Quel bilan peut-on dresser d’un quinquennat qui a fait de l’éducation sa priorité ? On devrait dire , quels bilans. Car celui des enseignants ne serait probablement pas le même que celui des cadres de l’éducation nationale, sans parler des élèves et des parents. Si les regards sont aussi divergents cela tient à la formule même de la « refondation ». Un mot valise, où chaque électeur pouvait déposer ses rêves. Une formule ample qui a permis de grands choses mais qui a aussi empêché le gouvernement de réformer sur les priorités. L’héritage c’est à la fois la nécessité de poursuivre les grandes réformes et leur grande fragilité.
2012 : Une réforme globale
« C’est un nouveau contrat entre l’école et la Nation, un pacte éducatif…, une réforme globale ». Le 9 février 2012, à Orléans, dans le meeting le plus important de la campagne, François Hollande présente son programme éducatif.
Le candidat affiche les choix pour l’Ecole qui vont hanter tout le quinquennat. « J’ai décidé de faire de l’école maternelle et de l’enseignement primaire une priorité de mon action… L’échec scolaire n’est pas une fatalité ! Non, la réussite des uns ne se nourrit pas forcément de l’échec des autres ! On veut trop souvent nous faire croire que pour que les uns réussissent les autres devraient échouer ! Les raisons de l’ampleur de l’échec scolaire en France sont ailleurs, dans cette “machine à trier” qu’est devenue notre Ecole ». Le candidat Hollande annonce aussi les 60 000 postes, le retour de la formation des enseignants mais aussi des lycées polyvalents pour réunir professionnel, technologique et général et même une autre pédagogie : « les pédagogies doivent évoluer », affirme-t-il, « le travail en équipe encouragé ».
Pour désigner cette réforme globale la formule est toute trouvée pour l’équipe de V. Peillon : ce sera rien de moins que « la refondation ». Son contenu est en négociation avec les syndicats depuis 2010 et rien ne semble pouvoir entraver le nouveau pacte éducatif mis dans les mains de passionnés de l’Ecole portés par le souffle des Jules historiques.
Aussi les premiers mois sont consacrés à l’écriture d’une loi d’orientation qui met en place de nouvelles instances (CSP, Cnesco) et fixe des objectifs dont un nouveau socle commun débouchant sur une réécriture de tous les programmes de l’école et du collège.
Rythmes scolaires et programmes du primaire
Durant 5 années , le vent des réformes va souffler sur l’Ecole. La première semblait la plus facile car la mieux préparée en amont. Le rétablissement de la 5ème matinée de classe va portant casser l’élan. Il s’agissait de revenir sur la mesure de X Darcos qui avait supprimé la classe du samedi matin en 2008 de façon à réduire la durée de chaque journée de classe pour la rendre plus efficace. Amenée sans compensation pour les enseignants, complétée par l’irruption assez brutale du périscolaire dans les écoles et dans les actions communales, elle va rencontrer une résistance importante. Le décret de janvier 2013 sera suivi d’aménagements sous Hamon prolongés sous Vallaud Belkacem.
A la rentrée 2015 de nouveaux programmes de maternelle entrent en application et sont bien accueillis. Puis à la rentrée 2016 c’est la cas des programmes de l’école élémentaire. Ils remplacent les programmes de 2008.
Une éducation prioritaire pilotée
La seconde grande réforme est celle de l’éducation prioritaire en 2014. Elle ne se borne pas à concentrer les moyens sur un nombre plus restreint de réseaux. La réforme prend en compte pour la première fois la réalité du travail d’équipe et la nécessité de la formation des enseignants en les prévoyant dans leur temps de travail. Le ministère opte pour le maintien du label éducation prioritaire mais dans une formule beaucoup plus encadrée et accompagnée. La rémunération des enseignants des réseaux sont aussi mieux rémunérés.
La réforme imposée au collège
2015 c’est l’année de la réforme du collège, sans doute la réforme la plus contestée. La réforme donne davantage d’autonomie aux établissements et impose des travaux interdisciplinaires et de l’accompagnement personnalisé. Elle supprime les filières élitistes mais maintient au sein du collège « unique » les filières spécifiques : segpa, clipa, 3ème pré professionnelles… L’application de la réforme à la rentrée 2016 s’accompagne de nouveaux programmes pour toutes les disciplines et tous les niveaux du collège en une seule fois. Un défi quasi impossible à tenir mais que le calendrier politique semble imposer.
Quand au lycée, il échappe à toute réforme d’ampleur. Les lycées polyvalents promis en 2012 ne seront pas créés. Et la tentative de récupérer quelques moyens sur les filières les plus élitistes échouent en 2014 aux dépens de V Peillon.
Un effort de recrutement et de formation des enseignants
Pendant tout le quinquennat un effort important de recrutement d’enseignants est entrepris. Avec difficulté le ministère réussit à réformer la formation des enseignants en ouvrant les ESPE. Il arrive à inverser la tendance et à attirer un nombre très supérieur de candidats sur les concours de l’enseignement. Finalement les 60 000 postes promis sont ouverts et très majoritairement, mais pas intégralement, remplis. La moitié sont servi a rétablir la formation des enseignants.
Mais la moitié se retrouve sur le terrain. Ainsi, sous Sarkozy toutes les académies sauf 2 ont perdu des postes. C’est le contraire sous Hollande. Sous Sarkozy, Créteil a perdu 2089 postes quand sous Hollande 4 713 sont créés. Lille en avait perdu plus de 3 600 contre 1 339 créations sous Hollande. Même les académies du sud, à la démographie galopante, ont vu fondre les postes sous Sarkozy : Montpellier – 427, Aix Marseille – 1518. Sous Hollande c’est + 1 877 et + 1 620.
