En septembre 2013, la maternelle Guy Moquet de Stains (Seine-Saint-Denis) a ouvert une classe de tout-petits dans le cadre de la relance de la scolarisation des moins de trois ans en éducation prioritaire. J’y avais alors effectué un reportage (1). Trois ans plus tard, la directrice Lilia Ben Hamouda en dresse un bilan enthousiaste.
Stains est l’une des villes les plus pauvres de Seine-Saint-Denis. Logiquement, elle avait été retenue pour accueillir l’une des 16 toutes petites sections (TPS) créées dans le département à la rentrée 2013. Choisie pour l’abriter, l’école Guy Moquet appartient à l’un des deux REP + (les établissements les plus difficiles de l’éducation proritaire) de la ville, qui compte aussi un REP.
La scolarisation des moins de trois ans dans les zones défavorisées est une mesure phare de la Refondation de l’école. L’idée est que l’échec scolaire se joue dès la maternelle et qu’il touche en priorité les élèves les plus fragiles socialement et culturellement, en particulier d’origine étrangère. Plus tôt on les scolarise, plus on leur donne de chances de réussir.
Autonomes
A l’école Guy Moquet, on est en train de faire bilan de la classe de TPS alors que les premiers élèves sont entrés en grande section de maternelle.
« Pour nous tout est positif, c’est une vraie réussite, assure Lilia Ben Hamouda. Les enfants passés par la TPS sont beaucoup plus autonomes que les autres du même âge. Ils ont intégré tous les codes de l’école, ils sont devenus élèves. Ils évoluent sereinement parmi leurs camarades, preuve d’une bonne socialisation.
Ils sont aussi tous entrés dans le langage. Or ce n’étais pas gagné. Nous n’avions pris la première année que des élèves en manque de langage, presque tous d’origine étrangère.
Enfin, des rapports très chaleureux se sont établis avec leurs parents. Ils ont compris les enjeux de la scolarisation en maternelle, ils savent que leurs enfants sont en capacité d’apprendre. Les autres parents se tiennent souvent plus à distance. Ils sont plus frileux à entrer dans l’école malgré nos efforts. »
Homogène
La directrice a du mal à trouve des failles. L’équipe a toutefois dû améliorer le dispositif en cours de route.
» La première année de la TPS, explique-t-elle, on était allé cherché les enfants les plus éloignés de l’école car c’est bien l’idée de ces classes de tout-petits. On avait pris des enfants dont la plupart des parents ne connaissaient pas le français, et même certains ne parlaient pas avec leurs enfants à la maison car ils avaient eux-mêmes grandi comme ça.
La classe était trop homogène. C’était une erreur. Il fallait plus d’hétérogénité. L’année suivante, on a corrigé le tir. On a pris deux-trois élèves ayant des bases de langage et une forme de communication, venant de familles où l’on parle le français à la maison mais qui sont dans une situation sociale et économique précaire. Cet ajout a suffi pour stimuler les autres. «
PMI
Au début, la directrice s’interrogeait sur la façon de toucher les enfants qui en ont le plus besoin. En effet, ce sont les familles des classes moyennes qui demandent à inscrire leurs enfants à la TPS. Aujourd’hui le » recrutement » est bien rodé et ciblé.
» Nous passons par la PMI (le centre de protection maternelle et infantile) du quartier du Moulin Neuf, explique Lilia Ben Hamouda. Elle propose une liste de familles très en difficulté dont les enfants auraient grand besoin d’une scolarisation précoce. A l’école, nous connaissons aussi des parents dont le petit dernier en aurait besoin. Nous leur demandons alors d’aller à la PMI.
Pourquoi ? Parce que les familles parlent plus facilement au médecin. En plus, à la PMI, ils ont une vision du parcours d’ensemble de la famille.
La PMI du Moulin Neuf a tissé de nombreux liens avec les habitants. Il y a là un docteur en fonction depuis 40 ans, très proche des gens. Cest une femme qui doit bientôt partir à la retraite mais qui repousse toujours car elle ne trouve personne pour lui succéder. «
Maximum à 18
Comme expliquer cette réussite de la TPS de Guy Moquet alors que d’autres affichent un bilan plus mitigé ?
» Notre TPS a gardé le même enseignant, Mickaël Foucault, pendant trois ans, répond Lilia Ben Hamouda, et depuis le début, c’est toujours la même Atsem (agent municipal secondant les enseignants de maternelle), Marie Michelle, pleine de bienveillance avec les enfants.
Mais Mickaël part le 31 janvier car il a pris un mi-temps annualisé. Une enseignante de l’école le remplace. Elle a vu évoluer la TPS et a échangé avec Mickaël. Pour se former, elle a en outre bénéficié de trois animations pédagogiques organisées par l’académie, avec des échanges de pratiques entre enseignants de TPS. Autre facteur positif : on est resté avec 18 élèves, pas plus. Or ça n’a pas été le cas partout. »
Paupérisation
» Notre TPS a de fait fonctionné comme une classe passerelle, poursuit la directrice. elle a accompagné tout doucement les enfants vers l’entrée en maternelle.
Or on aurait plus de 18 enfants à qui une classe passerelle pourrait profiter. Des familles moins éloignées de la culture scolaire, parlant français, mais en grande précarité. Il suffit de regarder autour de l’école : on est dans un phase de paupérisation, avec notammen de plus en plus de familles au 115 (en hébergement d’urgence).
J’allais oublier une autre nouveauté. Près de l’école, nous avons un CADA (centre d’accueil de demandeurs d’asile). Nous avons décidé de réserver une ou deux places par an à des enfants qui y vivent. »
Véronique Soulé
(1) Sur Libération