Retardée, abordée par des biais divers, la question de l’autonomie des établissements scolaires va sans doute être un point obligé du débat éducatif des présidentielles. Une nouvelle note de France Stratégie, un service du premier ministre, présente trois conceptions différentes de cette autonomie. Entre la privatisation, le renforcement hiérarchique ou le développement de collectifs d’établissement, trois voies se dessinent pour les politiques. Dans les 3 cas , le statut des enseignants et leurs conditions d’exercice se retrouvent au coeur de la question. Concilier l’autonomie et le sens que les enseignants donnent à leur métier ne sera pas une petite affaire…
Une idée qui vient de loin..
L’idée d’accorder davantage d’autonomie aux établissements scolaires s’est imposée dans le débat éducatif face aux résultats décevants du système éducatif. L’Ecole se trouve dans une injonction de réussite pour tous alors qu’elle laisse peu de marge sur le terrain pour y répondre. Mais c’est aussi une norme internationale qui est en train de s’imposer dans l’ensemble des pays avec des formules différentes.
En France on peut même dire qu’elle vient de loin. Dans un numéro de 2015 de la revue Administration & éducation, JP Delahaye fait remonter l’autonomie aux père fondateurs de la IIIème République en rappelant les tentatives d’autonomie données aux lycées avant 1914. Gérald Chaix montre comment l’idée d’autonomie se situe dans un cadre de pensée plus large, celui du New Public Management qui a remis en question l’état providence en injectant dans l’administration des notions venues de l’entreprise comme le terme même de management. « L’Etat ne cherche plus à être le lieu où le bien commun et juste se construit… mais se contente d’être le lieu de la recherche rapide, économe et parfois autoritaire des moyens les plus appropriés pour l’atteinte de finalités générales.. qui sont celles que lui imposent le triomphe du capitalisme, la mondialisation économique ».
Trois modèles pour une autonomie
Une note publiée par France Stratégie Montre que depuis les années 1980, la majorité des pays développés ont redistribué les responsabilités par une réelle décentralisation politique , la déconcentration vers des échelons administratifs locaux, solution que la France a préféré mais en lui mettant des limites fortes comme le statut national des enseignants, ou vers les établissements eux-mêmes. C’est maintenant cette autonomie là qui est en train de l’emporter et qui cogne à la porte des présidentielles et de l’école.
La note de France Stratégie montre que trois modèles s’opposent sur l’idée d’autonomie.
Des communautés éducatives renforcées
Le premier modèle c’est le renforcement de l’autonomie des communautés éducatives. » Cette option repose sur le développement d’une plus forte capacité d’auto-organisation locale (coopération entre enseignants et avec le chef d’établissement, mise en place d’un projet commun et direction collégiale centrée sur le pédagogique), sans quasi modifier les compétences de chefs d’établissement ni les principes de gestion des personnels. Elle vise donc à mobiliser pleinement les marges de manoeuvre dont disposent déjà les chefs d’établissement et les équipes éducatives », écrit France Stratégie.
C’est le modèle que l’on voit à l’oeuvre dans la réforme du collège. Elle implique que les chefs d’établissement soient capables d’endosser le costume du manager. Surtout elle exige » la pleine mise en oeuvre de la récente redéfinition réglementaire du métier d’enseignant qui valorise les temps de suivi des élèves et des projets. Elle doit être complétée par l’inclusion de la concertation dans les obligations de service ». Toutes choses qui restent à obtenir. Enfin France Stratégie estime que ce devrait être complété par une structure de diffusion des « bonnes pratiques », une idée elle aussi entrée dans la doxa de la rue de Grenelle.
L’autonomie contractualisée
Le second modèle envisagé par France Stratégie c’est celui de l’autonomie contractualisée. » les académies bénéficient de contrats d’objectifs et de gestion avec l’État, modulant leurs moyens en fonction de leurs difficultés de recrutement et des besoins d’accompagnement des enseignants et des établissements par les inspections. Pour plus de latitude de gestion, le périmètre de recrutement et d’affectation des enseignants serait élargi aux régions académiques créées au premier janvier 2016 (au nombre de 17 contre 30 académies) », écrit France Stratégie.
» Les chefs d’établissement disposent d’une latitude d’action plus significative qu’aujourd’hui : autorité en matière d’organisation de l’enseignement et de pédagogie, plus grande autonomie financière et de gestion, particulièrement en matière de masse salariale – augmentation de la part des recrutements « sur profil » et entretien, révision des plafonds horaires hebdomadaires et annuels de service ».
