Le déclin de l’institution scolaire viendra-t-il du dehors ou du dedans ? Il semble bien que plusieurs initiatives actuelles semblent poser la première hypothèse comme probable. Multiplication des écoles et universités d’entreprises, développement de nouvelles écoles privées, soutenues ou non par des fonds privés (et autres subventions), voilà quelques éléments qui interrogent un paysage marqué en France par la domination d’un enseignement public et privé sous contrat (financé par l’Etat en grande partie). Le projet de la « grande école numérique » lancé en 2015 semble aussi indiquer un chemin nouveau qui semble avoir été initié en France par Xavier Niel et l' »Ecole 42″ et ses responsables qui considèrent le prof comme un frein et qui laissent le travail automatisé de suivi à l’ordinateur et aux pairs. De même un responsable d’une société qui « vend des MOOCs » se plaint-il de l’inadaptation du système par rapport à son modèle d’enseignement sans présence.
Faire sauter la forme scolaire
Deux idées semblent marquer certaines de ces écoles : l’accueil de jeunes sans regarder à leurs diplômes ou scolarité antérieure, mais bien leur projet, leur envie, leur engagement ; une formation « sans cours » au sens propre du terme, sans enseignant (du moins apparemment pour certaines) une formation basée sur des problèmes à résoudre, des projets à réaliser, et une dose d’auto-apprentissage et de co-apprentissage. Ainsi la « Pop School » présente-t-elle son approche : « POP School propose une méthode d’apprentissage innovante, immersive, agile et horizontale, privilégiant le pair à pair, le mode projet et le développement de la capacité de collaboration. Il s’agit d’une démarche expérimentale, complémentaire à l’offre de formation secondaire et professionnelle, qui permet de répondre de manière agile à des besoins non couverts aujourd’hui, dans un double objectif d’adaptation et de développement de connaissances. »
On pourrait multiplier les citations de ces initiatives qui prétendent inventer de nouvelles formes d’apprendre. On pourrait aussi les mettre en regard des « innovations pédagogiques » de toutes sortes pour essayer de comprendre les évolutions proposées, souhaitées ou pas. Il semble bien que ce soit en s’attaquant à la forme scolaire de manière radicale que les propositions qui apparaissent soient les plus vives. En effet certaines universités ou écoles d’entreprise sont de pâles copies du système académique en place. Mais d’autres s’attaquent à quelques dogmes de l’école comme nous l’avons vu plus haut. Si l’on analyse l’introduction des moyens numériques dans le système scolaire et universitaire, on peut effectivement constater qu’à côté des innovations médiatisées il y a de vastes terres quasi désertiques… ou imperméables aux technologies de l’information et de la communication (10% des enseignants de la Sorbonne par exemple, impliqués réellement).
Des pratiques disruptives ?
Le changement viendra-t-il des start-ups et autres sociétés dont les patrons donnent des leçons de réussite et d’avenir ? Là encore ne nous faisons pas d’illusion, il en est des entreprises comme du monde académique : il y a quelques arbres qui cachent une forêt. Et dans le monde de l’entreprise, on ne parle pas du crash de la très grande majorité des start-up (on peut lire le livre de Mathilde Ramadier, « Bienvenue dans le nouveau monde », Premier Parallèle 2017) tant sur le plan économique qu’humain. Dans le monde scolaire on parle peu des élèves en difficulté, sauf pour se donner bonne conscience et se rappeler qu’on pense à eux… sans pour autant modifier le système (cf. PISA). Pour le numérique dans les établissements, c’est la même chose, nous avons eu l’occasion de rappeler les pratiques ordinaires qui marquent une généralisation de certains matériels, logiciels, de certaines pratiques, mais qui sont bien loin de ce que la médiatisation fait réellement l’apologie.
Les discours politiques ne sont pas rassurants, on le verra dans une prochaine chronique. Il n’y aurait donc pas de porte de sortie pour un système qui finalement est assez content de lui. A écouter nombre d’acteurs institutionnels, effectivement on s’y trouve plutôt bien, même si on déplore à intervalles réguliers les résistances. Car finalement l’Ecole est un élément de la stabilité sociale. Et comme son modèle fait suffisamment consensus, on se contente de montrer de temps en temps des innovations, dites parfois fulgurantes ou disruptives (c’est pour le discours) afin de mieux contenter le statu quo. Mais cela nous donne une indication nouvelle : la stabilité sociale est-elle durable ? Si l’Ecole est amenée à changer c’est par la transformation sociale. On s’étonne que le politique n’ait pas su profiter de la déstabilisation provoquée par le chômage massif pour inventer de nouveaux chemins. On s’étonne aujourd’hui que les propositions concernant le numérique se limitent pour certains à l’apprentissage du code informatique (la programmation…) mais surtout comme on enseignait jadis le latin. Et pourtant quelques idées, à l’origine de l’ISN (projet) comme à l’origine du B2i (compétences, transdisciplinarité), avaient montré cette nécessité de trouver de nouveaux chemins. L’arrivée de PIX, proposant une certification externe (on l’espère) au système académique, est probablement un signe qui va aussi vers une évolution du système d’évaluation des apprentissages. On touche là à quelques dogmes scolaires : évaluation, apprentissage par vrais projets d’élèves, approche par compétences.
La fin de l’élitisme?
Il est vain de vanter les propositions spectaculaires de certains et certaines. Cela est d’abord un écran de fumée. Il est temps de questionner sur le fond un modèle de scolarisation et plus généralement de formation et d’apprentissage qui n’a pas encore réellement pris en compte l’idée de « formation tout au long de la vie ». Car l’enjeu, de Condorcet à Dumazedier, de Philippe Carré à Sugata Mitra, c’est de montrer que c’est le sujet qui se construit tout au long de sa vie et que les environnements qui lui sont proposés doivent être porteurs au lieu de se contenter de filtrer et de sélectionner les meilleurs. La fin de l’élitisme comme modèle idéal de ceux qui peuvent accéder à l’élite….
Bruno Devauchelle