Quel professeur de SVT ne connaît pas les logiciels de Jean-Pierre Gallerand ? Auteur de plus de 70 logiciels d’enseignement en libre accès, après 40 ans de bons et loyaux services, Jean-Pierre Gallerand a pris sa retraite de l’enseignement le 1er avril. Il retrace ce parcours de pédagogue, de pionnier du numérique et de professeur pour le Café pédagogique. Du basic des années 1980 au site SVT44, avec ses 8 millions de pages vues par an, c’est plus qu’une carrière emblématique autour des sciences de la vie et de la Terre. C’est l’histoire du numérique éducatif qui défile telle que l’a pensée un enseignant.
Quel est votre parcours au sein de l’Education Nationale ?
J’ai enseigné 40 ans dont 38 dans le même établissement nantais et j’ai été animateur TICE à mi-temps pendant 13 ans. Je commence en 1977 comme maître auxiliaire 3 avec uniquement un DEUG et je (re)passe ma licence tout en enseignant à plein-temps. Je passe maître auxiliaire 2 avec la licence puis adjoint d’enseignement avant de passer et d’obtenir le CAPES en 1995. Je deviens agrégé sur liste d’aptitude il y a 4 ans. Plus anecdotique : ma carrière manque de se terminer très rapidement suite à une première inspection désastreuse avec une note d’inspection de 21 sur 60 (peut-être un record). Une seconde inspection de rattrapage l’année suivante me permet de ne pas être renvoyé de l’enseignement.
Comment avez-vous commencé à créer vos propres logiciels ?
Dans le milieu des années 80, je programme en basic mon premier outil de simulation qui calcule le taux d’alcoolémie d’un individu en fonction d’un certain nombre de paramètres. Une courbe du taux d’alcoolémie en fonction du temps se dessine à l’écran. Cet outil présenté sur un des tous premiers ordinateurs du collège a certainement plus sensibilisé mes élèves aux dangers de l’alcool qu’une série de tableaux de données. A la même époque, je réalise un autre logiciel qui simule la descendance des drosophiles. Ces deux productions restent très confidentielles, sans Internet seuls mes élèves et quelques collègues peuvent les utiliser, à condition d’avoir au moins un ordinateur à leur disposition dans leur établissement.
Je m’intéresse ensuite à l’EXAO et à la modélisation. En 1992 j’imagine une simulation de l’effet de serre qui à cette époque est très controversé. J’attends le début des années 2000, et la découverte du logiciel Flash pour créer un troisième outil qui simule le comportement des cloportes. L’élève modifie certains caractères physiques du milieu et observe le comportement des cloportes. Contrairement à mes deux premières productions cet outil remplace des expériences que mes élèves réalisaient avec beaucoup de plaisir !
Pourquoi alors avoir réalisé ces animations ?
La réponse se trouve dans les instructions officielles qui interdisent les préférendums. Je passe beaucoup de temps à réaliser cet outil et je souhaite le partager avec mes collègues, c’est une des raisons qui m’ont amené à créer mon site de partage pédagogique SVT44. Dix ans plus tard des dizaines de milliers d’élèves par an continuent à « torturer » mes cloportes virtuellement. Depuis de nombreuses années, une des activités préférées de mes élèves est la dissection de la pelote de réjection de la chouette, mais le virus de la grippe aviaire amène les autorités à interdire tous contacts entre des produits d’origine aviaire (cœur de dinde, pelote de réjection, …) et des élèves. Cette interdiction est à l’origine de la création de mon quatrième outil, le logiciel « Pelote ». L’élève retrouve toutes les étapes de la dissection de la pelote de réjection et de la détermination des proies consommées par la chouette. La version exécutable de ce logiciel a été téléchargée plus de 100 000 fois.
Quels retours avez-vous de vos productions ?
Si on compare les retours avec le nombre d’enseignants qui utilisent mes logiciels, c’est très très faible ! Certains m’écrivent lorsqu’ils n’arrivent pas à les faire fonctionner ou que les logiciels ne sont plus consultables suite à un problème informatique, ils en profitent pour me remercier. En février 2009, un peu frustré par ce manque de communication je crée un groupe Facebook « SVT44 » pour échanger avec les collègues sur mes logiciels et faire un peu de veille pédagogique. Il y a environ 4500 membres à ce jour. Lorsque j’annonce ma retraite le 1er avril, je reçois une centaine de commentaires en 24h pour me remercier et plus de 200 « J’aime ». J’ai beaucoup apprécié ces messages.
Vous avez été également formateur au sein de l’institution. En quoi cette fonction est-elle importante ?
