Une information est un fait. C’est un objet tangible, observable, stockable, analysable. Mais ce n’est qu’un fait de deuxième main. Autrement dit une information c’est d’abord un fait transformé en signe. C’est le signe (ou signal) qui est cet objet que l’on appelle information. De deuxième main, car entre le fait originel et l’objet d’information, il y a transformation. Cette transformation pose question. D’une part sur le sens, d’autre part sur la forme, les deux étant bien sûr liés. Récemment nous interrogions dans ces colonnes la question de la médiation humaine de l’information. Cette fois-ci nous voulons interroger l’information comme objet en lien avec ce qui lui donne sa raison d’être. Autrement dit, cela permet d’interroger aussi les notions d’objectivité, de fausses informations, de médiation technologique etc.… tout ce qui concourt à la fabrication d’une information. Cela permet aussi de questionner l’idée selon laquelle on pourrait « labelliser » une information.
Le filtre des technologies
Nous critiquons volontiers la jeunesse par rapport à sa naïveté face aux informations mais elle la découvre comme un déjà là du monde adulte. Aussi nous prônons l’esprit critique et tentons de délivrer des méthodes objectivantes pour éviter à nos élèves de subir cette information. Et pourtant quand nous observons autour de nous, nous comprenons rapidement qu’il faut rester modeste. Adultes comme jeunes, nous sommes confrontés à un monde d’information extrêmement riche, trop riche (on parlait lors de la généralisation d’internet des risques d’infobésité… il y a quinze années déjà). Imitation (Bandura) et analogie (Sander, Hofstadter) sont deux processus qui participent de la construction de nos connaissances qui sont fortement influencé par ces informations qui nous sont transmises. D’un côté nous les recevons comme s’ils étaient les faits (imitation) et ensuite nous tentons de les adapter à notre représentation du monde (analogie). Cette construction progressive dans notre cerveau est bien sûr complexe, mais tout nous invite à ne pas être suffisamment critique face à l’information que nous confondons souvent avec les faits qu’elle rapporte
Notre relation à l’information s’effectue toujours à partir d’un support, matériel ou humain. Nous mettons ici de côté le support humain (nous en avons déjà parlé récemment) pour nous intéresser au support matériel. Papier, radio, vidéo, télévision, cinéma, télécopie, smartphone etc. les supports se sont diversifiés et multipliés au cours des années en particulier au XXè siècle et cela semble se poursuivre. Si certains de ces supports ont évolué, voire ont disparu, la plupart sont encore présents parfois sous des formes un peu différentes, parfois réunis dans le même appareil, le même objet technique. C’est donc au travers de technologies qui ont bien des particularités propres que nous percevons l’information. L’exemple de l’illusion d’optique ou encore celui des peintures dites en « trompe l’œil » indiquent bien combien nos sens sont peu discriminants dans certains cas. De même la comparaison entre nos sens et ceux des animaux montre que nous ne percevons pas les informations de la même manière. D’une part la médiation technique, d’autre part notre système perceptif, voilà deux éléments qui amènent à mettre en cause l’information que nous recevons (nous laissons de côté la part d’humain dont nous avons parlé dans une précédente chronique).
L’expérience de Decodex
La tentative récente du journal le Monde de proposer un outil « le decodex » » un moteur de recherche permettant de vérifier la fiabilité des sites d’information » est intéressante. Outre les critiques (cf. le lien ci-dessous) venues d’un blog de média concurrent (Libération), dont on comprend aisément que cette intention du « decodex » est certes louable mais ô combien critiquable, on peut s’interroger sur la possibilité même d’une telle vérification. On remarque tout de suite que ce sont des sites et non pas des informations qui sont évaluées. Déjà à ce point du raisonnement, on voit la limite qui consiste à globaliser la fiabilisation. De plus l’argument du professionnalisme qui semble sous-jacent est un argument « technique » qui doit être questionné. L’installation de procédures précises telles que les professionnels des médias les mettent en place (comité de rédaction etc.…) sont certes un critère pour comprendre l’élaboration de l’information. On pourrait donc considérer que ces procédures sont fiables. Malheureusement il n’en est rien.
Des informations toujours de seconde main…
L’information est un fait de deuxième main. Le journaliste, l’enseignant, sont deux acteurs qui travaillent essentiellement avec ce matériau. Le journaliste, lui, est tenté de plus en plus d’aller au fait de première main, de témoigner, d’être le premier constructeur de l’information. Cela existe certes, mais est-ce plus fiable que celui d’un témoignage recueilli par un policier (dont on sait qu’ils ont bien du mal à fiabiliser ces témoignages). D’ailleurs dans de nombreux reportage, les journalistes n’hésitent pas à questionner des témoins et rentrent ainsi dans la même difficulté : quelle est la fiabilité du témoin ? L’enseignant quant à lui est contraint de travailler, hormis pour ce qui concerne sa relation directe aux élèves, avec des matériaux largement travaillés en amont. Le manuel scolaire comme le document venu d’Internet sont des informations au minimum de deuxième main.
C’est l’un des enjeux de l’enseignement : faire comprendre aux élèves la « fabrication de l’information ». Si l’humain est premier, la technique l’accompagne pour cette fabrication, elle le contraint même dans de nombreux cas. Malheureusement le temps de l’enseignement est trop restreint pour aller au fond des choses. On en est donc réduit à des « moments » comme la semaine de la presse proposée par le Clemi, ou encore à des travaux spécifiques en classe sur la vérité scientifique ou la qualité des témoignages. Et pourtant, au vu de la multiplication des fausses informations, de l’émergence de la notion de « post vérité », sans parler des termes anglo-saxons qui se multiplient dans ce champ, il devient urgent de réfléchir à la possibilité non pas de fiabiliser et labelliser l’information, mais de travailler collectivement sur notre rapport individuel à l’information, la croyance, le fait. C’est aussi travailler sur nos sens qui nous permettent de percevoir le monde, mais qui sont souvent trompés avec certaines technologies. Ainsi le développement des casques qui permettent de s’immerger dans un monde virtuel ou encore les hologrammes sont bien la preuve que nous devons être de plus en plus vigilants sur la manière dont le monde se présente à nous au travers de informations que nous percevons.
Bruno Devauchelle
La présentation du Decodex par les décodeurs du monde
Les chroniques de Bruno Devauchelle