L’Ecole peut-elle devenir le lieu où apprendre à construire ensemble l’égalité entre filles et garçons ? Assurément pour Claire Berest, enseignante au lycée de l’Iroise à Brest, qui travaille concrètement à tisser cette culture de l’égalité. En tant que professeure de lettres, elle mène des projets divers pour combattre avec les élèves les stéréotypes de sexe ou les déterminismes d’orientation. En tant que « référente mixité » de son établissement, elle anime un groupe de travail avec ses collègues pour élaborer une charte de l’égalité entre filles et garçons susceptible d’interroger les comportements dans la cité scolaire. Eclairages sur les défis à relever, essentiels, et les actions menées, transférables…
En tant qu’enseignante, quelles actions avez-vous menées auprès des élèves pour favoriser l’égalité fille-garçons ?
Depuis plusieurs années, nous essayons dans l’établissement de mener des actions de sensibilisation et d’éducation à l’égalité entre filles et garçons, notamment en partenariat avec la Ligue de l’enseignement dans le cadre de la quinzaine « La mixité sex’prime » dont les temps forts se situent au mois de mars, aux alentours de la journée des Droits des Femmes. Ces actions permettent de faire un zoom sur cette question en l’abordant chaque année sous un angle différent : l’engagement, les arts, les sciences, la guerre … Ce projet permet notamment aux élèves de rencontrer des journalistes, des femmes politiques, des autrices, des chercheuses … Je garde ainsi un souvenir particulièrement fort, l’année où le thème retenu était celui du sport, des rencontres entre les élèves et la boxeuse Aya Cissooko, à laquelle ils avaient présenté une lecture théâtralisée de son récit Danbé, et la sociologue Anaïs Bohuon dont le travail sur les tests de féminité chez les sportives de haut niveau avait ébranlé la classe.
Nous menons aussi des projets plus spécifiques à l’établissement, notamment dans le cadre de l’A.P, par exemple, au moment de Noël, autour des stéréotypes de sexe en prenant appui sur les catalogues et rayons de jouets. Ce travail aboutit à la création d’expositions qui visent à sensibiliser l’ensemble de la cité scolaire et notamment les élèves du collège. Il a été prolongé cette année par un projet de cyber citoyenneté puisque nous avons proposé aux élèves de créer un compte Twitter sur les jouets sexistes et non sexistes. Une année, nous avons réussi à articuler ce travail sur une classe de 2nde et une classe de 6ème en bâtissant un projet commun « Ensemble construisons l’égalité entre filles et garçons » : ateliers de lecture d’images animés par les lycéens pour les collégiens, mise en voix d’un album pour enfants Dinette dans un tractopelle, rencontre avec l’auteur et l’éditrice de Talents hauts … à leur tour les 6èmes avaient monté une brigade d’intervention qui proposait des séances de sensibilisation aux élèves du collège …
Vous êtes aussi « référente mixité » de votre établissement : en quoi consiste cette mission ?
Le réseau des référent.e.s a été mis en place en ce qui concerne le second degré en 2010. Il est composé de membres d’établissements scolaires qui à divers titres (équipe médicosociale, C.P.E, enseignants …) essaient de travailler à transmettre une culture de l’égalité entre les sexes, à renforcer l’éducation à l’égalité et au respect mutuel, à s’engager à une plus grande mixité des filières de formation et à tous les niveaux d’étude. C’est une sorte de maillage au plus près des établissements scolaires qui permet de faire circuler l’information, de mutualiser les ressources et expériences, de faciliter les échanges et d’impulser des projets. Ce réseau est coordonné par une chargée de mission académique égalité filles-garçons
Qu’avez-vous entrepris dans le cadre de cette fonction de « référente mixité » ?
Un des intérêts de faire partie de ce réseau est qu’en donnant une certaine « reconnaissance » au travail mené à chacun dans son établissement, il impulse aussi le désir de réaliser de nouvelles actions.
Ainsi l’an dernier avons-nous voulu monter un projet autour de l’orientation à rebours de ce qui se fait le plus souvent, en mettant en valeur des parcours masculins dans la filière L, à travers les témoignages d’anciens élèves du lycée. En effet l’école aborde le plus souvent la question de la mixité par le prisme de la masculinisation excessive de certaines filières, mais s’attaque plus rarement à l’hyper féminisation d’autres filières. Cette approche différenciée de la sexualisation des séries pose problème car l’on ne pourra émanciper les un.e.s sans prendre conscience qu’il faut aussi émanciper les autres. S’il faut inciter, bien sûr, les filles à avoir de l’ambition professionnelle et à ne rien s’interdire, il faut aussi arrêter d’assigner les garçons à un rôle de domination, les inviter à développer leur sensibilité, leur imaginaire, leurs qualités humaines, et les aider à aller du côté des carrières littéraires, des carrières sociales ou des métiers de la petite enfance. Remarquée par l’ONISEP cette exposition, que nous avions réalisée de manière très artisanale, est en train d’être mise en forme afin de pouvoir véritablement circuler et être exploitée dans les établissements scolaires.
Cette année nous avons monté un groupe « Charte de l’établissement égalitaire » inter catégoriel et inter cycles qui essaie de réfléchir à l’élaboration d’une première mouture d’une charte de l’égalité entre filles et garçons. Celle-ci aurait vocation à être l’an prochain proposée à l’ensemble de la communauté éducative pour être discutée et finalisée, puis votée et inscrite dans le projet d’établissement ; l’idée étant qu’elle puisse peut-être devenir une sorte de « Charte zéro » proposée aux établissements scolaires.
En parallèle nous espérons pouvoir l’année prochaine impulser un groupe de réflexion dans le cadre des CVC et CVL qui permettrait aux élèves à leur tour de bâtir leur propre charte.
De manière générale, quels souhaits formuleriez-vous pour que l’Education nationale renforce son action en faveur de l’égalité filles-garçons ?
Le premier travail à mener concerne la formation initiale : comment les ESPE s’emparent-ils de la question et comment en font-ils un véritable axe de réflexion dans la formation des maîtres ? Je n’ai pas la réponse à cette question, mais j’espère qu’elle n’est pas abordée uniquement dans un module de deux heures en cours de master 2 …
L’institution se doit aussi de donner l’exemple en s’interrogeant sur les programmes, ou en mettant tout simplement en œuvre certaines préconisations concernant la démasculinisation du langage par l’utilisation d’outils de communication non sexistes, non discriminants, non stéréotypés. Par exemple, lorsque le recteur de l’académie de Rennes rédige un article dans le Bloc-Notes académique en utilisant le point médian, il envoie un signal fort à chaque acteur et chaque actrice du système ; c’est à chacun.e d’entre nous à l’endroit où il et elle se trouve d’être vigilant.e, d’interroger ses pratiques en prenant conscience que cette préoccupation fait partie de ses missions.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Projet de cybercitoyenneté autour du Pere Noel Sexiste