« Il faut donner un statut à l’école française: un statut d’établissement du premier degré ». Pour Catherine Nave-Bekhti, secrétaire générale du Sgen Cfdt, pas question de laisser l’autonomie des établissements à la droite sous peine de laisser leur conception de l’autonomie s’imposer. Avec le GDID, une association qui regroupe quelques milliers de directeurs d’école, le Sgen Cfdt a présenté le 30 mars son projet d’établissement autonome du premier degré et remis dans le débat l’Etablissement public d’enseignement primaire (EPEP), un serpent de mer qui rode autour de l’école depuis le début du siècle.
L’EPEP ce serpent de mer
A l’origine de l’EPEP on trouve François Fillon, ministre de l’éducation nationale, qui insère cette réforme dans la loi du 13 août 2004. Elle prévoit que « les établissements publics de coopération intercommunale ou plusieurs communes d’un commun accord, ou une commune, peuvent, après avis des conseils des écoles concernées et accord de l’autorité académique, mener, pour une durée maximum de cinq ans, une expérimentation tendant à créer des établissements publics d’enseignement primaire ». F Fillon est remplacé par G de Robien qui tente de faire passer le décret d’application , ce qui occupe les années 2006-2007. Finalement le décret n’est pas publié. C’est l’époque où tous les syndicats d’enseignants s’opposent à la mesure avec l’aide du parti socialiste.
En 2010,l’Institut Montaigne relance le débat sur l’EPEP et une seconde tentative de glisser l’EPEP dans une loi échoue à son tour en 2011. Pourtant il n’y a déjà plus d’unanimité syndicale sur la question. En 2010 un sondage publié par le Snuipp montre un net rejet des Epep par les enseignants avec la crainte de voir un échelon hiérarchique et très présent peser sur les enseignants. Mais un an plus tard le Se Unsa publie un autre sondage qui montre une majorité de directeurs en faveur de l’Epep.
En 2015 le rapport Leloup et Caraglia, deux inspectrices générales, évoque l’EPEP comme solution aux dysfonctionnements des circonscriptions du 1er degré. Enfin début mars 2017, la ministre publie des « engagements » en faveur des directeurs pour alléger leurs taches administratives. Ce qui revient à enterrer les Epep.
Une école plus locale moins nationale
L’autonomie des établissements a envahi les programmes des candidats à la présidentielle. Le Pen, Fillon , Macron et même Hamon utilisent le mot mais avec des contenus différents. Pour Catherine Nave-Bekhti, il faut être clair. « Quand nous parlons d’autonomie nous parlons d’autonomie d’une équipe pluriprofessionnelle… Donner un statut et une marge d’autonomie aux équipes est une voie à explorer pour améliorer les conditions de travail des enseignants et la qualité de vie à l’école ».
Mais entre 2004 et 2017, beaucoup de choses ont changé. Le regroupement des écoles s’est accéléré même si on ne compte que 5000 écoles de plus de 10 classes, c’est à dire la taille d’un petit collège, soit moins d’une sur dix. Les directeurs ont réussi à faire reconnaitre la difficulté de leur travail. Leurs décharges ont été améliorées et ils ont obtenu parfois une aide administrative. Surtout, l’Ecole s’est « localisée » davantage avec la généralisation des PEDT qui multiplient les implications des communes dans l’Ecole. Deux rapports sur les PEDT et les rythmes, qui devraient être prochainement publiés, vont rappeler cela. Enfin le thème de l’autonomie des établissements traverse la campagne électorale.
Le directeur supérieur hiérarchique
Le Sgen Cfdt et son allié le GDID avancent donc en terrain miné. « Il faut être clair l’autonomie des établissements ce n’est pas celle des chefs d’établissement », promet Adrien Ettwiller, secrétaire national du Sgen. La notion de hiérarchie est « un chiffon qu’on agite pour faire peur aux gens » explique Alain Rei, président du GDID. « Ce n’est pas la hiérarchie qui pose problème mais la capacité à gérer une équipe ». Les deux mettent en avant le conseil d’administration de l’établissement qui réunirait enseignants, parents, collectivité locale et permettrait démocratiquement de prendre les décisions.
Car c’est le souci gestionnaire que poussent en avant le Sgen et le Gdid. « Il y a des tensions sur les 108 heures ou les temps d’accueil du périscolaire », donne en exemple A Ettwiller. L’établissement autonome pourrait prendre des décisions sans avoir à remonter jusqu’à l’inspecteur. Il pourrait décider des dépenses , autoriser des intervenants, être le partenaire reconnu de la commune ou des associations.
Quand au directeur, Sgen et Gdid ne demandent pas un corps particulier mais un statut d’emploi fonctionnel. Il resterait ainsi professeur des écoles. Mais ce serait bien le supérieur hiérarchique des enseignants. « Je serais content que la personne qui me voit tous les jours ait son mot à dire dans mon évaluation », explique A Rei. A Ettwiller rappelle que dans le secondaire on a un regard croisé du chef d’établissement et de l’inspecteur pour l’évaluation des enseignants. « On n’est pas opposé à ce que le directeur ait une part dans l’évaluation ».
Le bon timing ?
Le timing politique laissera-t-il le temps au Sgen et au GDID pour se faire entendre ? Si pour le Sgen « c’est le bon moment pour parler d’autonomie », l’appel à l’autonomie va aussi renforcer les politiques qui ont une autre conception de l’autonomie. L’équipe de B Hamon met en avant une « autonomie démocratique » des établissements. Mais du coté de F Fillon on nous dit sans ambages que les écoles « autonomes » seraient gérées par le principal du collège de rattachement. C’est bien le modèle du chef d’établissement manager, évaluant mais aussi recrutant les enseignants qui est envisagé. Une image qu’Emmanuel Macron partage.
D’autant que 90% des écoles ont moins de 10 classes et 35 000 sur 55 000 moins de 6 classes. Des échelles trop petites pour avoir un chef d’établissement par école. Le Sgen envisage dans ce cas d’avoir un directeur par commune ou regroupement de communes.
Le Sgen et le Gdid pourront compter sur le soutien du Se Unsa. Le 1er mars, Christian Chevalier, son secrétaire général , nous disait : « on ne règlera pas la question des directions par des rustines comme les décharges et indemnités. Il faut un vrai statut de directeur. Un statut d’établissement public du 1er degré permettrait de régler les difficultés comme les emplois administratifs. Les directeurs pourront alors se concentrer sur leur travail :l’animation pédagogique des écoles ».
Le Snuipp Fsu est d’un avis opposé. « On n’est pas favorable à l’autonomie des écoles », nous a dit Francette Popineau, co-secrétaire générale. « La perte du cadrage national ce serait désastreux pour l’école. C’est une nécessité pour que l’école reste égalitaire. Il faudrait même aller vers plus de péréquation entre les écoles ». L’important pour elle c’est d’apporter des aides aux directeurs pour alléger leur travail, notamment les taches administratives. « On a envie de préserver ce qui fait la spécificité de l’école primaire… On ne voit pas ce que peut apporter un échelon hiérarchique supplémentaire ».
François Jarraud