Où en sont les recherches sur les inégalités à l’Ecole et les politiques publiques censées y remédier ? A l’occasion de son 5ème anniversaire, le laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (LIEPP) de Sciences Po organisait le 30 janvier un colloque sur les « perspectives pour l’évaluation des politiques publiques », dont le versant scolaire a été confié à N. Mons, A Van Zanten et D Fougère. Une occasion unique de croiser les regards de l’économiste (D Fougère) avec les sociologues (N Mons et A Van Zanten) et de faire le point des recherches en cours.
L’importance relative de l’environnement de l’enfant
« Les inégalités sociales sont extrêmement fossilisés dans l’Ecole française », explique en ouverture Denis Fougère, , co-directeur, avec A Van Zanten, de l’axe « politiques éducatives » du LIEPP. Il en donne une démonstration éclatante. 60% des enfants de catégories sociales favorisées sont dans le groupe des élèves les mieux notés de la 6ème à la 3ème. Seulement 10% ont des notes faibles. Inversement, 6% des élèves issus de familles défavorisées se retrouvent dans les meilleurs élèves et la moitié se retrouvent dans les plus faibles de la6ème à la 3ème.
Des recherches sont menées plutôt vers l’environnement de l’enfant. Ainsi un projet, qu’il dirige, étudie une expérimentation de lecture partagée avec les parents en maternelle dans le nord est parisien. Une autre étude, menée par N Guyon et E Huillery a étudié les choix d’orientation en fonction de l’origine sociale dans 59 collèges publics franciliens. Elle a montré que les enfants des milieux populaires ont des ambitions moindres. Les pairs et les familles influent plus que les enseignants dans ces choix.
Quel rôle pour l’Etat ?
Si l’environnement social est si important, est -ce à dire que l’Etat n’a pas d’armes contre les inégalités sociales à l’Ecole ? D. Fougère ne le croit pas. Pour lui investir dans la réduction de la taille des classes en maternelle dans les quartiers populaires serait un bénéfice à long terme. « Le coût payé pour réduire la taille des classes ce sont des bénéfices à très long terme », dit-il. « L’aide précoce donne des résultats » souligne-t-il.
La pauvreté des enfants a aussi des conséquences durables sur leur santé , le décrochage et leur avenir scolaire. « La Depp (division des études du ministère) devrait utiliser le revenu comme un critère », dit-il.
L’orientation et les inégalités
Agnès Van Zanten a présenté plusieurs études qu’elle dirige. Une première recherche porte sur l’orientation vers le supérieur. Elle veut établir le rôle de l’établissement d’origine. Ce qu’elle met en évidence c’est que les établissements scolaires s’emparent de façon bien différente de l’orientation. Dans les établissements populaires, l’orientation est traitée tardivement et peu de personnels s’en occupent. Ces établissements ont d’autres urgences : la réussite au bac, la lutte contre le décrochage par exemple. Inversement , plus un lycée est favorisé, plus il s’investit dans l’orientation. Elle commence dès la 2de. Le personnel du lycée s’y implique et les informations données sont plus personnalisées et bien différentes que dans les autres établissements.
Une autre étude en cours porte sur les salons sur l’enseignement supérieur, un sujet tout à fait nouveau. Elle montre que ces salons se positionnent de façon très différente des établissements scolaires et ciblent des clientèles particulières pour les amener vers des formations privées de qualité variable.
La dernière étude touche directement à Sciences Po. A Van Zanten étudie les conventions éducation prioritaire de Sciences Po. Elle montre la tension qui s’installe entre l’objectif de recrutement des élites: chercher les « pépites de banlieue » et l’objectif d’égalité des chances. Cette politique tend aussi à échapper à ses initiateurs :elle entre en résonnance avec les stratégies des lycées qui souvent les utilisent pour avoir des élèves socialement plus diversifiés.
Quand l’Etat déserte
Peut-on alors parler de politique publique ? Les deux recherches sur l’orientation montrent que l’Etat délègue à d’autres acteurs un travail d’orientation qu’il n’arrive pas à faire.
En présentant les travaux du Cnesco, Nathalie Mons met en avant l’originalité de sa démarche. Institution inscrite dans la loi d’orientation, le Cnesco veut aussi rompre avec la recherche descendante. Le Cnesco cherche une diffusion débattue de ses travaux.
Quant au débat avec les décideurs, Agnès Van Zanten en souligne le caractère aussi courtois que superficiel. « On n’infléchit pas du tout les décisions. Elles dépendent de tout un ensemble de négociations qui échappent au chercheur ». Travailler sur les politiques publiques c’est aussi mesurer l’impuissance ?
François Jarraud