J’ai été un formateur en SVT plus particulièrement pour les remplaçants et surtout en informatique, en tant qu’animateur TICE. Professeur, on enseigne à des élèves, formateur à des collègues et des étudiants. J’ai beaucoup apprécié ce travail avec des collègues même si enseigner l’informatique au début des années 2000 n’était pas facile.
De nombreuses contributions sont à votre actif chez les éditeurs, en ligne, en France et dans le monde. Quels sont les contributeurs scientifiques ayant travaillé avec vous ? Quelles sont les audiences de vos multiples sites internet ?
J’ai plus particulièrement travaillé pour les éditions Bréal même si j’ai réalisé des photographies pour plusieurs autres maisons d’éditions et plus particulièrement les éditions Delagrave. Contacté en 2003 par un éditeur de Bréal pour être un des auteurs du livre de 5ème, je refuse cette offre mais je propose de réaliser des logiciels pour accompagner chaque chapitre de ces livres. L’éditeur a accepte ma proposition et je réalise pour les 5ème, 4ème, et 3ème 34 logiciels sur 3 CD vendus avec les livres mais, à ma demande, ces logiciels sont aussi proposés gratuitement en ligne. Studyrama qui a racheté Bréal il y a quelques années, accepte de laisser la gratuité pour ces logiciels en ligne. Ces 34 logiciels sont très consultés, environ 500 000 consultations par an pour l’ensemble.
Pour les audiences de mon principal site, c’est environ 1 million de visites et 8 millions de pages consultées par an, pour les autres c’est très variable, le site « Pollutions maritimes » créé en 2000 dans le cadre d’un projet éducatif est toujours consulté 17 ans après et a dépassé les 720 000 visites. L’intégralité de mes cours est en ligne, sur divers sites, à la disposition de mes élèves. Ces cours sont aussi très consultés par des collègues.
Plus particulièrement dans le cadre de projets éducatifs et de mon travail avec le Café pédagogique j’ai eu l’occasion de rencontrer et de travailler avec de nombreux organismes et personnalités scientifiques et politiques, comme l’IFREMER, JM Bardintzeff, Idriss Aberkane et plusieurs ministres de l’environnement.
Quel est le meilleur souvenir de votre carrière ?
J’ai de nombreux très bons souvenirs, et il m’est difficile de choisir… Les trois jours passés, avec 7 scientifiques, sur l’Europe, un navire océanographique d’IFREMER, dans le cadre d’un projet sur la pollution de la mer il y a environ 20 ans, la participation au forum mondial des enseignants innovants à Prague en 2013, la remise des palmes académiques par Vincent Peillon, ministre de l’éducation, en 2013…
Quel regard portez-vous sur l’enseignement des SVT en 2017 ? Et les élèves des années 2000 ?
Je suis très content de partir en retraite et je regrette de ne pas être parti il y a 6 mois ! On demande de plus en plus de travail aux enseignants. Comment peut-on changer les programmes de 6ème, 5ème, 4ème et 3ème la même année en ajoutant les EPI pour épicer le tout ! Un nouveau programme c’est déjà beaucoup de travail si on le fait sérieusement ce qui est le cas pour la majorité des enseignants. Certains professeurs sont au bord de la déprime cette année ne pouvant pas, à leurs yeux, préparer correctement tous leurs cours. Les élèves restent des élèves, je n’ai pas vu beaucoup de changement en 40 ans, ce qui a changé c’est la société…
Que vont devenir vos logiciels ?
Les 34 hébergés par Studyrama resteront en ligne, du moins pour le moment. Pour les autres (environ 40), je vais devoir changer d’hébergement n’enseignant plus. Je ne sais pas encore quelle solution prendre, une académie m’a demandé il y a 2 ou 3 ans l’ensemble de mes logiciels pour une clé USB distribuée aux enseignants. Je vais peut-être interroger Najat Vallaud-Belkacem à ce sujet, j’avais déjà évoqué ce problème avec Vincent Peillon, lors du forum des enseignants innovants à Blois.
Un mot sur le Café pédagogique auquel vous avez contribué allégrement pendant de nombreuses années. Pourquoi ?
Je suis rentré au Café Pédagogique à la demande de François Jarraud en 2007 avec la crainte de ne pas être à la hauteur. J’ai, avec Eric Jourdan, partagé veille pédagogique, coups de cœur, …avec les collègues de SVT. C’est un très bon souvenir. De nombreuses rencontres sont d’ailleurs liées à cette période Idriss Aberkane, JM Bardintzeff, …
Entretien par Julien Cabioch
Le parcours de Jean-Pierre Gallerand
L’ensemble des sites de Jean-Pierre Gallerand