Pourquoi essayer la saignée, façon François Fillon, quand on peut carrément « tuer le mammouth » ? Car c’est bien à un assassinat en règle que nous invitent Bernard Toulemonde et Soazig Le Nevé dans un petit livre qui débite le mammouth avec délectation. Les auteurs veulent réduire l’Education nationale à un distributeur de moyens. Les autorités locales, du rectorat aux régions et aux chefs d’établissement s’occuperont du reste sous le stimuli d’une mise en concurrence de toutes les écoles et tous les établissements. Vous l’avez compris : dans le carnage promis par B Toulemonde, le mammouth ne meurt pas seul. Les professeurs et leurs syndicats sont poussés eux aussi dans la tombe, tout comme d’autres catégories, les bacheliers professionnels par exemple. A quelques semaines des élections, le l’ouvrage propose un nouveau programme, technocratique et libéral, pour l’Ecole. 2017, c’est l’heure de la revanche…
Bernard Toulemonde dit souvent qu’il a parcouru tous les métiers de l’éducation nationale. Ce fringuant septuagénaire, agrégé de droit en 1976, a été surveillant d’externat avant de devenir assistant à la faculté de droit puis professeur de droit public. En 1981 il suit Pierre Mauroy à Matignon où il est chargé de l’éducation. De 1982 à 1987 il est nommé directeur des affaires générales au ministère de l’éducation nationale où il suit par exemple le dossier de l’intégration du privé dans un nouveau service public d’éducation. De 1988 à 1992 il est nommé recteur de Montpellier puis de Toulouse avant d’intégrer le cabinet de Jack Lang à l’Education nationale. Il est ensuite inspecteur général puis directeur de l’enseignement scolaire en 1998. Soazig Le Nevé est journaliste à la rédaction d’Acteurs publics.
La mise à mort du mammouth
Le paradoxe de la carrière de B Toulemonde c’est qu’après avoir préparé la disparition de l’enseignement privé, son livre appelle à une privatisation de l’enseignement public en prenant modèle sur les établissements privés.
Car plus que de rénovation, c’est bien la mise à mort de l’Education nationale que souhaite B Toulemonde. « Il n’est plus temps de tenter d’agiliser le mammouth… Enterrons le sans fleurs ni couronnes et engageons nous dans les voies explorées non seulement par nos voisins mais en France même par l’enseignement supérieur.. Donnons l’essentiel du pouvoir aux acteurs locaux par la décentralisation, la déconcentration, l’autonomie des établissements ».
Le programme que propose B Toulemonde, le voilà. C’est la fragmentation de l’Education nationale livrée à ses cadres locaux dans un objectif de performance y compris financière. Car pour B Toulemonde , il faut baisser les investissements éducatifs. « A quoi servent les moyens supplémentaire que l’on donne sans cesse au système éducatif ? A faire progresser toujours plus les élèves ? Tout démontre qu’ils permettent surtout d’améliorer la situation des personnels sans que les résultats des élèves s’en trouvent favorisés ».
La revanche des cadres sur les profs
Là on passe du coté le plus sombre du livre. La revanche de B Toulemonde c’est sans doute celle des cadres sur les enseignants et les syndicats, deux forces d’opposition insupportable à un encadrement toujours qualifié positivement.
Avec l’autonomie des établissements, B Toulemonde veut donner aux chefs d’établissement le pouvoir d’évaluer et recruter les enseignants. Il s’insurge contre les heures supplémentaires non faites (comprenez les HSA), les heures des professeurs d’EPS, les maitres surnuméraires, les agrégés nommées en collège, la liberté pédagogique et les droits syndicaux comme l’heure d’information syndicale. Paradoxalement les enseignants sont perçus comme des ennemis de l’éducation nationale et non comme ses supports. L’ouvrage recommande de les faire travailler 35 heures par semaine, ce qui évidemment résout la question des effectifs et du budget. C’est la revanche des cadres sur des empêcheurs de décider en rond.
Le modèle du privé
Le modèle c’est aussi ce que B Toulemonde croit être l’enseignement privé. On retrouve chez lui la même fascination, et la même ignorance, pour le privé que chez un autre technocrate de l’Education nationale, JM Blanquer. La vision qu’il donne des établissements privés est bien éloignée de la réalité. C’est celle d’un monde idéal soumis à l’autorité bienveillante d’un maitre incontesté portant le projet commun. Pour B Toulemonde, « la différence avec le public c’est qu’il existe (dans le privé) un collectif des professeurs autour de l’autorité du chef d’établissement qui fait que les maillons faibles sont compensés par la force du collectif. Les profs travaillent plus ensemble, ils se sentent plus responsables du devenir des élèves ». B Toulemonde a été formé par les Jésuites, et cela lui revient..
Des recteurs libérés du Centre
Mais revenons à la décentralisation. « Transférons de nouveaux pouvoirs au niveau régional et concentrons le ministère sur ses missions essentielles (objectifs et règles générales, allocation globale des moyens prospective et évaluation), comme dans la plupart des pays développés. Les régions pourraient par exemple établir la carte de toutes les formations, gérer au moins l’enseignement professionnel ». Dans ces « missions essentielles », B Toulemonde n’inclut même pas les programmes. « Qu’est ce qui compte le plus : les horaires nationaux ou bien les apprentissages des élèves ? Le nombre d’heures nécessaires pour acquérir le socle commun de connaissances n’a pas à être déterminé au niveau national ».
