« Les valeurs n’existent que dans les pratiques qui les fondent ». Pour Jacques Bernardin, président du GFEN, il ne s’agit pas tant de proclamer les valeurs républicaines que de les faire vivre concrètement dans des pratiques pédagogiques qui permettent la réussite de tous. Le 25 mars, pour les 10èmes Rencontres du GFEN, le mouvement pédagogique a convié Jean-Paul Delahaye pour un échange sur la difficulté de faire vivre les valeurs républicaines à l’Ecole.
Des enseignants en quête de nouvelles pratiques
Il y a du courage, de l’obstination, et même de la détermination chez les militants du GFEN. Le 25 mars ils sont une centaine à attendre dans le froid toute une partie de la matinée pour pouvoir accéder à la conférence de JP Delahaye et aux ateliers.
Pierre Botton, un professeur des écoles de Joué-lès-Tours (37) est venu suite à deux interventions de J Bernardin dans son école Rep+. « J’ai apprécié la démarche et l’impact des journées de formation dans mon école », nous confie-t-il. Après la première intervention de J Bernardin, les enseignants ont décidé d’appliquer plusieurs pratiques présentées en stage. « Je ne cherche pas des solutions mais des démarches nouvelles, des outils et aussi la richesse des échanges », explique-t-il. « Ce qui nous a été présenté à Joué s’est avéré très efficace ». C’st lui qui a fait connaitre le Gfen à Perrine Delorme une jeune professeure stagiaire en arts plastiques. « Je cherche à me former davantage sur le plan pédagogique », dit-elle. Elle a notamment repéré les ateliers artistiques et théâtre de l’opprimé.
Amélie Trégouet vient de Cergy, du collège Rep du Moulin à vent. Professeure documentaliste, elle est confrontée à un public éloigné de la lecture, avec des élèvs en Upe2a (classes allophones) , en Ulis et en Segpa. « Le CDI est un lieu où on apprend à coopérer ce qui implique des méthodes », explique-t-elle. « On essaye de trouver les leviers pour amener les élèves à lire ». C’est par le bouche à oreille qu’elle a connu le GFEN.
L’Ecole républicaine a toujours visé la transmission de valeurs
Ancien directeur de l’enseignement scolaire et conseiller spécial de Vincent Peillon, Jean-Paul Delahaye est l’auteur d’un rapport sur l’école et la grand pauvreté qui a fait du bruit. C’est qu’entre les valeurs de la République et la réalité de l’Ecole ily a un gouffre Son intervention vise à expliquer pourquoi il faut le combler et à donner des pistes pour le faire.
« L’Ecole a toujours eu pour mission de faire partager les valeurs de la République », explique-t-il. Il cite la loi du 28 mars 1882 qui fixe à l’école primaire comme première mission « l’instruction morale et civique » ou encore la lettre de J Ferry aux instituteurs du 19 avril 1881 qui montre que les méthodes pédagogiques doivent être en cohérence avec l’objectif de formation du citoyen. « Il est possible que nos enfants soient un peu moins familiers avec certaines difficultés de lecture », explique J Ferry en opposants les élèves de l’école publique et les autres. « Mais il y a cette différence que ceux qui sont plus forts sur les mécanismes ne comprennent rien à ce qu’ils lisent tandis que les notres comprennent. Voilà l’esprit de nos réformes ». Une orientation que la loi de refondation a reprise.
Quand l’Ecole s’éloigne des valeurs
« Il y a des liens entre nos valeurs républicaines et la justice économique et sociale dans notre société », explique JP Delahaye. « C’est la pauvreté économique, sociale et culturelle de beaucoup d’élèves qui rend difficile la mission d’enseignement », explique-t-il. « Quelle citoyenneté pour les 1.2 million d’élève e grande pauvreté ? Comment entrer dans les apprentissages quand on est mal logé, qu’on a du mal à acquérir le matériel scolaire ».
Pour lui, « l’école doit donner l’exemple de pratiques conformes aux valeurs qu’elle doit faire partager ». JP Delahaye n’hésite pas à donner des exemples. Il cite les collèges qui constituent des filières de relégation, les lycées qui sélectionnent et refusent les redoublants ou encore la défense des classes d’élite comme les bilangues.
Autre exemple , plus institutionnel, la réduction des fonds sociaux des établissements sous Sarkozy. Entre 2002 et 2012, ils passent de 73 à 32 millions avant de remonter à 65 millions en 2017. Tout cela pour 1.2 million d’élèves pauvres. Pendant les même années 2002-2012 le budget d’accompagnement éducatif des classes préparatoires, est passé de 50 à 72 millions pour 84 000 élèves. « Prendre dans la poche des pauvres pour préserver le confort des futures élites est ce respecter les valeurs de la république », demande-t-il.
Quelles pratiques pour une école réellement républicaine ?
Pour JP Delahaye, « on a en main les éléments d’un Pisa choc car des écoles sont déjà mobilisées ». Que font les établissements qui mettent en cohérence valeurs et pratiques ? Ils soutiennent l’idée de l’éducabilité de tous. Il estiment que les classes hétérogènes aident les plus faibles sans pénaliser les forts.
« Mais comment faire pour qu’on arrête d’envoyer des stagiaires dans les établissements difficiles », demande une enseignante dans la salle. « C’est une responsabilité collective », répond JP Delahaye, « y compris des syndicats ». Pour lui il faut une vraie revalorisation des enseignants en éducation prioritaire et aller au delà de la pondération qu’il a réussi à obtenir en rep. « Dans les CPGE on a toujours considéré qu’une pondération était nécessaire, mais pas en rep… Il faut permettre aux enseignants des centre ville de venir en rep pour 2 ou 3 ans ». Pour JP Delahaye la part de l’Ecole pour appliquer les valeurs de la République c’est déjà d’assurer la même offre de formation partout. Un objectif qui reste encore à atteindre à la fin du quinquennat.
François Jarraud