Catherine Hurtig-Delattre est enseignante depuis plus de 30 ans, et directrice d’école maternelle depuis 5 ans. Elle prône une coéducation reposant sur trois piliers accueillir, informer, dialoguer. Elle implique les parents d’élèves dans une relation à l’école grâce à la participation à des projets personnels ou collectifs. Catherine Hurtig-Delattre revendique sa double casquette de parent et d’enseignante ; par ailleurs, elle est engagée dans l’ICEM-Pédagogie Freinet, les comités de soutien RESF et a tissé des liens avec ATD quart monde. Son livre est un vade-mecum de la coéducation à destination des enseignants et des parents. Son premier ouvrage en 2004 Restaurer le goût d’apprendre (L’Harmattan) a constitué un apport remarqué à la réflexion pédagogique actuelle.
La coéducation à l’école, c’est possible!
La circulaire ministérielle du 15 octobre 2013 stipule que l’école doit … renforcer la coopération entre les parents et l’école dans les territoires… Y a-t-il un rapport entre la coéducation que vous vivez dans votre école et cette coopération officielle ?
S’il s’agit de savoir si j’ai mis en place cette coéducation pour répondre aux injonctions officielles, la réponse est évidemment non. Les propositions que je fais sont issues de convictions de longue date, ancrées dans mon expérience d’enseignante, de parent et de militante. Par contre, j’ai longtemps regretté que ces actions de coopération n’aient pas le statut de « gestes professionnels », qu’ils ne soient pas encouragés clairement par les circulaires, qu’ils ne fassent que rarement l’objet de formations, qu’ils ne fassent pas partie des items d’évaluation des enseignants. Car si l’institution ne demande pas cette coopération, celle-ci devient un acte de volontariat, que chacun est libre de mettre en œuvre ou pas. Or elle est à mes yeux indispensable et «au cœur du métier» et non en périphérie. Je trouve donc très positif le contenu de cette circulaire de 2013, et d’autres textes qui ont suivi, en 2015 et 2016. Mais ce ne sont pas des circulaires qui suffisent à faire bouger les pratiques…
Les mamans qui causent avec la maîtresse à la sortie des classes… Est-ce de la coéducation ?
Oui, bien sûr ! La coéducation est en œuvre à chaque fois que des acteurs de l’éducation d’un enfant communiquent, de manière formelle ou informelle. Beaucoup de choses se jouent dans ces conversations au quotidien: parents et enseignants se donnent mutuellement des informations sur ce que vit l’enfant de part et d’autre, et échangent, souvent « l’air de rien » sur leurs différentes manières d’envisager telle ou telle situation éducative.
La coéducation exige-t-elle des capacités professionnelles spécifiques ? Comparées aux compétences des enseignants traditionnels quels talents doit développer un enseignant favorable à la coéducation ?
D’après les textes officiels, ce sont tous les enseignants qui devraient développer ces compétences spécifiques! Mais il est vrai que cela se construit petit à petit : je pense qu’il s‘agit surtout d’une posture. L’accueil et le dialogue demandent une capacité d’écoute, de disponibilité, de souplesse, de décentration. Cette posture permet de viser un dialogue « asymétrique à parité d’estime », une notion qui m’est chère. Il s’agit d’assumer nos disparités de statuts, tout en abandonnant le surplomb à laquelle notre position d’expert pourrait nous inciter, pour tenter de faire « alliance sans demander l’allégeance ».
Quels sont les dispositifs essentiels à mettre en place dans une école pour faciliter la coéducation ?
Vous avez parlé des 3 piliers : accueillir, informer, dialoguer. Les dispositifs existent dans toutes les écoles. Mais il s‘agit d’y accorder une attention constante, d’y mettre du sens et du poids, d’y adopter une posture d’ouverture.
Accueillir signifie penser les modalités de l’entretien d’inscriptions, de l’accueil au quotidien, créer si possible des « espaces de coéducation » (ou lieu-accueil parents)…
Informer signifie s ‘interroger sur l’efficacité des outils mis en place, conjuguer les moyens traditionnels (affichages, cahiers de liaison) et les moyens actuels (mails, blogs…)
Dialoguer signifie rechercher cette « parité d’estime » dans tous les espaces de rencontre, depuis le règlement d’un incident mineur jusqu’à l’équipe éducative. Les entretiens individuels systématiques sont un outil puissant de dialogue, pratiqué par la plupart des praticiens de la pédagogie Freinet.
Quel bilan faites-vous de vos années en coéducation ? Quels sont les résultats constatés ?
