Nous rappelons (fêtons, célébrons sont des termes qui posent problème) ces jours-ci la présentation de l’iPhone, il y a dix ans, par Steve Jobs. Ce rappel qui s’inscrit dans l’histoire mythique de la société Apple (histoire construite depuis sa naissance), arrive au moment où le marché se reconfigure. D’une part Apple n’est plus dominant. D’autre part Samsung, son concurrent principal, commet des erreurs lourdes de conséquences. Dans le même temps le Credoc nous montre qu’en France le smartphone est désormais en voie de généralisation. 65% de la population est équipée de smartphone et près de 95% chez les 18-25 ans et 85% chez les 12 – 18 ans. Cela donne de quoi réfléchir sur l’évolution de cet « objet » dans la société.
Tablettes : Changement de direction
Le monde scolaire est désormais directement concerné. La dynamique du (mal nommé) BYOD semble prendre de l’ampleur, s’appuyant justement sur ces statistiques. Dans le même temps des responsables se questionnent sur la pertinence des tablettes, en regard des besoins et des niveaux de classe. Le plan numérique présidentiel était parti, lui aussi, sur l’idée de tablettes, mais il a rapidement fait évoluer ses propositions en allant aussi vers les ordinateurs portables. Ce changement de direction, à l’instar de quelques élus qui, eux-aussi, ont revu leur position est un indicateur d’une prise de conscience. Une nouvelle fois, on a peu écouté certains spécialistes du domaine préférant le chant des sirènes…. comme pour les TBI (au Québec par exemple).
La tablette a eu de quoi séduire, et elle continue de le faire, mais pas dans n’importe quel contexte. Signalons ici que la tablette est d’abord présente dans les familles pour les plus jeunes (jusqu’à la fin du collège). En général l’équipement personnel du lycéen et de l’étudiant est basé sur l’ordinateur portable couplé à un smartphone à écran « lisible ». Ajoutons que nous voyons de plus en plus de situations scolaires dans lesquelles on demande à adjoindre un clavier externe et une souris à la tablette. En effet la précision de l’un et de l’autres sont supérieurs (hormis pour certaines tablettes particulières) au classique écran tactile. Or les enseignants ont bien vite compris que la tablette pouvait devenir un handicap pour le travail. De la précision du geste à l’écran réduit par l’apparition du clavier.
Quelle pertinence ?
Mais ce qui pose le plus problème pour les tablette concerne deux éléments clés : la connexion obligatoire à Internet, la gestion des parcs dans les établissements. Les témoignages se multiplient pour confirmer les difficultés occasionnées par ces deux éléments. Vous avez cinquante tablettes, comment allez-vous installer les applications ? Est-ce que ces applications font appel à Internet ? Est-ce que le réseau supportera un grand nombre de connexions simultanées. A ces deux points s’ajoute la question des applications plus ou moins performantes, utilisables en classe de manière pertinente et aisée. J’entends ici les marchands me dire : « nous avons la solution ». Malheureusement cela ne semble pas se traduire sur le terrain par d’aussi belles réussites, même si certaines sont réelles.
En fait la question posée n’est pas nouvelle : quelle est la pertinence de l’instrument choisi par rapport à la situation pédagogique et didactique proposée ? On a trop mis en avance le coté couteau suisse de la tablette pour se rendre compte que cela n’était pas aussi vrai mais surtout que de nouvelles difficultés apparaissaient. Les usagers commencent à déchanter, surtout quand il faut revivre le scénario des salles informatiques avec les chariots de tablette (réservation, dysfonctionnements, rechargements oubliés etc.…).
Passer de l’individuel au collectif
La prise en compte du BYOD (aussi questionnant soit-elle sur d’autres points) est un fait. Cette manière de faire conforte ce que l’on observe depuis longtemps dans certaines situations mais qui a du mal à essaimer : l’appareil (la tablette, l’ordinateur portable) doit être « à portée de la main » et donc utilisé ou pas selon les besoins. Il doit être présent du matin au soir et éventuellement à la maison (souci de continuité). Il travaille aussi bien connecté que déconnecté. Il doit pouvoir être utilisé en autonomie (sans connexion on peut travailler et sur une durée suffisante (6h mini). Un dispositif de visualisation collective doit être disponible pour que le travail d’un poste puisse être présenté à la classe. Un dispositif simple de partage de données (distribution, dépôt, partage, collaboration) doit être accessible dans et hors la classe (synchronisation). Les applications ou logiciels mis en place sont installés par lot et à distance.
La difficulté principale est le passage de l’individuel au collectif. Ces machines sont basées sur un usager, avec un compte, ses logiciels et ses applications. Or dans le système scolaire les enseignants veulent aussi pouvoir assurer du collectif et donc que cette gestion collective soit réellement possible. Plus généralement il faut rappeler que chaque discipline, chaque type d’enseignement, chaque niveau d’enseignement, de la maternelle au supérieur à des besoins spécifiques. Pas question ici de dire tablette ou pas, mais de signaler les déconvenues suite à des engouements irresponsables et souvent avec des revirements tout aussi irresponsables. La continuité et la confiance sont deux termes qui doivent guider, en arrière-plan le développement des technologies éducatives.
Allons-nous voir disparaître les tablettes des établissements scolaires dans les deux prochaines années ? Probablement pas. Par contre la reconfiguration se fait sur la base de l’adéquation matériel/usage. Pour le dire autrement, il est temps que les décideurs, mais aussi les marchands, assagissent leurs discours et prennent en compte la réalité. Quand on pose la question : « on peut le faire ? » que l’on vous répond, « oui et bientôt mieux encore », on ajoute, « vous l’avez fait ? » ils répondent « non pas encore mais on va le faire », c’est dans ce cas-là qu’il faut se méfier. Trop de belles promesses ne peuvent s’appuyer que sur l’expérience du plus grand nombre et dans des contextes variés. Les vérités de laboratoires ne sont pas toujours les vérités de terrain !
Bruno Devauchelle