour de passe-passe la mort brutale du grand-père (au lit dans les bras d’une retraitée enamourée) va permettre in extremis à notre clandestin en quête d’une ouveau pays de rester en vie et de fouler le sol britannique. Sachez seulement que, dans « Comment j’ai rencontré mon père », on peut danser devant une tombe et entamer en chœur un chant chaloupé sans offenser les morts, comme on peut rendre hommage à un vieil homme, ‘chaud lapin’ et amoureux de la vie, récemment décédé en jetant ses cendres dans la mer du haut d’une falaise de Normandie.
Entre fantaisie loufoque et fable humaniste
Dotée d’un scenario abracadabrantesque aux ressorts inattendus, la puissance comique fonctionne sur l’emballement de situations cocasses, poétiques, voire dramatiques. Le réalisateur ne délaisse cependant pas la réalité et les aventures fantaisistes des protagonistes mettent au jour les nouvelles formes de parentalité dans nos sociétés occidentales. En focalisant le récit sur une famille réduite (les parents et leur enfant d’origine africaine) dans sa confrontation aux conséquences humaines de l’immigration issue d’Afrique, Maxime Motte nous donne à voir la traversée des épreuves, la rencontre avec des étrangers (à la sphère familiale, au milieu, au pays) comme rites d’initiation à l’épanouissement, comme voies d’accès à des richesses inestimables. Bref, en faisant voler en éclats les préjugés en tous genres, en prônant l’empathie et la solidarité envers les migrants et autres étrangers, « Comment j’ai rencontré mon père » nous offre une fable joyeusement humaniste. Il serait fou d’en refuser les bienfaits.
Samra Bonvoisin
« Comment j’ai rencontré mon père », un film de Maxime Motte-sortie le 7 juin 2017