« Je vois naitre chez l’élève l’idée qu’il peut se faire son propre avis en lisant les programmes des candidats ». Pour faire vivre les cours d’Education morale et civique (EMC), Anne Pedron-Moinard transforme ses élèves de première en journalistes. Organisés en rédaction, ils rédigent un blog sur les élections présidentielles. Un pari audacieux qui vise l’émancipation citoyenne de ces jeunes.
Professeure d’histoire-géographie depuis une dizaine d’années, Anne Pedron-Moinard enseigne depuis 3 ans dans un nouveau lycée nantais, le lycée Nelson Mandela. Cette année, elle a confié à ses élèves de première de la filière Abibac l’alimentation au fil de l’eau d’un blog sur l’élection présidentielle.
Comment est né ce projet ?
Le programme de première d’EMC nous invite à traiter de la citoyenneté et de l’information. Cela m’a donné envie de faire un projet sur les médias et j’ai proposé aux élèves ce projet de blog sur les élections. Depuis deux ans on passe beaucoup de temps en cours d’histoire géographie à parler d’actualité avec les attentats, le brexit etc. Les élèves demandent des explications. J’ai vu dans ce projet une façon de traiter de façon approfondie le programme d’EMC à travers un projet mené sur toute l’année.
Comment cela fonctionne-t-il ?
J’ai un petit groupe d’élèves (22) que je prends une heure par semaine en EMC. Toutes les semaines on travaille en atelier comme une rédaction pour alimeter un média : le blog. Les élèves sont répartis en 4 poles : article de presse écrite, audio-visuel, web et desk , c’est à dire gestion du site et mise en forme des articles.
On publie une vague d’articles à chaque congé donc par tranche de six semaines. Les élèves doivent donc produire leurs textes sur 6 semaines. Ils écrivent en binôme ou trinôme. La première livraison a eu lieu à Noël. La seconde c’est aujourd’hui !
Qui contrôle le contenu ?
On travaille comme une rédaction. En conférence de rédaction on fixe les grands sujets. Pour la première livraison c’était les partis et les stratégies. La seconde traitera des enjeux de l’élection. Chaque pole a un responsable qui vérifie la qualité de l’article et éventuellement demande une réécriture. Au final c’est moi qui valide avant publication.
Quelles sources utilisent-ils ?
Ca a été dès le début une vraie question. Finalement ils utilisent les sites des candidats et la presse nationale. On a fait un gros travail sur l’identification des sources et leur distinction. Certains ne se posaient pas ces questions. Beaucoup pensaient que Google est très intelligent et donne les bonnes réponses. J’ai pensé à leur faire utiliser Twitter pour contacter des experts mais ils ne croient pas qu’ils pourraient avoir des réponses. Ils ne croient pas dans l’horizontalité des réseaux sociaux.
Les élèves vont travailler sur la sociologie électorale ?
C’est prévu pour la 3ème livraison. Car avant de faire le portrait des électorats il faudrait que le paysage se fige un peu, qu’il y ait moins de bouleversements.
Ces lycéens sont à l’âge où on se construit une conscience politique. Vous voyez cela émerger ?
Certains en ont une déjà. D’autres pas du tout. Ces travaux de recherche et de publication font réfléchir les élèves. Je vois naitre chez l’élève l’idée qu’il peut se faire son propre avis en lisant les programmes des candidats. Ecrire les invite à argumenter. Et comme ils écrivent à plusieurs, ils débattent.
En traitant ce sujet n’y a-t-il pas un risque de « faire de la politique » en cours, d’embrigader ?
Evidemment c’est une question que le professeur se pos en permanence : comment traiter un sujet politique en respectant l’élève ? Les élèves poseraient la question en terme d’objectivité : tel média est -il objectif ? Il sse sont rendus compte en écrivant qu’on écrit avec ce qu’on est.
Du coup ils ont assimilé l’importance du pluralisme dans l’information. Il sont acquis aussi que le journaliste doit expliciter son point de vue. Ils savent qu’à défaut d’être objectif, on doit être honnête.
Finalement, l’embrigadement ce serait plutôt les laisser face à une information ou dans leur cadre de pensée sans les aider à travailler l’argumentation. Ce travail en EMC est couplé aussi avec un atelier de discussion à visée philosophique.
Comment est perçu ce travail dans votre environnement ?
Les parents sont contents mais ils le sont aussi parce que les élèves ont visité l’AFP et Matignon. Certains parents me disent qu’ils échangent sur ces sujets avec leur enfant. Le projet est plus ou moins connu des collègues du lycée. Le plus sympathique c’est les liens qui se sont créés avec des professeurs de collège et des professeurs des écoles. Prochainement les élèves vont rencontrer des enfants de CM2 qui travaillent aussi sur les élections.
Qu’avez vous appris en faisant ce projet ?
J’ai appris que quand on donne des responsabilités aux élèves ils font des choses de qualité. Il faut un cadre marqué mais dans ce cadre quand ils ont de la liberté, quand ils peuvent mettre leur patte ,on arrive à des choses de qualité. Cerise sur le gâteau, ça me parait une attitude professorale plus émancipatrice et plus démocratique. T c’est bien l’objectif de l’EMC.
Propos recueillis par François Jarraud