Décidément l’innovation pédagogique occupe beaucoup l’Inspection générale. Après un premier rapport sur « L’innovation et l’expérimentation et leurs incidences sur l’évolution du système éducatif », elle publie un nouveau texte sur « le recensement des bonnes pratiques pédagogiques dans l’enseignement professionnel ». Le rapport donne à voir des pratiques innovantes. Mais l’adjectif chagrine l’Inspection qui n’hésite pas à prendre à partie des expérimentations de la Journée ministérielle de l’innovation. Pour l’Inspection, les bonnes pratiques c’est toujours sous couvert de l’Inspection…
Des exemples réussis de bonnes pratiques
Coordonné par Olivier Barbarant et Miriam Bénac, le rapport de l’Inspection générale sur « le recensement des bonnes pratiques pédagogiques dans l’enseignement professionnel » a déjà le mérite de porter un regard positif sur une filière souvent méprisée du système éducatif. Les auteurs se sont attachés à présenter de façon précise des exemples, cependant assez peu nombreux, sans omettre le rôle de premier plan des enseignants dans ces pratiques.
Mais il y a le revers de la médaille. Pour les rapporteurs il n’y a de bonnes pratiques que dirigées par les inspecteurs. Et le rapport sert aussi à promouvoir les pratiques instituées mais qui ne marchent pas, comme les enseignements généraux liés à la spécialité (EGLS), institués depuis 2009 mais restés quasi lettre morte.
Mais commençons par la partie la plus agréable. Les inspecteurs décrivent précisément une dizaine de « bonnes pratiques » prises dans différentes disciplines et académies. Certaines visent à réconcilier l’élève avec les apprentissages comme le concours littéraire du lycée J Fil de Carcassonne. D’autres transplantent les élèves pour faire connaitre l’entreprise comme le cours en hypermarché pratiqué à Alençon. Le rapport évoque aussi les liens entre disciplines comme le livre de retour de stage mis en place à Carmaux ou l’épicerie pédagogique ouverte à Alençon. D’autres exemples visent à différencier avec le numérique, à diversifier les rôles et places des élèves ou encore à valoriser les métiers. Le rapport ne prétend pas avoir tout recensé. Mais ce qu’il donne à voir est particulièrement intéressant et témoigne de l’inventivité des enseignants, une réalité que donne aussi à voir chaque année le Forum des enseignants innovants.
Quand l’Inspection tacle la Journée ministérielle…
Pourtant le rapport est aussi très méfiant vis à vis des « bonnes pratiques ». » Sera donc considérée ici comme bonne pratique toute mise en oeuvre pédagogique dont les effets peuvent être évalués dans l’amélioration des apprentissages », souligne le rapport. « Cette formulation apparemment anodine rentre de fait en contradiction avec une tendance à la promotion de la nouveauté trop souvent oublieuse de l’analyse de ses effets ».
Et pour que ce soit plus clair, l’Inspection générale donne des exemples. Elle reprend carrément des extraits de présentations de projets lors de la Journée de l’innovation ministérielle. » L’accent y est régulièrement mis sur les objectifs transversaux et comportementaux aux dépens des apprentissages. L’inventivité des démarches y domine, aux dépens de la pertinence des contenus ».
Bonnes pratiques et liberté pédagogique…
Le rapport se porte alors vers les leviers et les freins au développement des bonnes pratiques. Les leviers c’est la formation des enseignants dans leur bivalence disciplinaire. L’Inspection dresse un portrait des professeurs auteurs de bonnes pratiques d’où il émerge une qualité principale : leur « excessive modestie » par opposition à leurs collègues qui revendiquent al liberté pédagogique. » L’exercice de la liberté pédagogique, dont se réclament le plus souvent les enseignants les moins inventifs pour refuser une modification de leurs habitudes professionnelles, ne va pas de soi pour les professeurs mettant en oeuvre de bonnes pratiques », affirme le rapport.
Pour lui le principal levier c’est d’abord le soutien des cadres , chef d’établissement mais en premier lieu l’inspecteur. Ainsi, » les entretiens d’explicitation menés par certains inspecteurs territoriaux avec les enseignants ont permis d’aider ces derniers à prendre conscience de leurs choix didactiques et des démarches pédagogiques qu’ils ont mises en oeuvre, et à disposer ainsi d’une vision globale de leurs actions. Compte tenu de leurs bénéfices, il apparaît à la mission que les entretiens d’explicitation forment un outil indispensable qui devrait être généralisé. »
Les bonnes pratiques sont dans les clous…
L’autre grand levier ce sont les référentiels. Les inspecteurs déplorent que les enseignements généraux liés à la spécialité (EGLS) ne soient pas appliqués. Ils en rendent responsables les directions d’établissement. Et la principale recommandation du rapport c’est de rendre obligatoire le fléchage des heures (152 h annuelles sont officiellement attribuées aux EGLS). » Flécher partout dans les dotations horaires globales, dès leur attribution aux établissements, les horaires des enseignements généraux liés à la spécialité, et s’assurer au niveau rectoral que les moyens qui leur sont alloués ne soient plus détournés de leur destination règlementaire. »
De la même façon la réforme du bac professionnel GA, qui rencontre de grandes difficultés, est pour l’Inspection une source de bonnes pratiques. » Le baccalauréat professionnel gestion – administration a conduit les enseignants à construire les apprentissages dans le cadre de situations professionnelles. Les ateliers rédactionnels, prévus par le référentiel, s’avèrent par ailleurs un exemple réussi d’EGLS, dispositif dont la mission a cependant constaté et contesté le détournement des moyens horaires alloués, faute de fléchage suffisant ».
Le rapport propose encore deux recommandations importantes. Assurer la diffusion des bonnes pratiques… en la dirigeant vers les inspecteurs. » Garantir la fluidité de la circulation des informations concernant les bonnes pratiques vers les inspecteurs disciplinaires, en veillant à s’appuyer toujours sur l’expertise de ces derniers, seuls à mêmes de dépasser la considération de l’action pour analyser son efficacité dans les apprentissages au plus près des classes. » Et enfin veiller à ce que faire disparaitre les « inacceptables hiérarchies symboliques » qui d’après le rapport, se manifestent entre IEN et IPR…
Inventivité et inspection vont en bateau…
Mis devant l’inventivité des enseignants, le rapport n’a pas su dépasser une contradiction de taille. Il insiste sur le rôle premier des enseignants. » Un projet né à côté des professeurs ne se réalise que très partiellement, et peut même voir trahis dans une mise en oeuvre ses principes et ses objectifs, aussi pertinents paraissent-ils par ailleurs », écrit-il. Mais il revient toujours au rôle moteur des inspecteurs dans l’objectif de faire passer les réformes décidées par en haut. Or la bonne pratique souvent se construit à l’écart de tout cela. Entre la hiérarchie et le collectif enseignant, dont on voit bien qu’il est un levier à développer d’urgence, l’Inspection a choisi…
François Jarraud