Il y a une présidentielle détonante, des législatives à suspens, des spéculations sur le nouveau ministre, des débats sur les réformes qu’il ne manquera pas d’annoncer… Et puis, loin de la fureur et du bruit, il y a les enseignants qui font leur boulot sur le terrain, qui innovent, cherchent à intéresser et à faire réussir les élèves. Le quotidien en somme. Exemple au lycée Flora Tristan de Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis).
Comme tous les jeudi à 11 heures 30, les élèves de la seconde 8 ont cours d’EMC (enseignement moral et civique). Habituellement, c’est en demi groupe. Ce jour-là, comme on approche du terme du projet, toute la classe est réunie au CDI.
A l’ordre du jour : terminer la page Wikipedia que la classe est en train de créer sur la » la discrimination pour précarité sociale « . Depuis novembre 2016, elle est sanctionnée par la loi au même titre que la discrimination en raison de l’origine, du sexe, de l’apparence physique, du lieu d’habitation… .
La discrimination pour précarité sociale désigne les injustices dont sont victimes les personnes pauvres en raison même de leur situation de précarité. Par exemple, certains médecins refusent de les soigner parce qu’elles sont à la CMU (couverture maladie universelle).
Equipe
La classe participe au Wikiconcours lycéen organisé par le ministère de l’Education nationale. Le délai maximum pour rendre la page est le 15 mai au soir. Le temps presse pour finir de la rédiger.
Pour animer l’atelier, deux enseignantes font équipe. La professeure documentaliste, Céline Caminade, a eu l’idée du sujet. Proche d’ATD Quart Monde, elle a suivi la bataille de cette association pour ajouter la précarité sociale dans la loi sanctionnant les discriminations. Martine Ternois est professeure d’histoire-géographie et assume les cours d’EMC.
Toutes les deux se complètent. Céline Caminade, nouvelle dans l’établissement, est plus à l’aise avec le web et le fonctionnement de wikipedia. Martine Ternois, qui fait sa onzième année à Flora Tristan, connaît mieux les élèves qu’elle a aussi en histoire-géo.
Sous-partie
Debout devant le grand tableau blanc où est projetée la page en cours, Céline Caminade indique à chaque groupe d’élèves la partie qu’il doit finir de rédiger : » là, dans cette sous-partie, il faut écrire ce que la loi permet de faire et quelles sont les limites « …
Les deux enseignantes passent de groupe en groupe. Penchés sur un ordi, quatre garçons rédigent la partie sur la pauvreté et la précarité. » Vous avez un peu trop recopié des définitions et il y a des répétitions, leur dit Martine Ternois, il faut reformuler. «
A côté, des filles ont du mal avec la sous-partie » Parcours de la loi » : le vote de l’Assemblée, les amendements adoptés, le passage au Sénat, de nouveau des amendements, le retour à l’Assemblée…
Sources
Dans un premier temps, les élèves se sont documentés et ont travaillé sur les sources. Ils ont notamment appris à distinguer les fiables des autres. Le plus difficile, estiment les enseignantes, est sans doute maintenant, lorsqu’il faut synthétiser et reformuler.
Céline Caminade et Martine Ternois ne font là rien d’extraordinaire. Elles profitent de la liberté laissée aux profs en EMC pour proposer un cours plus vivant qu’un cours classique, lorsqu’il faut suivre un programme souvent trop lourd au détriment de la participation des élèves.
» Les élèves accrochent bien. Ils apprennent à travailler en groupe, gagnent en autonomie, se félicite la prof d’histoire-géo. Ils participent plus, interviennent, sont beaucoup plus actifs. On devrait pouvoir le faire plus souvent… «
Clichés
Les enseignantes apprécient de travailler à deux. Un enrichissement mutuel, selon elles, et un bénéfice pour les élèves avec qui elles ont le temps de d’échanger en petit groupe, de façon plus différenciée. » Si on pouvait le faire plus souvent « …
Il faut dire que le sujet touche. Lorsque deux personnes d’ATD Quart Monde sont venues expliquer devant la classe la démarche de l’ONG, citant des exemples concrets de personnes pauvres maltraitées, les élèves ont posé de nombreuses questions.
Près de 30% des lycéens de Flora Tristan sont issus de milieux défavorisés. La ville est classée en Zone prévention violence. » Etant du 93, les élèves savent qu’ils ont une mauvaise image et ils se sentent discriminés, explique la prof d’histoire-géo. Lors des sorties, souvent les gens s’attendent à voir des jeunes agités car ils viennent du 9-3. «
Modestes
Le 7 juin, la classe ira visiter le Sénat et rencontrer le sénateur Yannick Vaugrenard qui a défendu la proposition de loi sur la discrimination pour précarité sociale. Une sortie attendue avec impatience. Les élèves ne vont guère à Paris et ont tendance à rester dans leur quartier .
La page wikipedia devant être encore retravaillée, la classe a accepté de revenir au CDI pour une séance supplémentaire le 15 mai à 13 heures 30. Preuve de l’intérêt suscité.
Petit coup de chapeau à ces enseignants modestes qui font des choses en toute discrétion.
Véronique Soulé