Depuis le travail de Camille Terrier sur des classes de 6ème françaises, on savait que les professeurs de maths surnotent les filles. Une nouvelle étude, italienne celle-ci, portant également sur des classes de 6ème, montre que les filles sont aussi surnotées particulièrement en maths. Comment expliquer cette préférence de l’école pour les filles ? Quelles conséquences peut-elle avoir pour les unes et les autres?
L’étude de C Terrier
Comment savoir que les enseignants surnotent une catégorie d’élèves ? En comparant les résultats de ces élèves lors de travaux corrigés de façon anonyme et non anonyme.
C’est ce que Camille Terrier, doctorante à la Paris School of Economics, a fait fin 2014. Le Café pédagogique a rendu compte des résultats de ses travaux portant sur 4500 élèves de 6ème en maths. Les enseignants discriminent positivement les collégiennes. L’écart de notation est d’environ 6% en faveur des filles quand les travaux ne sont pas anonymes. Elles dominent alors les garçons. Quand les travaux sont anonymes, les résultats des garçons dominent de façon claire ceux des filles en maths. Une situation qui ne se retrouve pas, en France, pour les devoirs de français.
De nouveaux travaux italiens
Une nouvelle étude italienne, publiée par l’Institute of Labor Economics (IZA de Bonn) vient apporter un autre éclairage.. L’étude d’Adriana Di Liberto et Laura Casula (Université de Cagliari), porte sur les élèves de 6ème de tout le pays. Elle distingue d’ailleurs les résultats du nord et du sud du pays. Elle permet de comparer les notes obtenues lors d’évaluations faites par les enseignants et dans un test national anonyme, les Invalsi.
Le principal résultat c’est que l’évaluation par les enseignants est défavorable aux garçons. Le biais est deux fois plus important en maths qu’en langue nationale. Corrigées de façon anonyme, les filles sont meilleures que les garçons et le biais apporté dans les corrections directes par les enseignants sont assez faibles. En maths le discrimination envers les garçons est bien plus forte. Les garçons sont en fait plus forts que les filles mais la correction non anonyme est très favorable aux filles.
Pour Adriana Di Liberto et Laura Casula, « les garçons sont systématiquement découragés au long de leurs études par les enseignants ». Elles lient ce résultat à un objectif des enseignants : ils « ont tendance à favoriser un comportement « de fille » en classe ». Et punissent d’autant plus les garçons pour leurs écarts de comportement.
Comment expliquer cette préférence pour les filles?
Comment expliquer cette discrimination envers les garçons ? On a vu que Adriana Di Liberto et Laura Casula font le lien avec l’objectif de gestion de la classe. On peut le dire autrement. Cet épisode montre l’importance des compétences non cognitives pour réussir à l’Ecole. Les filles développent davantage que les garçons l’engagement dans les études et le contrôle de soi, et finalement cela leur réussit. Enseigner ces compétences reste encore un défi peu relevé dans le système éducatif français.
Interrogé par le Café pédagogique, Jean-Louis Auduc, un expert sur les questions de mixité, y voit une volonté de compensation des enseignants. » Je crois que cela vient d’une vision fausse de ce qu’est « encourager » une jeune fille à mieux réussir dans la logique de l’ouvrage « Allez les filles ! » d’il y a une vingtaine d’années. Beaucoup de professeurs , et leur formation initiale n’insiste pas assez sur cette question, pense qu’encourager , c’est compenser. Comme ils ou elles ( qui sont les plus nombreuses à être enseignantes) sont persuadés sans regarder ce qu’est la situation actuelle, que les filles sont plus en difficulté scolaire que les garçons, il faut compenser pour mettre à égalité, ce qui est une idée extrêmement dangereuse… En mathématiques, où beaucoup d’enseignant (e) s sont persuadés que les filles ont plus de difficultés que les garçons, la notion de compensation pour « égaliser les chances » joue à plein ».
Quelles conséquences ?
Pour JL Auduc, les conséquences de ces attitudes sont graves. « Ces comportements des enseignants ne peuvent qu’entraîner des rancoeurs, des suspicions des uns et des autres et par là même contribuer à des violences et du harcèlement. Faut-il penser comme l’étude italienne que « les garçons sont systématiquement découragés durant leur cursus scolaire ». Peut-être pas, même si les garçons forment en France, les plus gros bataillons des élèves en décrochage scolaire ». En Italie, l’étude montre qu’il y a18% de garçons décrocheurs contre 12% de filles. En France les garçons représentent de 74 à 89% des élèves punis, souligne JLAuduc. Il se demande « pourquoi cette surreprésentation masculine n’attire-t-elle pas l’attention des équipes éducatives alors que le ministère de l’Education Nationale réaffirme à chaque rentrée scolaire le principe de l’égalité des sexes ? »
Une conséquence plus positive avait été mise en avant par C Terrier. » En mathématiques, les classes dans lesquelles les enseignants présentent les plus forts degrés de discrimination positive envers les filles sont aussi les classes dans lesquelles les filles progressent le plus relativement aux garçons ». Autrement dit la notation en elle-même est un moteur de progrès scolaire et elle participe pleinement aux progrès des filles. Mais pas des garçons.
François Jarraud