Plongez dedans vous allez vous reconnaitre ! « Une année sur un bateau ». C’est la métaphore qu’a retenue Sylvie Captain (un pseudonyme) pour raconter une année de la vie d’une classe de 3ème d’un collège lyonnais. Etre « Captain » reste un objectif pour l’auteur. Mais l’équipage est remuant et le bateau est une lourde galère… Pourtant ce petit livre n’est pas un pamphlet. On n’y trouvera aucune diatribe pro ou anti socle, pro ou réforme, pro ou anti ministre. « Une année en bateau » vous embarque en septembre tout droit dans la classe et vous débarque en fin d’année. D’autres ont déjà été débarqués en route…
Sylvie Captain enseigne dans un collège lyonnais socialement mixte depuis 12 ans. Professeure de maths et, surtout, professeure principale, elle raconte au jour le jour les événements qui viennent percuter son quotidien.
Si votre beau frère croit que les professeurs se la coulent douce, ou s’il s’appelle François Fillon, n’hésitez pas lui offrir le livre. Il constatera que les semaine dépassent déjà largement les 39 heures. La vie d’un professeur de collège c’est faire face en permanence à de multiples demandes administratives, parentales, hiérarchiques qui viennent s’ajouter au travail lié à l’enseignement. C’est le dossier qu’il faut monter pour la MDPH au dernier moment. Les parents de Untel à appeler au téléphone en urgence. Les rencontres avec la CPE parce que Roxane a disparu ou que Kilian part en vrille. C’est Tom qu’il faut convaincre de travailler son orientation. C’est enfin Mme Fish, la principale, dont il faut s’assurer au moins qu’elle ne mettra pas des batons dans les roues.
Une année de prof c’est aussi 18 heures par semaine s’observer enseigner et improviser dans l’urgence face aux multiples incidents qui ponctuent la classe. Et tout ne observant aussi les multiples micro comportements des élèves. Tiens, Mounette est pas dans son assiette. Farid si tu crois que je ne t’ai pas vu…
Mais ce n’est pas tout. L’année qui est la trame du roman de Sylvie Captain c’est 2015-2016. Alors elle est traversée par des attentats et leurs suites scolaires , une réforme, x réunions pour expliquer son application, et y discussions entre collègues pour se demander ce qu’on va bien pouvoir en faire…
Chaque année une pleine valise de roman et de mémoires sur l’école paraissent, généralement à la rentrée. Le livre de S Captain est singulier. Il sort plus tard. Surtout il raconte vraiment la vie d’une classe, d’une enseignante et d’un collège, ni meilleur ni pire qu’un autre, au ras du quotidien. N’y cherchez pas de leçons. Cherchez y la vérité du vécu. Vous la trouverez.
François Jarraud
Sylvie Captain, Une année sur un bateau. Une année de la vie d’une classe de troisième. L’Harmatttan. ISBN : 978-2-343-10533
Sylvie Captain : « On cherche tous les jours comment s’en sortir »
Enseignante depuis 12 ans dans un collège lyonnais, Sylvie Captain retrace avec verve et vérité le quotidien du métier de professeur de collège. Des problèmes d’enseignement aux relations avec les parents , les élèves et la hiérarchie, tout y passe. Et comme l’année qui est retracée dans « Une année sur un bateau » c’est l’année dernière on suit aussi les retombées des attentas et l’arrivée de la réforme des collèges. Sylvie Captain revient pour nous sur son vécu d’enseignante.
Dans votre récit, l’enseignante est en permanence occupée à mener de front un tas de tâches différentes. On est loin de la vie paisible du professeurs que certains politiques dessinent devant l’opinion….
De plus en plus on vit un émiettement des tâches. C’est le cas de mon personnage qui et professeure principale. Mais c’est vrai pour tous les enseignants. Et ça s’aggrave d’année en année. Par exemple pour chaque élève en situation de handicap c’est des réunions avec le médecin scolaire, des dossiers à remplir, des documents à faire remplir aux collègues. Pour tous les élèves difficiles ce sont les réunions avec la CPE à prévoir et tenir puis les suites à organiser: tutorat par exemple. Le professeur doit régulièrement voir l’infirmière, la CPE, le conseiller d’orientation. Plusieurs ne sont pas disponible dans l’établissement. Ce sont donc des rendez vous prendre et organiser. Ils sont suivis d’échanges de mails. Et puis il y a le conseil d’administration, le conseil pédagogiques, le conseil école collège. J’allais oublier les parents à qui il faut téléphoner, qu’il faut rencontrer et à qui il faut donner le bulletin.
