Comment en finir avec les collèges ghettos et favoriser la mixité sociale dans les établissements ? Encouragées par la ministre Najat Vallaud-Belkacem, plusieurs académies ont lancé des projets. A Nancy, cinq collèges sont impliqués. Où l’on mesure toute la complexité pour faire bouger les choses. Et le temps qu’il faudra pour que ça change… à condition que l’on poursuive et que l’on ne revienne pas en arrière. Reportage.
Pour parler des dispositifs de mixité sociale à Nancy, l’inspecteur d’académie de Meurthe-et-Moselle Jean-Luc Strugarek a convié dans ses locaux les principaux des cinq collèges concernés – Claude Le Lorrain, Alfred Mézières, Guynemer, Chopin (il s’agit d’une cité scolaire) et la Craffe. Leur succèderont autour de la table, le directeur de l’éducation du département et le vice-président du conseil départemental. Et enfin les délégués des parents d’élèves des deux principales fédérations, FCPE et PEEP, siégeant au CDEN (conseil départemental de l’éducation nationale) .
Inflammable
Comprenez : la mixité sociale est une affaire sérieuse et hautement inflammable – les parents y sont extrêmement sensibles. Elle est aussi très politique – rien ne peut se faire sans les responsables locaux qui gèrent la sectorisation des écoles et ne veulent pas heurter leurs administrés-électeurs. Elle est enfin une affaire technique – d’affectation, de flux d’élèves, de carte d’options, etc.
On va tenter ici de faire simple.
Pour arriver à davantage de mixité dans les collèges trop homogènes, Nancy joue sur les trois leviers possibles :
– la création d’un secteur multicollège qui permet de répartir les élèves de façon à rééquilibrer le profil social des établissements,
– le changement de l’offre éducative afin de rendre plus attractif un collège souffrant d’une mauvaise réputation,
– enfin une plus grande mixité à l’intérieur même des établissements, en mettant fin par exemple aux classes « d’élite » où, grâce à un jeu d’options, se retrouvent les élèves les plus favorisés.
Classe d’immersion
Prenons l’exemple des collèges Chopin et Guynemer. Le premier, qui fait partie d’une cité scolaire, compte environ un quart d’élèves boursiers, contre 53,5% à Guynemer. Dans ce collège mal côté, la part des familles de milieux défavorisés n’a cessé d’augmenter, faisant craindre une ségrégation rampante.
A la rentrée 2016, on a créé un secteur multicollège pour les élèves de l’école Jean Jaurès affectés jusqu’ici à Chopin. Désormais, ils ont le choix entre Chopin et Guynemer. Et Guynemer est devenu le collège de continuité pour la » classe d’immersion » en anglais de Jaurès – une classe où 40% des cours sont enseignés dans cette langue.
En clair, les familles sectorisées sur Chopin – habitant le quartier Art Nouveau, elles sont de milieux favorisés – peuvent désormais demander le collège Guynemer afin que leurs enfants poursuivent leurs cours en anglais. Une idée qui ne leur serait jamais venue à l’esprit avant. Ou elles peuvent préférer rester à Chopin, le collège réputé, mais en renonçant à la classe d’immersion.
Dynamique
» Massivement, les familles ont privilégié la continuité pédagogique, se félicite l’inspecteur d’académie Jean-Luc Strugarek. 33 des 39 élèves de la classe d’immersion de Jean Jaurès ont rejoint Guynemer. »
» Même si cela ne représente que 10% de nos effectifs, l’arrivée de ces élèves a eu un impact positif sur tout le collège, explique le principal de Guynemer, Pascal Leclerc, cela a insufflé une dynamique, auprès des autres élèves et des enseignants qui ont dû adapter leur pédagogie. En plus de leur niveau d’anglais, ces nouveaux élèves sont beaucoup plus à l’aise à l’oral. «
Au collège Chopin, il n’y a pas eu un tel enthousiasme. Certains se sont inquiétés d’une dégradation du climat scolaire, avec les élèves de la classe d’immersion qui ne venaient plus. Et avec l’arrivée d’élèves primo-arrivants après leur passage dans une classe d’accueil. » Il faut un changement de mentalité, cela nécessite du temps « , commente Gérald Zavattiero, proviseur de la Cité scolaire Chopin.
