« La culture et l’éducation… seront au coeur de mon action ». Dans son premier discours, le président de la République a donné une priorité à l’éducation. Alors qui sera le prochain ministre de l’éducation nationale ? Des noms circulent, découvrez les. Mais à quoi sert exactement un ministre ? Quelle influence a-t-il réellement sur la politique menée ? Quelles limites rencontre-il ? Quelques réflexions avant une nomination du titulaire de la rue de Grenelle qui reste encore très ouverte…
Peut-on annoncer le nom du ministre de l’éducation nationale ? Parfois oui. En 2012, les candidats étaient connus et la nomination de V. Peillon n’a été une surprise pour personne. En 2017, c’est bien différent. Le choix des ministres se travaille jusqu’au dernier moment et tient compte de nombreux facteurs comme leur nombre, l’équilibre entre les sexes, entre les forces politiques de la future majorité, la volonté de proposer des hommes et femmes nouveaux ou même la volonté d’envoyer vers un ministère difficile un rival politique… Bien des nominations n’ont tenu finalement qu’à des considérations secondaires, des pressions de dernière minute, des amitiés agissantes, un rééquilibrage de dernière minute. C’est en fonction de tout cela que les ministres sont nommés par le président sur proposition du premier ministre. Et c’est pour cela que, même sur un poste aussi important que l’Education nationale, on voit se succéder des profils très différents, voir des binômes ou des trinômes (qu’on se rappelle par exemple le trio Ferry, Darcos, Claudie Haigneré).
Quels noms circulent ?
Une dizaine de noms circulent pour le poste de ministre de l’éducation nationale, et éventuellement de secrétaires d’Etat à l’éducation, aussi bien de politiques que de personnalités de la société civile. Mais au dernier moment , un nouveau candidat peut rafler la mise pour des raisons de hasard. Enfin le faible nombre de ministres annoncé devrait pousser en avant des poids lourds politiques, recalés du poste de premier ministre.
Parmi les politiques, Benoist Apparu semble le mieux placé. Proche d’Alain Juppé il renforcerait l’ouverture vers la droite du gouvernement. Il s’est intéressé aux questions d’éducation et a rédigé en 2009 un rapport remarqué sur le lycée. Plusieurs de ses idées sont en accord avec le programme Macron. C’est le cas pour la réduction du nombre d’épreuves au bac ou la réforme des rythmes par exemple.
On a vu François de Rugy représenter E Macron dans des débats sur l’éducation. Elu écologiste , il a quitté EELV pour se rallier à E Macron et marquerait une ouverture vers l’écologie. Une situation où il pourrait rencontrer une autre candidate à ce poste venue du même parti et ancienne ministre…
Claude Lelièvre a avancé le nom d’Anousheh Karvar, « très ministrable », selon lui. Très compétente, nous l’avons rencontré avec l’équipe éducation d’E Macron avant le premier tour. Ancienne syndicaliste CFDT , A Karvar est aussi l’ancienne directrice de cabinet de Myriam El Khomri.
Les noms de personnalités de la société civile circulent également comme celui de PY Duwoye. Ancien directeur de cabinet de V Peillon et secrétaire général du ministère de l’éducation nationale, il connait très bien le système éducatif et vient de le prouver dans un blog qui n’est pas passé inaperçu et qui a été publié entre les deux tours. Plus associé à la droite, Jean-Michel Blanquer, ancien patron de la Dgesco sous Sarkozy, proche de l’Institut Montaigne, se verrait bien également sur ce poste.
A quoi sert un ministre de l’éducation nationale ?
Mais le ministre de l’éducation nationale est-il réellement le seul maitre à bord dans son ministère ? Certains dénoncent la « cogestion » avec les syndicats. Mais dans une république présidentielle dotée d’une administration moderne, l’autorité du ministre est tempérée par d’autres obstacles que le grand public ne connait pas forcément.
D’abord le ministre ne choisit pas le haut encadrement. Son directeur de cabinet, un personnage clé, lui est envoyé par l’Elysée. Et lui-même doit régulièrement défendre ses dossiers devant le premier ministre ou le président. Chaque année il a par exemple à défendre son budget et ce n’est pas une mince affaire… Il doit tenir compte de la politique budgétaire nationale, par exemple quand Matignon décide de serrer les vis.
Le ministre ne nomme pas les recteurs qui sont choisis par l’Elysée, voire, cela s’est vu, par la femme du président. Cela leur donne une autonomie réelle. En 2012, le fringant V Peillon en a fait l’expérience lors de sa première rencontre avec les recteurs, ceux ci lui ayant expliqué qu’il n’était qu’un passager sur le poste… La démonstration en a été faite encore récemment à propos de l’attribution des moyens au primaire où le ciblage social des postes voulu par N Vallaud-Belkacem est contrarié par les préoccupations politiques locales.
Le nouveau cabinet ministériel est toujours accueilli par une bureaucratie centrale et locale qui voit passer les ministres et a ses propres objectifs et modes de fonctionnement. Quand le ministre arrive, il trouve sur son bureau le « dossier ministre », un document qui fait un état des lieux des politiques engagées telles qu’elles sont vues par la Direction de l’enseignement scolaire. Ce dossier présente les orientations de la centrale et aussi ses prévisions de gestion à moyen terme. Bien hardi serait le ministre qui dérangerait les unes et les autres… On attend plutôt de lui des choix à faire dans ces priorités…
Au niveau local, des enquêtes ethnographiques montrent l’importance de la culture administrative dans l’éducation nationale et son impact sur les politiques menées. E Macron et son ministre qui prétendent modifier la prochaine rentrée feraient bien de tenir compte de ces réalités. On ne fait pas changer de route le paquebot administratif comme si c’était une goélette.
Une politique à surveiller
Cela s’entend d’ailleurs déjà dans l’entourage d’E Macron. Ainsi pour la mesure phare du programme éducatif, la limitation à 12 élèves par classe en CP et CE1 de l’éducation prioritaire, l’équipe d’E Macron nous a expliqué qu’un professeur pour 12 ou deux pour 24 c’est identique. C’est évidemment faux pédagogiquement. Mais administrativement cela permet de contourner et la question du maintien des maitres surnuméraires et celle des salles de classe…
C’est pourtant sur l’éducation prioritaire qu’il faudra surveiller la politique éducative d’E Macron. Compte tenu de sa carrière scolaire personnelle, de ce qu’on sait de son entourage, quelle sera son attitude face à l’élitisme du système éducatif français ? Si l’engagement d’ajouter 12 000 emplois d’enseignants dans l’éducation prioritaire en CP et Ce1 montre que le nouveau président se soucie des inégalités sociales à l’école, son programme ne prévoit rien de neuf pour améliorer la mixité sociale dans l’Ecole. La volonté de sélectionner les jeunes à l’entrée dans le supérieur confirme la puissance des lobbys élitistes dans son entourage.
La personnalité du ministre de l’éducation nationale pèsera sur la politique éducative menée dans les mois à venir. Mais elle se fera dans un contexte complexe où nous n’oublierons pas d’ajouter les enseignants eux-mêmes qui savent si bien tenir le cap qu’il juge juste et pertinent pour leurs élèves et oublier le reste…
François Jarraud
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