Une revalorisation tardive
En toute fin de mandat, le gouvernement semble redécouvrir les enseignants. Dans le cadre d’une négociation globale concernant tous les fonctionnaires, une nouvelle carrière est imaginée en lien avec une revalorisation salariale. Celle ci débute seulement en 2017. La nouvelle carrière repose sur une nouvelle évaluation et suppose une évolution future des relations entre cadres et enseignants.
Le divorce avec les enseignants
Si l’Ecole est la priorité du quinquennat, si F Hollande marque la fierté de ce qui a été fait, la vision du quinquennat par les enseignants semble toute autre. Le Baromètre Unsa le rappelle encore dans son édition 2017. Seulement 20% des enseignants se déclarent en accord avec les réformes éducatives de F Hollande. Un taux qui tranche avec celui des cadres : 54% des personnels de direction, 64% des IEN, 73% des IPR leurs ont favorables. Les réformes entreprises n’ont fait que creuser la fracture et les annonces de revalorisation tardive n’ont rien changé. Seulement 32% des enseignants trouvent leurs conditions de travail satisfaisantes et 15% la paye convenable. Par contre 50% demandent un autre type de management, 77% l’autonomie d’organisation des équipes pédagogiques. Comment expliquer ce divorce qui ne semble toujours pas résolu ?
Les enseignants n’ont vu ni leur situation ni celle de l’Ecole s’améliorer. Les moyens humains apportés ont été absorbés par la formation des enseignants et la croissance démographique. C’est seulement en fin de quinquennat que l’effet commence a se faire sentir sur le terrain d’abord en éducation prioritaire et avec les maitres surnuméraires au primaire. Quant à la revalorisation elle commence tout juste à être ressentie au primaire, avec l’ISAE, une nouvelle prime annuelle de 1200 € , et plus modestement dans l’enseignement secondaire.
Le piège d’un concept flou
Trompés par les phases de préparation de la refondation, les ministres n’ont pas perçu la rupture qu’a représenté la réforme des rythmes. Trop dépendants de la technostructure ministérielle, ils ont échoué à changer le mode de fonctionnement autoritaire de l’Education nationale. Par suite ils ont été incapables de faire accepter et d’accompagner positivement les réformes auprès des enseignants.
Lancés dans le travail politique et législatif d’une Refondation, ils ont multiplié les réformes sans que les choses changent de façon visible immédiatement sur le terrain. La Refondation , une réforme globale , aurait-elle fait perdre de vue les vrais problèmes de l’Ecole ?
Pour la Nation, le principal problème de l’Ecole ce sont les inégalités criantes de réussite scolaires. Selon Pisa, la France est la championne des inégalités sociales à l’Ecole avec un écart de presque deux années de niveau entre un enfant de milieu défavorisé et un favorisé, trois ans quand il s’agit d’un jeune immigré.
Le Cnesco a fortement éclairé le fonctionnement inégalitaire du système éducatif. L’Ecole assure une inégalité réelle de traitement des enfants de milieu populaire qui n’ont pas réellement les mêmes conditions d’enseignement que les autres. En réalité elle continue à donner moins à ceux qui ont moins. Cela entraine des inégalités de résultats et par suite d’orientation qui se transforment en inégalités de diplomation et d’insertion professionnelle. Ces inégalités sont touchées du doigt quotidiennement par les enseignants qui en souffrent. Et elles se sont aggravées sous le quinquennat.
Lutter contre les inégalités, c’était la Refondation à mener et la réforme à faire. Or il a fallu bien du temps pour que le ministère prenne conscience de la réalité des besoins d’enseignants dans les quartiers et crée le concours spécial de Créteil. Le thème de la mixité sociale n’est finalement apparu qu’en fin de mandat, et encore impulsé par les travaux commandés par H Zoughebi, et les expérimentations en cours sont très modestes. Encore aujourd’hui l’orientation des élèves continue à se faire sur des bases socialement injustes et scolairement discutables. Quant à l’affectation ciblée des moyens en fonction des inégalités sociales, si elle est effectivement lancée au primaire au niveau national , elle se perd dans des décisions locales prises en fonction de réalités politiques voire d’habitudes bureaucratiques.
Le combat pour l’Ecole républicaine s’est dilué dans la Refondation. Ce concept flou a ruiné le projet d’égalité. La multiplication des réformes a noyé ce qui aurait du faire un axe politique solide. Elle a mis en évidence l’incapacité à accompagner les réformes sur le terrain Finalement cela a détruit la confiance envers la parole ministérielle et la dynamique de la réforme.
Que faire de l’héritage ?
La question de l’héritage est abordée de façon différente selon les candidats. Un héritage semble assez consensuel à gauche et au centre sur la nécessité de maintenir l’effort au primaire y compris le calendrier sur 5 jours. L’idée de réduire le nombre d’élèves par classe au primaire, au moins dans les zones prioritaires, fait son chemin. C’est évidemment une nécessité.
L’incapacité de la Refondation à mobiliser les acteurs de l’Ecole ouvre la porte au détricotage des réformes à peine lancées et à la réduction brutale des effectifs enseignants. C’est un autre héritage d’une Refondation inaboutie.
François Jarraud
Cnesco : Aux sources des inégalités