B Toulemonde reprend l’idée de Jean Pierre Raffarin d’une agence régionale de l’enseignement dirigée par un conseil d’administration réunissant le recteur , le préfet et le président de la région qui déciderait de l’enseignement public dans la grande région. En dessous d’eux des chefs d’établissement sous contrat , maitres incontestés dans leur établissement. Dans ce schéma les collèges absorberaient les écoles devenues des éléments d’une école du socle.
En fin d’ouvrage, 17 recommandations résument la pensée de l’auteur. On y trouve le profilage des postes des enseignants, la suppression des grilles d ‘avancement remplacées par une évaluation du mérite, la fermeture d ela Direction des ressources humaines du ministère, le transfert du professionnel et de l’enseignement agricole aux régions, etc.
Une vision technocratique
Le livre de B Toulemonde, si proche au final de celui de JM Blanquer, reflète les vues de la technostructure de l’Education nationale. Le moins d’Etat de B Toulemonde est finalement un plus d’autorité, le niveau d’autorité se déconcentrant de Paris aux régions.
Le livre témoigne de la montée en puissance des technocrates qui supportent de moins en moins l’autorité des politiques et des contre pouvoirs que sont les syndicats et la les libertés des enseignants.
Ce modèle est il efficace ? Là où il est allé le plus loin, en Suède, il a abouti à la fois à l’affaissement du système et la baisse des résultats. Installer partout la concurrence en publiant les résultats de la maternelle au lycée ne fera qu’accroitre la ségrégation des établissements et mettre en échec plus tôt les enfants des milieux populaires. Leur sort est d’ailleurs vite réglé par B Toulemonde : pour lui le bac professionnel est un « miroir aux alouettes » et il convient de stopper la promotion vers le supérieur de ces jeunes. Bernard remet tout le monde à sa place…
François Jarraud
Le Nevé, S, Toulemonde, B, Et si on tuait le mammouth ?, L’aube, ISBN 978-2-8159-2100-8
B Toulemonde : Education nationale, le tonneau des Danaïdes (sur les profs)
Bernard Toulemonde : « On ne peut plus continuer à laisser 30% des élèves au bord du chemin »
Comment expliquer les propositions avancées dans « Et si on tuait le mammouth ? ».Bernard Toulemonde s’en explique.
Faut-il augmenter le budget de l’Education nationale ?
Il faut mieux utiliser le budget et distribuer mieux les moyens existants.
Votre livre promeut l’idée d’établissement public régional d’enseignement. Pourquoi ?
L’évolution du système éducatif fait qu’il avance de toutes façons vers la régionalisation. On propose d’expérimenter des établissements publics régionaux d’enseignement. Ces établissements réuniraient les 3 acteurs principaux au niveau régional : le préfet de région, le président de région et le recteur académique. Il faut inventer un système qui permette à ce trio de bien fonctionner.
Votre livre défend le modèle de l’école privée , n’est ce pas un paradoxe pour un cadre de l’Education nationale ?
Il est sur que l’enseignement privé associé par contrat avec l’Etat dispose d’atouts que n’ont pas les établissements de l’enseignement public. Ils peuvent choisir leurs élèves par exemple. Mais il ont aussi des équipes réunies autour d’un vrai projet d’établissement, connu de tous. Enfin ils ne séparent pas l’instruction de l’éducation.
Quand je parle d’autonomie je parle d’une équipe formée par l’équipe de direction, l’équipe pédagogique et les parents. Les chefs d’établissement du privé ont un conseil d’administration et ne font pas ce qu’ils veulent (Ils sont salariés par un organisme de gestion qui est nommé par l’évêque et ne compte généralement pas d’élus et même de membres du personnel NDLR).
Vous souhaitez renforcer les hiérarchies locales ?
Il ne s’agit pas de créer des petits chefs dans les établissements. Mais de renforcer les pouvoirs des autorités locales dans une forme d’autonomie collective. Il s’agit d’avoir un collectif.
J’ai pu constater l’efficacité de ces collectifs de direction. Par exemple au lycée Malraux de Montataire (60) où le profilage des postes fait par le chef d’établissement avec l’équipe pédagogique est remarquable. On arrive alors à relier les qualités des personnes avec la nature des fonctions.
Il faut aussi savoir que partout ailleurs dans la fonction publique, les gens sont recrutés après un entretien d’embauche avec leur responsable. On souhaite aussi que l’avancement des enseignants favorise ceux qui font de la formation continue ou se donnent à fond et non à l’ancienneté.
Publier les résultats des écoles et établissements ce n’est pas instituer une concurrence sauvage ?
Aujourd’hui les parents se fondent sur des rumeurs et l’entre soi. Ce n’est pas mieux. Il vaudrait mieux que les parents prennent en compte les résultats. Car les résultats d’Ival montrent que des établissements difficiles réussissent à avoir d’excellents résultats.
Pourquoi donner l’enseignement professionnel aux régions ? Pour s’en débarrasser ?
Il y a une hiérarchie terrible dans notre système. Elle fait que les enfants des milieux favorisés vont en enseignement général et ceux des milieux populaires dans la voie professionnelle. Il faut casser cette hiérarchie. Le seul moyen c’est de les confier aux régions qui feront mieux que l’Etat.
Pour vous le défi prioritaire de l’Ecole c’est ?
De faire fonctionner un service public digne de ce nom au profit des milieux populaires. Par exemple je propose de mettre fin à l’envoi de la moitié des néotitulaires dans les établissements de banlieue et de donner une double paye aux enseignants qui vont en éducation prioritaire. En contre partie ils feront, en plus des cours, des études, des travaux en petits groupes. On ne peut plus continuer à laisser 30% des élèves au bord du chemin comme aujourd’hui.
Propos recueillis par François Jarraud