L’humour a-t-il sa place dans la salle de classe ? Gibert Longhi prend sérieusement la question sous plusieurs facettes. L’humour apporte-il une plus value mesurable aux apprentissages ? Quelles sont ses limites ? Déplace-t-il les règles de vie de la communauté scolaire ? Introduit-il une courbure inattendue dans l’espace – temps de la classe , spécialement à la relation prof – élève ? Sans oublier cette éternelle question : Peut-on rire du professeur ?
Christine Escallier (1) de l’Université de Madère au Portugal s’intéresse au rire dans la pédagogie. Ses recherches tendent à démontrer qu’il accroît l’attention des élèves et crée une proximité augmentant l’efficacité de la transmission des connaissances. Pour sa part, Mathieu Ronchin (2), considère que la première de ses réussites comme enseignant est de faire entrer l’humour en classe afin que les élèves s’y sentent bien et puissent rire en liberté… Plus nuancé, Bernard de France (3) craint que rires et fous-rires déclenchés par des plaisanteries, des traits d’humour, des vannes ou des râteaux, entraînent un dérèglement incontrôlable, pour un mot de trop.
Option LOL
L’humour intervient officiellement dans la formation des cadres de l’éducation nationale. L’ÉSEN a mis au point une série de vidéos relatant les aventures et les mésaventures édifiantes d’un certain Monsieur Laguigne qui pourrait être un cousin de Gaston Lagaffe. Même si le choix de la plaisanterie comme didactique peut céder à un simple jeunisme, il s’agit de laisser opérer le potentiel didactique de l’humour sur un contingent de cadres qui n’ont pas nécessairement envie de rire, notamment durant des stages dûment paramétrés par leur hiérarchie.
Dans une classe, les éclats de rire et les fous rires sont quelques fois des aléas dont se passerait l’enseignant. Il arrive qu’ils indiquent une saturation voire une rupture que les élèves manifestent par des blagues, des rigolades, des canulars, afin d’exorciser l’ennui, la fatigue, le stress ou les hésitations d’un prof …
Si le comique de potache n’est pas toujours le bienvenu, le rire n’est pas pour autant exclu de classe. Au contraire, certains enseignants défendent sa place dans la pédagogie à condition qu’il soit maîtrisé. Christine Escallier, précise que dans les phases parfois anxiogènes, le rire apporte une forme de quiétude et accepter son rôle est une des solutions à l’agitation qui règne de temps à autre dans une classe.
L’un des paradoxes de l’humour c’est qu’il contraste avec la représentation standard d’un contexte scolaire studieux, sérieux voire empreint de gravité et dans certains cas d’infatuation. Mais, ce décalage de ton, peut céder à l’analyse. Si l’on admet communément que le rire est l’expression d’une émotion, il peut fédérer les élèves et introduire des moments de cohérence entre eux. En l’occurrence, le rire atténue des tensions, relativise des conduites indisciplinées ou désamorce des tendances agressives. Par ailleurs, il peut dédramatiser l’obstruction et la passivité de certains élèves et même au-delà contourner l’ostracisme d’une classe à l’encontre d’une matière redoutée ou de l’enseignant qui l’incarne.
De temps à autre, rire en classe, tous ensemble, crée sans doute une cohésion bénéfique. Sans se livrer à des expérimentations zygomatiques normalisées, tout enseignant peut observer que le rire est un bon vecteur relationnel. Il développe des alliances entre les élèves et évidemment entre l’adulte et les élèves. Il appartient aux codes sociétaux transmis par l’éducation aussi bien pour découvrir que l’on ne peut pas rire de tout, que pour intégrer les règles et les mécanisme de ce qui fait rire à tous les coups.
L’inclusion du rire dans la pédagogie est synonyme pour certains d’un foisonnement d’animations divertissantes ou de clowneries désopilantes. C’est une orientation que développe un article intitulé faire Allumez le FLE (4) ! On y présente avec envie la Ron Clark academy (5) d’Atlanta où les élèves sont pris dans une kermesse permanente qui propose un programme basé sur la joie de vivre, les divertissements et la fantaisie… Les professeurs se déguisent, chantent et dansent tandis que les examens ressemblent aux épreuves d’un jeu-de-piste en colo. Selon Isabelle Bourgeois (6) une évaluation de ces méthodes hyper-ludiques laisse apparaître qu’elles portent leurs fruits parmi des élèves issus de familles pauvres.