C’est énormément d’énergie ?
Cela fait partie du métier. Pour moi ce n’est pas désagréable, même si cela rebute d’autres collègues. Ce qui est déplaisant c’est le manque de reconnaissance pour ce travail. Les gens ne le savent pas mais on passe facilement plus de 40 heures par semaine au collège à régler tout cela en plus des cours.
Comment on apprend à faire tout cela ?
Soyons honnête. Il y a des formations. Mais en fait on apprend sur le tas.
Quand on lit le livre finalement on a l’impression que l’enseignement est devenu une activité annexe… Pourtant dans le livre on vous voit en permanence en train d’observer les élèves et de vous demander comment réagir à tel ou tel incident.
C’est vrai que je parle peu des cours. Mon emploi du temps c’est 18 heures de cours et plus que ce temps là à faire autre chose, dont les corrections de copies.
C’est vrai qu’on est en permanence en posture réflexive. Tout simplement car on est en permanence en difficulté avec des élèves qui ne sont pas faciles. On cherche tous les jours comment s’en sortir. Quand o se croise entre collègues, on ne parle que de ça.
Les rapports avec la direction semblent assez distants….
Il sont complexes. Les chefs d’établissement eux mêmes ont peu de temps et ils sont tenus par leur propre hiérarchie. Pour moi ce ne sont ni des obstacles, ni des appuis. Ce sont des gens avec qui il faut faire. Ce n’est pas toujours du management positif, de l’aide et du soutien. Il sont peu de temps pour motiver leurs enseignants, encourager les dynamiques. Je vois que les professeurs ont beaucoup d’idées. Les chefs d’établissement pourraient faciliter leurs projets davantage.
Au milieu de cette vie trépidante surgit la réforme du collège. On vous sent favorable au début puis petit à petit de plus en plus détachée. Comment expliquez vous cela ?
Je ne parle que de mon expérience personnelle et c’est bien différent d’un collège à l’autre. Il faut d’abord dire que mon métier c’est aussi d’appliquer les réformes.
Au début j’ai été séduite par l’idée de voir disparaitre les classes de bons élèves comme les classes bilangues, celles de langues anciennes. J’étais contre cette sélection cachée. J’étais plus réservée sur l’accompagnement personnalisé (AP) et les EPI (enseignements interdisciplinaires).
Mais très vite il est apparu que l’on manque de formation pour la mise ne place de la réforme. Le pompon c’est le nouveau socle commun. Comme professeure de maths je n’arrive pas à l’utiliser entre compétences du socle et compétences de maths. Comment évaluer en fonction de tout cela ? Quel gaspillage de temps !
Un an plus tard on continue à manquer de formation et l’organisation est lamentable. J’ai l’impression que mon inspecteur est pas mal perdu aussi. La façon dont on établit les bulletins par exemple c’est un vrai scandale. A la fin de l’année il va bien falloir évaluer chaque élève. J’imagine qu’on va faire comme d’habitude et se débrouiller au dernier moment…
Dans le livre on voit beaucoup de travail, une recherche permanente de bien faire. Mais finalement la situation scolaire des élèves ne s’arrange pas ?
On sait que les problèmes ne vont pas disparaitre comme cela. On court en permanence après la motivation des élèves. Notre objectif c’est que chaque élève veuille bien laisser entrer ce qu’on essaie de lui apprendre. Pour 90% des enfants tout va bien. Mais il y a toujours 10% des élèves avec qui on n’y arrive pas. On se les repasse de conseil de discipline en conseil de discipline. Les regrouper en centre spécialisé comme le suggère un candidat ça ferait plaisir aux profs. Mais ce n’est évidemment pas la solution. Il faut arrêter de penser que l’Ecole peut régler à elle seule la question des inégalités sociales. Elle a besoin des parents, de tous les éducateurs. Mais c’est déjà une vieille histoire…
Propos recueillis par François Jarraud
Sylvie Captain, Une année sur un bateau. Une année de la vie d’une classe de troisième. L’Harmatttan. ISBN : 978-2-343-10533