Doit-on choisir son orientation en fonction de sa race ? La question se pose déjà au moins en Ile-de-France. Une nouvelle étude réalisée par une doctorante de Sciences Po, Elodie Druez, montre que l’expérience des élèves d’origine subsaharienne n’est pas la même en fonction de leurs résultats scolaires. Quand les élèves moyens et faibles subissent plutôt de la discrimination, les « bons élèves » rencontrent du racisme durant leur parcours dans les « bons établissements » très majoritairement « blancs ». L’étude aborde un volet encore tabou des processus de ségrégation sociale dans l’Ecole.
Apartheid scolaire en France ?
« J’étais une bonne élève, mais c’était quelque chose que les gens ne comprenaient pas parce que, dans leur tête, les “Noir·e·s”, ils devaient toujours partir en bac pro, c’était vraiment ancré dans ce collège-là, je ne sais pas pourquoi ». C’est en partant de témoignages et d’un questionnaire adressé à près d’un millier de jeunes issus de l’immigration subsaharienne qu’Elodie Druez a mis en évidence, dans un article publié par la revue Terrains & travaux (n°29), ces ressentis de discrimination et de racisme dans le système éducatif.
Le mot « apartheid » a déjà été prononcé par un premier ministre récemment. Et le Café pédagogique a pu décrire la mise en place d’un véritable apartheid dans les établissements populaires franciliens. » En bac pro Accueil, j’ai quasiment 100% de filles noires », nous avait dit Eric Dogo, proviseur adjoint d’un lycée professionnel d’Evry. « Or cette non mixité est extrêmement grave. Cela induit un comportement et nourrit des stéréotypes chez ces élèves que l’on regroupe, convaincus qu’ils ne sont pas dans la norme ». Et récemment un numéro de la Revue française de pédagogie, coordonné par Georges Felouzis et Barbara Fouquet Chauprade, a mis en évidence une discrimination systémique à l’oeuvre dans l’Ecole.
Discrimination et racisme à l’oeuvre
L’intérêt de l’étude d’Elodie Druez c’est qu’elle s’intéresse aussi aux « bons élèves » ceux qui sont envoyés dans les filières de l’enseignement général. Elle montre que leur ressenti est très différents de celui des élèves faibles ou moyens.
« Toutes choses égales par ailleurs, les très diplômé·e·s (Bac+3 et plus) ont deux fois moins de chances d’interpréter des comportements comme relevant d’une discrimination par rapport à celles et ceux possédant un niveau de diplôme inférieur ou égal au CAP/BEP… À l’inverse, celles et ceux qui ont un haut niveau de diplôme sont plus enclin·e·s à déclarer l’expérience de comportements, propos ou attitudes racistes. En effet, les Bac+3 (et plus) ont 1,7 fois plus de chances de se dire victimes de racisme par rapport aux enquêté·e·s qui ont un niveau d’étude inférieur ou égal au BEP/CAP ».
L’enquête montre que les élèves faibles ou moyens ressentent de la discrimination particulièrement au moment de l’orientation. » Je n’étais pas une élève brillante, parce que je ne m’en donnais pas les moyens, mais je n’étais pas nulle, j’étais une élève moyenne. J’avais à peu près 12/13 de moyenne générale et à la fin de l’année, on m’a proposé de faire un BEP. Je sais pertinemment que je n’avais rien à faire dans un BEP », explique par exemple une jeune fille. On est là devant des phénomènes de discrimination institutionnelle, reposant sur des stéréotypes, que G Felouzis a déjà mis en évidence.
L’expérience singulière des bons élèves
L’expérience des bons élèves d’origine subsaharienne est différente. Souvent ils intègrent des établissements socialement et ethniquement ségrégués et se retrouvent le seul « noir » dans l’établissement ou la classe. » Dans ces trajectoires, logiques de classe et de race s’imbriquent, influençant le ressenti de la racisation, et le racisme vécu prend de multiples formes : des regards intrigués, apeurés, l’envie de toucher les cheveux, des questions ou blagues déplacées sur l’Afrique, sur les Africain·e·s ou sur la couleur de peau », écrit E Druez.
» Dès leur entrée dans de bons lycées, les diplômé·e·s disent avoir été confronté·e·s à du racisme de la part des autres élèves », explique Elodie Druez. « Cette expérience prend, au premier abord, la forme de préjugés, c’est-à-dire une impression de suspicion et de distance de la part de leurs camarades. En témoignent les récits de Mickael, étudiant en master d’architecture dont les parents d’origine togolaise sont tous deux comptables, mais qui a grandi dans un quartier défavorisé du 19e arrondissement, et d’Aïssata, dentiste d’origine sénégalaise issue d’un milieu modeste. Si le premier raconte qu’un garçon lui a demandé s’il était une « racaille » parce qu’il portait une casquette, la seconde explique avoir été stigmatisée parce qu’elle a huit frères et soeurs et habitait dans le 18e arrondissement. Leurs expériences témoignent de l’imbrication des rapports sociaux de « race » et de classe. Les stéréotypes racistes vont de pair avec des catégorisations de classe et la couleur de peau « noire » est directement associée à un milieu social défavorisé ».
Quelles conséquences ?
Cette situation a un coût pour les jeunes qui la vivent comme particulièrement déstabilisante. » On se sent spécial d’un côté, mais de l’autre côté, je me demande si j’ai ma place », dit Amadou, un jeune ingénieur qui a grandi dans le 15ème arrondissement parisien. Les jeunes s’adaptent soit par une stratégie de détachement soit en trouvant des alliés « blancs » quand ile ne remettent pas purement et simplement leur orientation.
Interrogée par Le Café pédagogique, Elodie Druez souligne qu’elle a rencontré peu de cas de ressenti raciste lié aux enseignants. « Le racisme a moins de chance de s’exprimer entre élèves et enseignants car en France il y a une forte distance entre professeurs et élèves », nous a-t-elle dit. Pour sa thèse elle étudie ces la racisation en France et en Angleterre. « En Angleterre les gens sont au courant du racisme institutionnel et sont plus conscients du problème. Ils en parlent y compris du racisme des enseignants ».
François Jarraud
Elodie Druez, Réussite, racisme et discrimination scolaires. L’expérience des diplômé·e·s d’origine subsaharienne en France. Terrains & travaux, n°29