Le jeu vidéo peut-il être un bon outil pour l’apprentissage des langues vivantes ? Laurence Schmoll, professeure de FLE, enseignante à l’Université de Strasbourg , a soutenu une thèse sur la conception de scénarios pour des jeux vidéo pour l’enseignement des langues. Concrètement elle a testé plusieurs scénarios de plusieurs jeux auprès d’élèves de seconde et observé leurs parcours et les résultats de ces jeux. Résultat : elle montre comment l’intégration d’un jeu vidéo en classe gagne à être scénarisée. Le jeu vidéo n’efface pas l’enseignant.
Pour une fois , celui qui en parle est aussi celui qui le fait. Ou plutôt celle. Car Laurence Schmoll est enseignante, chercheuse et aussi consultante pour la réalisation de jeux vidéos. Elle a conçu trois jeux vidéos pour l’enseignement des langues, développés avec une entreprise. Une triple casquette tout à fait unique qui lui permet d’avancer des préconisations précises sur ce que doit être un « bon » scénario de jeu vidéo pour l’enseignement des langues.
Vous avez conçu successivement trois jeux vidéos. Parlez nous de ce cheminement.
Le premier, Thélème, est un jeu de type MMPORG (jeux multi joueurs) qui est accessible en ligne. L’idée c’était de tester le MMPORG pour l’apprentissage d’une langue avec un scénario ludique. Le joueur doit remplir des missions en utilisant des dialogues dans une langue vivante.
Le second jeu, Les Eonautes, correspond plus aux attentes de l’enseignement. Lui aussi est en ligne. Dans ce jeu c’est l’enseignant qui attribue les missions aux apprenants. O est donc davantage dans l’esprit d’un cours.
Le troisième jeu, Architecte 2015, avait davantage d »ambition. Le jeu expérimente un environnement 3D immersif pour l’apprentissage des langues. Les élèves doivent parler la langue étrangère car les commandes sont vocales.
Ces trois expériences m’ont permis de réfléchir à la scénarisation pour intégrer un jeu vidéo d’apprentissage en classe de langue. C’est l’objet de ma thèse.
Dans les jeux sérieux la grande question c’est l’équilibre entre le jeu et le sérieux. Quel équilibre trouver ?
L’équilibre se définit dans le scénario. Après mes tests auprès des élèves je suis arrivée à définir un modèle de conception de scénario, le modèle PLOT : public, ludique, objectif, tache. Public car le jeu doit avant tout intéresser le public. Il doit être centré sur l’apprenant et son niveau, exactement come un cours. Ludique car il faut du jeu, une interactivité, du game play avant de définir les objectifs didactiques puis les tâches.
Ce que montre ma thèse c’est qu’il faut intégrer le jeu dans un scénario encadrant qui commence dans la classe.
Par exemple, Architecte 2015 ne commence pas avec la manette dans la main. Au début les élèves reçoivent une lettre d’un des personnages du jeu qui les appelle à l’aide. Ca les amène à faire des recherches avec le professeur pour définir les personnages. Puis à communiquer par mail avec ce personnage. Ils se préparent ainsi aux éléments ludiques du jeu : comprendre la mission, les personnages, le vocabulaire (le jeu se passe dans la cathédrale de Strasbourg). C’est après cette étape qu’ils jouent le jeu. A un moment ils doivent aussi visiter en vrai la cathédrale pour trouver des informations. On navigue ainsi entre réalité et jeu.
Ca ne risque pas de perdre une partie des élèves ?
Non au contraire. C’est ce que ma thèse montre après enquête auprès des élèves. Dans le premier scénario on entre directement dans le jeu. Or comme on est dans un cadre scolaire les élèves se mettent en situation d’attente d’aide. Ils sortent du jeu pour demander l’aide du professeur. Et ils perçoivent le jeu comme un exercice. Le scénario encadrant rassure les élèves dans ce contexte scolaire. Evidemment ce serait différent à la maison.
Ca veut dire qu’un jeu conçu pour la maison ne vas pas bien fonctionner à l’école ?
Des enseignants utilisent en classe des jeux du commerce avec profit. Mais quand on veut intégrer un jeu de ce type en classe il faut le scénariser avant de jouer.
Quand on fait jouer les élèves il y a toujours la question de l’institutionnalisation, du passage du jeu à la trace écrite qui organise le savoir. Comment faire ?
Je n’ai pas évalué cette question dans ma thèse. Mais je pense que le jeu peut être un bon support pour donner envie aux élèves de parler et d’interagir de façon scolaire. On est dans une pédagogie actionnelle. Tout ce qui va relever de l’apprentissage de la langue, comme la grammaire, va rester d u domaine de la classe traditionnelle. Le jeu est là pour pratiquer. Et là je montre que des élèves désinvestis peuvent se mobiliser grâce au jeu.
Quelle place doit avoir le professeur dans le jeu ?
Dans un cadre scolaire il a forcément une place. Ne serait ce que parce que pour rassurer les élèves plongés dans un environnement pas habituel. Il peut les rassurer sur le contenu langagier par exemple. C’est lui qui détermine les objectifs à atteindre, les contenus à traiter en rapport avec les programmes. C’ets lui qui choisit le jeu.
L’enseignant doit-il suivre le parcours des élèves dans le jeu ?
On a testé cela avec Les Eonautes. Avoir le controle sur le jeu plait bien aux enseignants et ça ne déplait pas aux élèves. Leurs critiques portent sur d’autres points.
Peut-on apprendre une langue avec un jeu vidéo ?
Certains le font. Par exemple ils s’immergent dans un MMPORG et ils apprennent une langue pour interagir avec le jeu ou pour échanger avec la communauté des joueurs. Mais c’est déconnecté de l’école.
Ce qui est intéressant avec le jeu vidéo c’est qu’il colle parfaitement avec la pédagogie actionnelle qui est celle qui est recommandée par l’institution scolaire actuellement. Grâce au scénario ludique, on peut mettre l’élève dans une position d’acteur. C’est lui qui décide de ses interactions et qui évalue les conséquences de ses décisions sans risque pour lui car in est dans un univers fictionnel.
Propos recueillis par François Jarraud