La privatisation
Il y a encore un troisième modèle. C’ets celui de Trump et celui qui est déjà en oeuvre en Angleterre, aux Etats Unis et e Australie : la privatisation du public et le développement du privé. » Le gouvernement britannique a ainsi permis (en Angleterre NDLR) à partir des années 2000 la libre création d’academies (écoles publiques changeant de statut pour devenir indépendantes) et de free schools (écoles d’initiative privée approuvées sur projet par le ministère de l’Éducation), avec financement au prorata du nombre d’enfants scolarisés. 40 % des élèves du secondaire sont aujourd’hui scolarisés dans des établissements sous ces statuts. Par rapport aux écoles publiques ordinaires, elles jouissent de trois libertés fondamentales : liberté des moyens, des outils et des méthodes d’enseignement (« freedom in delivering the curriculum ») ; liberté de recrutement et de rémunération du personnel, au besoin en dehors du vivier des « qualified teacher status » ; liberté de fixer la durée de l’année scolaire », écrit France Stratégie. Trump veut aller plus loin en affectant les moyens financiers directement aux familles à travers un chèque éducation qui existe déjà dans certains états. Dans ce modèle les chefs d’établissement ont tout le contrôle de l’embauche des enseignants.
Où en est-t-on dans l’OCDE ?
Aujourd’hui , dans une quinzaine de pays de l’OCDE les établissements choisissent les enseignants et peuvent les mettre à pied et dans une vingtaine ils peuvent choisir les remplaçants. Dans une vingtaine de pays l’établissement influe sur les devoirs des enseignants. Si le curriculum reste presque partout une affaire d’Etat, une assez large autonomie prévaut dans le choix des méthodes d’enseignement, des manuels et des évaluations.
Certains pays sont allés loin dans le sens de l’autonomie des établissements. Celui qui est allé le plus loin c’est la Suède. Dans les années 1990, le pays est passé en quelques années d’un système éducatif étatique et centralisé à une décentralisation totale. Les enseignants sont devenus des employés communaux. Les établissements sont gérés par des chefs d’établissement qui ont une totale liberté de gestion sous tutelle de la municipalité et une large autonomie pédagogique. Les parents peuvent inscrire leur enfant dans l’école de leur choix à l’intérieur de la commune. Ils disposent d’un chèque éducation. C’est son apport qui alimente le budget de chaque école.
Vingt ans plus tard, l’OCDE a pointé l’échec de cette réforme. Elle constate le faible niveau de compétences des élèves suédois et la baisse régulière de leurs performances. Elle provient de l’absence de discipline dans les établissements et aussi de l’émiettement du système de formation des enseignants dont l’embauche est maintenant municipale. L’Ocde pointe aussi le faible niveau du statut social des enseignants. Cerise sur le gateau : les communes ont du mal à trouver des chefs d’établissement sur qui pèsent trop de responsabilités.
En France, un enjeu de 2017
En France, l’attachement du public à un système éducatif national est encore très fort. Des voix se font entendre en faveur du premier modèle. C’est le sens du rapport du Cnesco qui veut changer le travail enseignant en développant la socialisation des enseignants.
Le 3ème modèle pointe le bout du nez à travers l’idée de relacher les ouvertures de classes sous contrat ou de régionaliser l’enseignement professionnel.
Mais l’idée du chèque éducation, fer de lance de la campagne de Trump ne s’est pas encore imposée dans la campagne. Par contre F Fillon promet des chefs d’établissement qui recrutent et licencient et qui soient capables d’exiger davantage des enseignants au moment où l’Etat cesse d’embaucher et de remplacer les départs en retraite. Une sorte de mélange des 2ème et 3ème modèles.
L’obstacle des enseignants
L’obstacle à surmonter ce sont les enseignants et particulièrement leur statut. D’où les pressions déjà très fortes pour affronter les empêcheurs de réformer en rond. Le récent rapport Longuet propose une véritable mise au pas des enseignants qui rendrait le reste possible. L’enjeu va pourtant bien au delà de leur sort. C’est de savoir si l’Ecole doit être an service d’un marché de l’éducation ou à celui de la réussite de tous les jeunes. Les défaillances actuelles du système ne doivent pas amener à jeter le bébé avec l’eau du bain.
François Jarraud