L’enseignement de l’histoire peut-il échapper au dérives politiciennes ? Cette question Laurence de Cock l’a posé directement à F. Fillon le 23 mars. C’est le thème central de sa thèse sur « le fait colonial à l’école ». Comment le débat politique influence-t-il les programmes ? Comment le fait colonial, l’immigration sont-ils devenus des questions « chaudes », voire des problèmes, pour l’enseignement ? Soutenue en juin 2016, la thèse de Laurence de Cock est maintenant en ligne. C’est l’occasion de l’interroger sur l’histoire de l’enseignement du fait colonial et à travers lui sur celle de la fabrication des programmes d’histoire de Chevènement à Fillon…
» Evidemment que ce sont les enseignants qui doivent rédiger les programmes, mais je demande qu’il y ait une commission d’académiciens qui donne son avis sur ces programmes ». Rien à faire, l’enseignement de l’histoire n’échappe pas aux surenchères politiciennes et Laurence de Cock en a eu confirmation le 23 mars par ces propos de F Fillon qui promet une réécriture des programmes d’histoire pour glorifier un « récit national ».
La fabrication des programmes d’histoire est au coeur de sa thèse sur « Le fait colonial à l’école » soutenue en juin 2016. L de Cock a eu accès aux archives des différentes commissions qui ont rédigé les programmes d’histoire depuis les années 1980. Elle a pu reconstituer le rapport entre ces structures et le débat politique dans la société française sur un passé qui ne passe pas : l’histoire de la colonisation.
Quand on regarde les programmes d’histoire et le débat sur le fait colonial on a l’impression qu’il y a une chronologie décennale avec une crise tous les 10 ans : 1985, 2005,2015… Qu’en pensez vous ?
Depuis une trentaine d’années il y a des événements qui font ressurgir cette question dans le débat public. Depuis 30 ans on scrute à la virgule près chaque variation des programmes des programmes d’histoire.
Ce que je montre dans ma thèse, c’est que la question de la colonisation dans les programmes scolaires se développe avec la question des politiques d’immigration et d’intégration des enfants d’immigrés, notamment de l’immigration coloniale. La construction de l’immigration comme problème remonte aux années 1970. A ce moment le regard posé sur l’immigration change et se culturalise. On passe du travailleur immigré à l’immigré maghrébin à la fin des années 1980 puis à l’immigré musulman. On passe du social à une vision culturelle puis confessionnelle.
Au même moment dans le débat public se construit l’idée que cela ne va pas de soi que l’islam soit compatible avec la République. A chaque fois l’Ecole est interpellée notamment sur les programmes d’histoire et d’éducation civique.
On assiste alors à une influence politique sur la rédaction des programmes ?
Ce n’est pas aussi évident. Il faut observer de façon précise comment les programmes d’histoire sont rédigés. Pour qu’il y ait un lien entre le débat politique et les programmes il faut des acteurs entre les deux. Ce n’est pas toujours le cas. Je montre dans ma thèse que la période du Conseil national des programmes (CNP) est celle du « circuit de refroidissement ». Il y a une forte politisation du débat sur le fait colonial mais le circuit d’écriture des programmes est tellement lent et long qu’on réécrit les programmes à la marge.
Mais il y a 2005…
2005 est une année de rupture. Il y a la loi de février 2005 et tout le débat sur l’histoire coloniale (cette loi impose un enseignement « positif » de la colonisation NDLR). Il y a les émeutes de novembre 2005 et la question de l’intégration. C’est aussi l’année du Manifeste des indigènes de la République qui fat répondre les intellectuels de droite. C’est la fondation du CRAN et l’année de la suppression du CNP. Une réécriture des programmes est lancée en 2006 par des commissions restreintes : un inspecteur général, quelques universitaires et enseignants. Du coup la permeabilité à la demande sociale est plus importante. Le ministre demande que la question de l’enseignement de l’immigration soit dans les programmes.
Les programmes de 2008 peuvent être interprété comme une tentative d’équilibre entre différentes demandes. Laurent Wirth, en charge de la commission sur ces programmes, me dit que l’entrée de l’histoire de l’Afrique pré coloniale dans les programmes se fait parce que la France est une société multi culturelle.
Aujourd’hui où en est on ?
Peillon récrée une structure indépendante avec le Conseil supérieur des programmes. Mais il fait une erreur :il introduit dans le CSP des parlementaires. Résultat quand les programmes sortent en 2015 c’est le moment des élections régionales et le calendrier politique interfère avec celui de l’Ecole. Des questions du programme d’histoire font grand bruit : la traite et l’esclavage sont des questions obligatoires alors que les Lumières sont facultatives. On accuse aussi les programmes de parler de l’Islam et plus du christianisme. Ces faux procès sont symptomatiques de la crispation autour de la question coloniale.
Le résultat c’est une intervention du politique dans les programmes comme on ne l’a jamais vu. Même Hollande intervient. C’est le contraire de ce que Peillon souhaitait. Il a finalement mis en place un dispositif totalement sous la coupe du politique. Le CSP recule sur ces questions. Au dernier moment le Comité pour la mémoire de l’esclavage fait introduire l’esclavage dans les programmes du primaire. Mais les questions extra occidentales sont minorées dans les programmes au profit de l’histoire nationale. On parle de « récit national », d’un enseignement qui doit faire aimer son pays, des choses qui avaient disparu depuis 30 ans.
Quelle solution alors pour les programmes d’enseignement d’histoire ?
Il faut essayer de trouver un récit qui admette qu’à partir du 16ème siècle l’histoire de l’Europe est liée à la problématique coloniale. Plutôt que faire un chapitre sur la colonisation, comme une chose à part, il faut introduire cette questions dans les différents chapitres d’histoire. Par exemple montrer le lien entre la découverte des Amérindiens et la naissance de l’humanisme.
Il faut aussi admettre comme un phénomène naturel le fait que les hommes circulent. Il faut rendre visible dans les programmes la diversité de notre pays. On est dans une France mondialisée et si ça ne se voit pas dans les programmes il y aura un fort décalage entre la réalité vécue par les élèves et ce qu’ils apprennent à l’Ecole.
Propos recueillis par François Jarraud
Juin 2015 la réécriture des programmes sous pression politique