Changement complet de ton rue Saint Jacques. Après 5 années de discours de complémentarité avec le public, le secrétariat général de l’enseignement catholique (SGEC) lance une vraie offensive. A la veille de l’élection présidentielle, il publie une « contribution » au débat électoral qui ressemble bien à une déclaration de guerre scolaire. Pascal Balmand, secrétaire général de l’enseignement catholique, s’en défend. Mais certaines propositions ressemblent fort à des provocations à la fois pour le camp laïc et pour les propres enseignants du privé dont le statut serait revu. Pour beaucoup, les « convictions pour avancer » du SGEC s’apparenteront à la réaction.
Faire sauter la règle du 80/20
« L’avenir du pays se joue dans son école ». Pascal Balmand, secrétaire général de l’enseignement catholique, présente le 28 février « la contribution de l’enseignement catholique pour l’école », une réflexion destinée aux candidats à la présidence.
L’enseignement catholique affirme vouloir « rassembler autour d ‘un pacte éducatif ». « On se situe dans la recherche d’un bien commun », poursuit P Balmand. Mais ce bien commun suppose un véritable bouleversement des rapports entre l’Etat et les établissements privés et une refonte du statut des enseignants. « Le système scolaire doit se penser au plus près des élèves », estime P Balmand et c’est ce qui justifie de revoir les accords existants avec l’Etat.
L’enseignement catholique veut faire sauter l’équilibre budgétaire existant avec l’Etat. Depuis 1992 et les accords Lang – Cloupet, il est convenu que 20% des postes d’enseignants payés par l’Etat sont des postes du privé. Ces accords sont déjà favorables au privé qui ne scolarise que 18% des élèves. Mais pour le SGEC, « il s’agit d’un usage, ils ne sont pas gravés dans une loi ».
Mettre les maternelles sous contrat
Mais le SGEC demande expressément de « programmer les moyens attribués à l’enseignement privé sous contrat en fonction du besoin scolaire reconnu » et donc « reconsidérer l’usage du 80/20 ». P Balmand ne fixe pas de chiffre. Interrogé sur le nombre d’élèves susceptibles d’intégrer le privé en plus de l’existant, il se déclare qui incapable de le fixer mais l’estime à 30 ou 50 000. « Il ne s’agit pas de tout bouleverser et évidemment pas de rallumer la guerre scolaire », dit P Balmand. « Mais il s’agit de ne pas emprisonner la réalité dans un cadre mal ajusté ». Le Sgec veut que l’on vérifie dorénavant régulièrement si « les équilibres correspondent aux besoins ».
Cela ne lui suffit pas. L’enseignement catholique entend aussi que l’Etat l’aide à ouvrir des établissements dans les territoires prioritaires. Enfin il demande l’extension de la scolarité à partir de 3 ans. Cette mesure, si elle était appliquée, ne changerait rien pour le public mais beaucoup pour le privé. En effet les écoles maternelles privées ne sont pas sous contrat comme les écoles élémentaires. Autrement dit l’Etat prendrait en charge leurs dépenses de personnel et de fonctionnement.
Comment payer cette extension du privé? « Je ne demande pas de suppressions de postes dans le public », dit Pascal Balmand. « La bonne porte ce n’est pas de dépenser plus mais de gérer différemment. Il y a une réflexion à mener sur le volume d’emplois quine sont pas devant élèves ». En clair les postes de la formation des enseignants et ceux des permanents syndicaux du public…
Désétatiser l’éducation
Une seconde série de recommandations concernent le rôle de l’Etat dans le système éducatif. L’enseignement catholique souhaite le voir réduit au minimum au bénéfice d’accords avec les académies et les collectivités locales, particulièrement les régions. Si l’Etat garderait la rédaction des programmes, chaque établissement disposerait d’une large autonomie dans leur application.
L’enseignement catholique veut » promouvoir une flexibilité concertée dans l’utilisation des heures d’enseignement, pour favoriser la capacité d’adaptation des équipes pédagogiques aux besoins des élèves ». Au niveau de l’établissement, » il faut passer d’un pilotage par décret et par circulaire à une culture du contrat : elle permet que le projet de l’établissement se développe de manière autonome, et qu’il se réfère cependant à des objectifs partagés avec l’Etat ». En ce sens il demande d’attribuer à chaque établissement les moyens de son autonomie, notamment la pleine responsabilité du chef d’établissement et une gestion de la dotation horaire réellement globale et autonome ».
Interrogé par le café pédagogique, P Balmand estime qu’il ne s’agit pas d’un effacement de l’Etat mais « d’un glissement différend au sein de la puissance publique », les collectivités locales et surtout la région se substituant à l’Etat sur une base contractuelle.
Un nouveau statut pour les enseignants du privé
C’est aussi un nouveau statut des enseignants que demande l’enseignement catholique. Plus que d’autonomie des établissements il est question de donner » la pleine responsabilité de l’établissement au chef d’établissement ». L’enseignement catholique veut » redéfinir les règles du recrutement et du statut d’enseignant, pour attirer de nouveaux talents » et revoir la rémunération des enseignants selon « le périmètre de leurs nouvelles missions ». Leur évaluation dépendrait de » la prise en compte des performances ». Pascal Balmand demande aussi l’annualisation du service des enseignants, la bivalence au collège et l’obligation de faire des remplacements dans des disciplines proches de la sienne.
Un dernier point a été évoqué par Pascal Balmand: celui des établissements hors contrat. L’enseignement catholique s’est opposé au principe d’autorisation d’ouverture et entretient des liens nouveaux avec plusieurs établissements hors contrat. Le Sgec n’est pas hostile au financement par l’Etat de ces établissements par des « contrats de projet ». Il demande aussi l’assouplissement de la période de 5 ans pour pouvoir ouvrir un établissement sous contrat, ce qui ouvre la porte à une intégration rapide du hors contrat.
La Fep Cfdt opposée
« Ces propositions ressemblent aux « mesures alternatives » que l’enseignement catholique avaient proposées sous Sarkozy », estime Bruno Lamour, secrétaire général de la FEP Cfdt, premier syndicat enseignant du privé. « S’ils vont sur ce chemin on sera contre… La rupture du 80/20, si c’est pour détricoter le service public on y sera aussi opposé », nous a-t-il dit. « L’enseignement privé doit avoir sa place mais à condition que ce soit une partie prenante du public et non une alternative ou un recours ».
Le New Public Management protestant
En fait la « contribution » de l’enseignement catholique n’a rien d’original. Certains points sont d’ailleurs inscrits dans des programmes électoraux. L’enseignement catholique propose d’appliquer en France, avec retard, les recettes du new public management déjà essayées en Angleterre ou en Suède. La responsabilisation des enseignants liée à l’individualisation de leur rémunération, le passage d’un statut d’agent public à celui d’employé d’un établissement, tout comme le passage des établissements d’une gestion nationale à une contractualisation locale a été testée par exemple en Suède. Le pays a aussi essayé le chef d’établissement tout puissant. L’échec est cuisant :niveau des élèves en baisse, pénurie d’enseignants et chefs d’établissement dégoutés.
Mais rien n’y fait. L’enseignement catholique saisit l’occasion d’une élection qui semble gagnée d’avance pour pousser plus loin son poids dans le pays et reprendre la main sur son personnel. Quitte à adopter les recettes des pays protestants …
François Jarraud