Comment naissent les difficultés d’expression écrite ? De nombreuses études, la plus récente étant celle de R Goigoux, ont travaillé sur les méthodes d’apprentissage. Dans un récent numéro d’Economie et statistiques, l’Insee aborde la question sous un angle nouveau : celui des incidents de la vie survenus dans l’enfance et celui du lien entre compréhension et expression écrites. A l’origine une source commune : la grande enquête Information et vie quotidienne de 2011 qui porte sur des adultes.
Un pourcentage d’illettrés en baisse chez les plus jeunes
L’enquête Information et vie quotidienne fait partie des grandes enquêtes internationales sur les compétences des adultes. Les premiers résultats ont fait apparaître que, en 2011, 16 % des personnes de 18 à 65 ans résidant en France métropolitaine éprouvent des difficultés dans l’un au moins des trois domaines fondamentaux de l’écrit, ces difficultés étant évaluées comme graves ou fortes pour 11 %. Si l’on considère les seuls individus qui ont été scolarisés en France, 7 % sont dans cette dernière situation et peuvent donc être considérés comme en situation d’illettrisme – soit environ 2,5 millions de personnes de la tranche d’âge retenue. La proportion correspondante était évaluée à 9 % en 2004. Le recul de deux points du taux d’illettrisme s’expliquerait par un effet de génération. Les jeunes nés après 1986 n’étaient pas présents en 2004, mais ils le sont en 2011 et, parmi eux, le taux de difficultés graves ou fortes s’élève à 5 %. On notera les progrès d’une génération à l’autre, contrairement à ce que beaucoup de médias affirment…
Quel lien entre un début de vie difficile et la littératie ?
L’enquête permet notamment de faire le lien entre le niveau de littératie et les évenements considérés comme marquants survenus dans la vie des sondés. Elle établit un lien relatif entre certaines conditions de vie et des difficultés en expression écrite. » La variété des situations individuelles invite à relativiser l’idée de l’existence d’un lien mécanique entre, d’une part, enfance difficile et manque de compétences et, d’autre part, entre difficultés éprouvées face à l’écrit et situations de précarité et isolement social », note Economie et statistiques.
« C’est au sein d’une seule classe qui regroupe 7 % des répondants (classe 6) que l’on observe réellement des situations que l’on peut qualifier d’illettrisme pour des personnes ayant vécu une enfance difficile avec un parcours scolaire extrêmement réduit et des conditions de vie précaires. C’est vers cette population que les efforts des politiques doivent se tourner en priorité. En effet, si parmi les profils mis en évidence, certains se caractérisent également par une enfance difficile, dans un contexte familial violent et financièrement précaire, ils ne s’accompagnent pas à l’âge adulte de difficultés spécifiques en termes de maîtrise de l’écrit mais se signalent davantage en termes de difficultés économiques ».
Reste que « près de la moitié des personnes en situation d’illettrisme déclarent avoir ressenti des difficultés dès le début de leur scolarité » Pour les auteurs, « ce constat invite à accentuer les efforts en faveur des politiques scolaires de soutien aux jeunes enfants en difficulté. »
L’écriture est une acculturation
Un autre aspect est travaillé dans l’enquête : celui du lien entre compréhension et production écrite, l’enquête demandant de produire du texte libre. Pour les auteurs, l’obsession orthographique est surévaluée. » Les personnes présentant le plus de difficulté en production écrite ont aussi des difficultés par ailleurs, notamment en compréhension écrite et nous avons conclu que de fortes difficultés pour écrire sous la dictée sont un assez bon révélateur de difficultés en compréhension écrite. En revanche, une bonne connaissance de l’orthographe, telle qu’évaluée par le test, n’est pas toujours associée à une bonne compréhension de l’écrit et de l’oral », notent-ils.
Autre conclusion : » La maîtrise des formes requiert donc bien plus qu’une acquisition des principes régissant nos pratiques écrites, mais une véritable acculturation à l’écrit : bien écrire n’est pas seulement une technique à acquérir, des règles à connaître ou une discipline à laquelle se soumettre, c’est aussi une pratique plus ou moins intégrée dans les usages quotidiens que l’on fait de la langue, pour interagir avec d’autres, pour communiquer, s’orienter, se divertir, etc. Les pratiques de formation devraient tenir compte de ce résultat, et être conçues au moins autant comme des acculturations à l’écrit, à ses usages, ses normes sociales, que comme l’enseignement de techniques, de raisonnements et de règles ».
F Jarraud