Classes musicales
Deuxième exemple : on joue cette fois sur la mixité sociale au sein des classes. Le collège de la Craffe accueille des classes CHAM (classes à horaires aménagés musicales), connues pour être marquées socialement, avec des élèves de milieux favorisés sur représentés. Jusqu’ici, elles constituaient une filière à part à la Craffe, de la sixième à la troisième.
» Avec l’accord des enseignants et des parents, et un vote unanime, on a décidé de ne plus regrouper ensemble les élèves en CHAM et on a réparti les sixièmes dans les différentes classes « , explique le principal Jean-Jacques Hocquel. » Il est clair que la mixité se joue aussi au sein des établissements « , souligne Jean-Luc Strugarek.
Le plateau
Troisième exemple : cette fois, on ferme des collèges pour dé-ghettoïser et on re-sectorise pour mélanger des populations qui ne se mélangent pas. Le problème de départ est ici la ségrégation territoriale.
Ce projet concerne le collège Claude Le Lorrain, l’un des deux collèges REP + (réseau d’éducation prioritarie) du Haut du Lièvre – un quartier de barres poussé en hauteur de Nancy, récemment rebaptisé Plateau de Haye pour lutter contre la stigmatisation. Il implique aussi le collège Jean Lamour, actuellement en reconstruction selon les dernières normes environnementales.
Claude Le Lorrain est un collège ghetto, reflet de la ségrégation ambiante. Plus de 75% des élèves sont issus de catégories socio professionnelles (CSP) défavorisées et 84% sont boursiers, dont plus de la moitié au niveau 3, le plus haut. Près de 22% arrivent en sixième avec du retard. On compte une cinquantaine de nationalités et de nombreuses familles monoparentales. Dans le quartier, le taux de chômage atteint 32%, etc.
Homogène
» La population du plateau de Haye est homogène, souligne Jean-Luc Strugarek, et malgré toutes les tentatives depuis plus de 20 ans pour rendre plus attractive la scolarisation dans l’un de ces établissements, aucun élève résidant en ville ne les a rejoints. Il nous faut donc nous rendre à l’évidence et travailler la mixité dans l’autre sens. »
La solution trouvée est la suivante. A la rentrée 2017, les secteurs vont être redécoupés. Un secteur multicollège va être créé sur le plateau et une partie des élèves de Claude Le Lorrain sera affectée à Jean Lamour, le collège flambant neuf qui va ouvrir.
Claude Le Lorrain est, lui, promis à la démolition, tout comme l’autre collège ZEP+ du plateau. L’idée est d’en construire un nouveau, moins enclavé, une partie des élèves du plateau étant redirigés sur Jean Lamour.
Couleurs politiques
Il est clair que pour mener de tels projets, toutes les parties doivent être motivées. Côté éducation nationale, le recteur Gilles Pecout, promu depuis Recteur de Paris, a été moteur. On connait sa sensibilité à ces questions. Il avait notamment accompagné Jean-Paul Delahaye lors de sa mission Grande pauvreté.
L’éducation nationale n’aurait rien pu faire sans la ville, qui s’occupe des écoles, et sans le département, pour les collèges. Tous deux sont de couleurs différentes – Nancy a un maire UDI, Laurent Hénart, la Meurthe-et-Moselle a une majorité PS -, mais ils ont avancé ensemble.
Le département a lancé un vaste Plan collège pour 300 millions d ‘euros, qui comprend la re-création de 12 collèges et la restructuration de 9 autres, ainsi que l’équipement numérique. » On connaît l’importance des bâtiments pour un bon accueil et pour la réussite des collégiens, quelque soit le milieu social « , souligne Antony Caps, vice-président du département.
Balbutiements
» Le département considère que la mixité favorise la réussite, poursuit Michel Biedinger, directeur de l’éducation au conseil départemental, et pour cela, il y a plusieurs conditions : une sectorisation bien faite, de beaux bâtiments, une cantine où on mange bien et des enfants de toutes cultures qui se croisent. «
Enfin, les parents d’élèves, qu’ils soient de la FCPE ou de la PEEP, ont donné leur aval à ces projets.
Il reste maintenant une inconnue : cette politique, qui n’en est qu’à ses balbutiements, sera-t-elle poursuivie ? Réponse aux beaux jours.
Véronique Soulé
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