C’est une aventure formidable, faite de rencontres vraies avec des personnes qui pensent et agissent différemment de soi, et qu’on renonce à souhaiter semblables à soi. C’est un chemin difficile, semé d’obstacles et d’embûches, toujours à recommencer, mais qui vaut largement la peine. Les résultats sont tangibles : par le bien-être exprimé par les parents dans l’école, par une sensation de confiance mutuelle propice aux apprentissages des enfants, par la participation parentale à ce qui est proposé par l’école, ainsi que par la plus grande facilité à régler la plupart des situations conflictuelles.
Avez-vous rencontré des freins, des obstacles, des hostilités… ?
Les freins sont nombreux, liés essentiellement à la surcharge de travail des enseignants, à notre manque de formation sur ces sujets, à une insécurité professionnelle ressentie lorsque l’ouverture aux parents est importante. Les obstacles sont innombrables, ils sont le pain quotidien de la coéducation : le challenge permanent c’est de les surmonter!
Il y a aussi des risques de dérive: vers l’excès d’empathie, vers la confusion des rôles, vers l’envahissement chronophage… Mais des hostilités, non : j’ai la chance de travailler dans un quartier multiculturel où le dialogue et la solidarité sont largement pratiqués, et dans une équipe de professionnels ouverts aux parents. Il a été plus facile aussi de mettre en œuvre cette expérience au moment où les textes officiels vont dans le même sens.
Selon vous, la tension et l’opposition sont nécessaires à la bonne marche de la coéducation … Est-ce que l’implication des parents dans la vie scolaire de leurs enfants transforme l’école en ring de boxe ?
Non, absolument pas ! Il ne s’agit pas de favoriser la tension ou l’opposition, mais de les accepter comme constitutives d’une situation de dialogue dans laquelle les protagonistes ne peuvent pas être toujours d’accord. La coéducation n’est pas une science exacte, elle est affaire de valeurs et de méthodes. Il y a de multiples manières d’éduquer un enfant à la maison, et de multiples manières de gérer une classe. A partir de là, la complémentarité doit se construire en acceptant non seulement les différences, mais aussi les désaccords. C’est ce que j’appelle « le deuil de l’entente cordiale » car cette entente ne peut être à mon sens qu’une illusion avec prise de pouvoir d’un côté ou de l’autre. L’acceptation des tensions et des débats, c’est le propre de la démocratie…
Que voulez-vous dire quand vous expliquez que la confiance des parents dans l’école n’est pas livrée en kit…
Je ne fais partie des nostalgiques d’un âge d’or disparu, mais on ne peut nier que l’institution scolaire a perdu son « aura ». On peut imaginer que les générations de parents qui donnaient « carte blanche » à l’école n’en pensaient pas moins dans certains cas : de toute façon, ils n’étaient pas invités au dialogue! Mais le fait est qu’ils ne contestaient que rarement l’autorité du maître, du moins dans son champ de compétences. Aujourd’hui de multiples facteurs conduisent les parents à être à la fois mieux informés, plus méfiants et plus consuméristes face à l’école. Dans ce contexte, je pense que la confiance se construit, se tisse, se mérite. Elle se construit non pas en se laissant dicter ce que l’on devrait faire, mais en étant ouverts, explicites et fiables. Et en considérant cette notion de confiance comme une affaire réciproque.
Dites quelques mots à nos lecteurs sur le guidage éthique qui vous inspire une bienveillance institutionnelle pour vivre la coéducation à l’école ?
Les enseignants sont malmenés : ils vivent leur métier dans un contexte sociétal difficile. Les parents le sont aussi, confrontés à la précarité, au chômage ou au surmenage, au manque ou à la multiplicité de normes éducatives … La mise en œuvre de la coéducation demande une vraie disponibilité et confronte à toutes ces difficultés de société. Elle apporte une grande richesse mais elle fragilise aussi, demande beaucoup de temps, d‘énergie, de vigilance éthique pour garder le cap du respect de l’autre. La bienveillance institutionnelle serait de valoriser ces démarches, de proposer des espaces de parole et d‘analyse de la pratique, de mettre en oeuvre des formations, de s’appuyer sur le savoir-faire des associations et des mouvements pédagogiques. Le chantier est ouvert, espérons qu’il se poursuivre !
Propos recueillis par Gilbert Longhi
Hurtig-Delattre Catherine, La coéducation à l’école c’est possible ! , Chronique sociale, ISBN : 978-2-36717-221-7.