La différenciation pédagogique est-elle vraiment utile ? Et surtout est-elle faisable dans les conditions réelles d’exercice du métier enseignant ? Voilà deux questions auxquelles une conférence de consensus, organisée par le Cnesco et l’Ifé les 7 et 8 mars à Paris, essaiera de répondre en mars. Les inscriptions sont ouvertes. Jean-Marie de Ketele, président de la conférence et Jean-François Chesné, directeur scientifique du Cnesco, présentent en avant première pour les lecteurs du Café pédagogique les objectifs et le déroulé de cette conférence.
Différencier son enseignement est-ce vraiment utile ?
Jean-François Chesné (JFC) : La question se pose avec l’hétérogénéité des élèves et la volonté de réduire les inégalités. L’enseignement traditionnel ne fonctionne plus bien. Avant un enseignant devait être capable de construire un bon cours. Aujourd’hui on lui demande d’être capable de faire apprendre ses élèves. Il faut donc qu’il se demande comment adapter son enseignement à un public beaucoup plus hétérogène.
Jean-Marie de Ketele (JMDK) : Toutes les études montrent que la massification de l’enseignement a accru la diversité des élèves. On a d eplus en plus d’élèves qui ont du mal à vivre l’école et ses pratiques. S’ils sont satisfaits de l’école, ils ne le sont pas des pratiques de classe. La massification a aussi apporté ce malaise.
JFC : Le malaise est aussi ressenti par les enseignants. Car ils sont sous le feu de prescriptions de plus en plus difficiles à tenir. On leur demande à la fois de prendre en compte les différences entre les élèves et d’atteindre un objectif commun de réussite. Cette opposition est au coeur de la conférence de consensus.
La conférence a pour but d’aider les enseignants de terrain ?
JFC : C’est un des buts. Avant la conférence, le Cnesco a fait remonter des témoignages d’enseignants et de formateurs qui ont permis de faire remonter les pratiques actuelles et les besoins. On va pouvoir confronter les résultats de la recherche aux questions des praticiens. On pourra donner des pistes étayées par la recherche pour que les enseignants fassent leur choix.
On demande aux enseignants de différencier. Mais comment faire ?
JMDK : Il y a différentes formes de différenciations possibles. Ce que montre le rapport de Dominique Lafontaine (Université de Liège), qui sera présenté lors de la conférence, c’est que la diversification verticale ou structurelle, celle qui utilise des groupes de niveau ou le redoublement par exemple, aboutit à des résultats décevants et en défaveur de l’équité. On va donc se tourner plutôt vers la diversification horizontale celle qui se fait dans la classe. Il y a moins de recherches rigoureuses. Mais Jean-François Chesné et moi, nous avons essayé d’identifier les personnes pouvant apporter des arguments scientifiques. On verra quelles pratiques dans quel contexte permettent à tous les élèves de maitriser les connaissance et compétences du socle commun.
JFC : Philipe Tremblay (Université de Laval Québec) par exemple apportera un éclairage sur les formes de co intervention efficaces.
JMDK : On demande aux intervenants comment utiliser les résultats de leur recherche dans un contexte de classe, avec des séquences différentes et à quel moment situer les facteurs qu’ils mettent en avant dans une séquence d’apprentissage. On aura le souci de bien montrer des pratiques d’apprentissage qui aillent à l’encontre de la maitrise du socle. Car des pratiques de différenciation peuvent aussi avoir des effets négatifs.
On mettra l’accent sur les formes de co intervention : lesquelles permettent d’avoir une différenciation pédagogique réussie. Quel impact cela a sur le travail en équipe des enseignants. Ce sera le thème de l’intervention de Monica Gather Thurler (Université de Genève).
Au sein de la classe se pose la question de savoir comment articuler les moments de la classe entre le travail en classe entière et en groupe. Quelles conditions remplir pour que ces moments aboutissent à un apprentissage réussi ? Quel étayage ? Clermont Gauthier (Université de Laval Québec) interviendra là dessus. On entrera donc dans les pratiques de classe.
On va aussi interroger la part du numérique. Marcel Lebrun (Université catholique de Louvain) dira à quelles conditions la classe inversée peut produire une différenciation positive. Franck Amadieu (Université de Toulouse) parlera des méfaits des outils numériques utilisés pour tenter de s’adapter aux stratégies différentes des élèves. Car le numérique peut introduire de nouvelles compétences qui surchargent cognitivement certains élèves.
Dominique Bucheton (Université de Montpellier) interviendra sur les 6 postures identifiées chez les enseignants et les 10 postures des élèves et comment les premières peuvent entrer en relation avec les secondes pour faire réussir la différenciation.
On posera aussi la question du travail coopératif : partout les enseignants font travailler les élèves en petits groupes et beaucoup ne savent pas comment l’exploiter. Il ne suffit aps de mettre les élèves en petits groupes. Il faut savoir quoi en faire.
Sophie Romero (Université d’Aix Marseille) a travaillé sur les dispositifs d’aide aux élèves en difficulté désignés par les enseignants. Elle montre qu’il y a un vrai mille feuilles de dispositifs en dehors de la classe mais dont les résultats sont pauvres. Elle peut montrer que quand les formateurs sont formés à l’auto évaluation ils font mieux évoluer leurs pratiques et permettent une progression plus rapide des élèves. L’autorégulation semble importante.
La conférence donnera donc des clés pour une différenciation réussie ?
JMDK : On peut poser 4 conditions fondamentales pour une différenciation pédagogique réussie. D’abord bien gérer la classe. Ensuite bien connaitre les effets cognitifs et socio affectifs de la différenciation. Connaitre aussi les effets didactiques dont on peut jouer pour améliorer les apprentissages. Enfin former les enseignants à une différenciation réussie.
Propos recueillis par François Jarraud