Le rire fou
Christine Escallier insiste sur le fait qu’un professeur doit connaître les limites de l’humour pédagogique faute de quoi il obtiendrait soit le désappointement et la stupeur ; soit au contraire l’exubérance et l’indiscipline. Le professeur doit donc balancer entre humour et sérieux, souplesse et fermeté, présence et distance afin de ne pas sortir de son rôle et perdre toute crédibilité (7) . Il doit créer une ambiance propice à l’étude en compensant l’effort intellectuel de compréhension et de mémorisation demandé aux élèves par des phases de dépressurisation et de décontraction ou le rire a sa place.
Si la bonne humeur ne pose aucun problème, les plaisanteries même si elles abondent le rire, peuvent être de mauvais goût. En classe Bernard de France (8), se méfie de son propre humour: je ne sais jamais très bien comment il risque d’être reçu. J’ai l’impression que certaines plaisanteries sont interdites. Mais comment rester conscient de la limite à ne pas franchir ? Et cette limite n’est-elle pas différente selon chaque élève, et pour un même élève, variable en fonction de son humeur du moment ? Et puis… serais-je toujours capable d’admettre la réciprocité ? Ce que je croyais être de “ l’humour ” risque d’être perçu par l’élève comme ironie blessante et, réciproquement, ce que les élèves pensaient n’être qu’attitude anodine risque de m’apparaître comme “ insolence ”… Bernard de France précise que ce qui manque le plus à un professeur pour exercer avec efficacité, c’est d’une part le respect des élèves ; d’autre part, le sens de l’humour sur lui-même.
Quel que soit le type d’humour employé en classe, il faut qu’il reste neutre (9) . Christine Escallier suggère d’éviter par exemple des boutades sur la religion ou la politique parce qu’elles pourraient être considérées comme un moyen détourné pour le professeur d’opérer une intrusion dans les consciences. Cette prudence thématique n’est pas sans intérêt puisque face à l’humour d’un enseignant il faut admettre que l’élève, en retour, jouisse d’une sorte de droit de réponse et puisse faire rire ses camarades au détriment du professeur. Sur cette question précise, les partisans du rire en pédagogie, ne sont pas très diserts. Y a-t-il inégalité prof-élève face à l’humour ? On ne trouve pratiquement pas de réflexions sur la cruauté du rire lorsqu’il est utilisé comme une arme par un enseignant pour démolir un élève.
Dans cet ordre d’idée, Jean-Claude Gawsewitch (10) rend hommage à ces enseignants qui ne se contentent pas d’appréciations convenues pour oser l’originalité. Il inventorie plus de deux cent citations issues de bulletins de notes. Elles ont toutes un piquant acerbe et redoutable, car les profs qui les ont conçues sont terriblement drôles. Cette drôlerie féroce est un art qui se perd, déplore Jean Paul Brighelli car la cruauté augmentant le stress de l’élève, il n’y aura bientôt plus que des petites croix sur les bulletins. La nostalgie brighellienne n’est pas exactement un fleuron de la pensée pédagogique contemporaine. On peut simplement observer que nombre d’appréciations apposées de-ci, de-là, par certains professeurs procède d’une incurie manifeste quant à la considération due aux élèves et à leur parents.
Gilbert Longhi
Notes
1 Pédagogie et humour : le rire comme moyen de construction d’un public attentif d’une salle de classe. Christine Escallier University of Madeira, Portugal
2 Article
3 Article
4 Qui est prêt à relever le défi en adaptant cette méthode à la classe de FLE ?
5 Article de trois étudiantes en master FLE (Français Langue Étrangère)
7 Pédagogie et humour : le rire comme moyen de construction d’un public attentif d’une salle de classe. Christine Escallier University of Madeira, Portugal
8 Article
9 Pédagogie et humour : le rire comme moyen de construction d’un public attentif d’une salle de classe. Christine Escallier University of Madeira, Portugal
10 Éditeur : Jean-Claude Gawsewitch (2011) ISBN : 2350132846