C’était prévisible. C’est maintenant confirmé. Le dispositif « Devoirs faits », imaginés par JM Blanquer au collège pour la rentrée 2017, sera confié en grande partie à « des milliers » de jeunes du service civique. Une initiative peu couteuse mais sur laquelle les études jettent l’ombre de l’inefficacité.
Un dispositif confié largement aux jeunes du service civique
« Il est important que chaque enfant puisse travailler individuellement, au calme, pour faire des exercices, répéter ses leçons ou exercer sa mémoire.. Il est évident qu’il y a des disparités entre les élèves suivant la situation familiale. Il doit y avoir des devoirs et ils doivent pouvoir être fait au sein de l’établissement grâce à un temps d’étude accompagné. Cela s’appellera « devoirs faits ». Le 25 mars, dans Le Point, le nouveau ministre de l’éducation nationale annonce un nouveau dispositif d’aide aux devoirs mis en place à la rentrée.
Une idée que Xavier Darcos avait déjà eu en 2007. Mis en place à la rentrée 2008 dans les collèges prioritaires, cette aide aux devoirs, qui devait gagner tous les collèges, avait été peu à peu supprimée par le directeur de la Dgesco à partir de 2010, un certain JM Blanquer…
« On va faire le maximum pour que ce soit dans le maximum de collèges à la rentrée », a précisé JM Blanquer le 6 juin sur Europe 1. « Ca va changer le quotidien des familles ».
Interrogé sur l’encadrement du dispositif, il précise. « La notion d’étude dirigée, si l’on reprend ce terme ancien, va nous conduire à mobiliser des professeurs pour des heures supplémentaires, mais aussi un éventail d’intervenants. Avec les professeurs et les assistants d’éducation, je vais lancer une grande mobilisation du service civique pour avoir plusieurs milliers de volontaires jeunes , en train de finir leurs études, à qui nous proposerons ces missions ».
Entre les professeurs en heures supplémentaires et les « milliers » de jeunes du service civique annoncés, gageons que le plateau de la balance penche du coté de ces derniers dont le coût est infiniment plus faible. Le ministre pourra aussi vanter la solidarité et le brassage social généré par ces jeunes des familles aisées qui encadrent les collégiens des milieux populaires. Ce type d’opération est utilisé depuis des années par les grandes écoles pour jeter un écran de fumée devant l’inégalité profonde du système éducatif.
Les études contre ce type d’aide
JM Blanquer aurait-il oublié ses chères études ? S’il y a une chose qui est établi c’est la difficulté à mettre en place une aide efficace des élèves en dehors de la classe. Et c’est pire quand l’aide est confiée à des non enseignants comme les assistants d’éducation ou, comme le prévoit le ministre, des jeunes encore plus éloignés de la clase comme des jeunes du service civique.
Un précédent devrait faire réfléchir le ministre : celui des Teaching Assistants anglais. Déployés par milliers dans les écoles anglaises par les travaillistes, ces assistants d’éducation sont là pour aider les élèves en difficulté , souvent des jeunes défavorisés. En 2008 une évaluation du dispositif est lancée. Ses premiers résultats sont tels que l’étude est prolongée d’un an.
Ils tombent finalement en septembre 2009. Et ils sont clairs. Plus un jeune est « aidé » par un Teaching Assistant moins il progresse. Ce qui est en cause c’est l’aide en dehors de la classe par des personnels non enseignants. Dans le cas des Teaching Assistants, qui intervenaient aussi sur le temps scolaire, en voulant aider les défavorisés le gouvernement britannique avait finalement accru les inégalités scolaires.
Comment bien accompagner les apprentissages de la classe ?
C’est aussi la question de l’utilité des devoirs que le ministre écarte un peu vite. En 2010, P Rayou publie « Faire ses devoirs », un ouvrage qui étudie de près les pratiques du travail à la maison.
» Notre recherche par observations et entretiens retrouve les résultats des enquêtes par questionnaires disponibles sur ce thème : il ne semble pas que les devoirs soient utiles aux élèves qui ont le plus besoin de compléter des apprentissages qui n’ont pas été convenablement mis en place pendant les séquences de cours. Beaucoup des élèves que nous avons vus, notamment dans des aides aux devoirs, s’acquittent très scrupuleusement de leur tâche, mais si leurs difficultés d’apprentissage au cœur de la classe, au milieu de leurs pairs, persistent, ils peuvent finir par penser qu’ils sont « nuls ». Ils se débarrassent alors de ce qui ne constitue plus qu’un pensum, voire ne font plus leur travail. Ce qui ne fait en effet que creuser les inégalités d’apprentissage », nous confie-t-il.
Reprenant une étude de D Glasman pour le HCE, il précise. » Nous avons nous-mêmes constaté une grande hétérogénéité des pratiques d’accompagnement. Si toutes redonnent assez facilement confiance aux élèves qui les fréquentent, elles ne parviennent pas, dans beaucoup de cas, à restaurer chez ceux qui en ont le plus besoin les apprentissages premiers. Nous avons vu régulièrement des élèves repartir chez eux, très heureux d’avoir rempli leur devoir mais porteurs de cahiers dont les exercices très approximativement réalisés allaient leur valoir beaucoup d’encre rouge dans les marges ».
On mesure alors la difficulté d’un encadrement efficace des devoirs. Pour qu’elle puisse réellement aider les élèves ne difficulté et réduire les inégalités, l’aide aux devoirs doit être effectuée par des personnels formés qui travaillent en lien avec les enseignants. Il faut inclure dans le dispositif ce temps régulier d’échange entre enseignants et « aidants ». Il faut aussi que les premiers soient au clair sur les objectifs donnés aux devoirs et préparent en classe le travail à réaliser. Autrement dit , il faut soit un vrai budget, soit se contenter d’une mesure populiste.
François Jarraud