Alors que Pisa 2015, dont la dominante est les sciences, vient encore de montrer de très fortes inégalités sociales et ethniques des élèves dans l’acquisition des compétences scientifiques, peu de travaux montrent comment celles-ci se créent dans la classe. C’est tout l’intérêt de la thèse de Marion van Brederode. Analysant programmes, manuels et cahiers d’élèves de 6ème en SVT, elle montre comment l’enseignement est socialement différencié. Pendant que les enfants des collèges favorisés acquièrent une vision savante et systèmique des SVT, les autres s’en tiennent à une approche descriptive et décomplexifiée.
Ce n’est pas par hasard que Marion van Brederode s’est intéressée à la fabrication des inégalités dans la classe. Professeure de SVT dans un collège de l’éducation prioritaire dans le 93, avant de devenir universitaire, elle a été confrontée à l’échec scolaire d’une partie des élèves.
« Les travaux de recherche mettaient l’accent sur l’héritage culturel des élèves pour expliquer les inégalités. Je voyais bien que ce qu’on me disait en formation ne m’aidait pas à faire face aux difficultés des élèves ». Alors M van Brederode s’est penchée vraiment sur ce qui s’apprend en classe pour essayer de comprendre la fabrication des inégalités. Et elle a présenté le 29 novembre 2016 sa thèse sur » Savoirs scientifiques, malentendus et inégalités sociales à l’école. Les formes disciplinaires des SVT en 6ème », sous la direction de P Rayou.
Vous avez choisi de travailler sur la classe de 6ème. Pourquoi ce niveau ?
Les élèves ont bien sur fait des sciences à l’école élémentaire. Mais elles sont enseignées par des maitres qui très souvent n’ont pas de formation scientifique et sont parfois sacrifiées quand on a besoin d’heures. La 6ème c’est la première année où les élèves bénéficient d’un enseignant spécialisé. On peut observer comment ils entrent dans une discipline scientifique.
Vous dites qu’au fil des années les programmes de SVT sont devenus plus complexes. Que voulez vous dire ?
Dans les années 1960, on demandait aux élèves de connaitre des structures et de faire des liens avec des fonctions biologiques. Par exemple on demandait aux élèves de connaitre les structures des fleurs et de faire un lien avec leur fonction par exemple de reproduction.
Plus tard ce sont les fonctionnements qui sont devenus importants. Par exemple il faut savoir il faut savoir qu’une fleur devient fruit et que la graine participe à la dispersion de l’espèce et au peuplement du milieu. En même temps on introduit les stratégies de sélection dans l’évolution.
C’est une évolution intéressante. Mais au regard des élèves c’est une élévation des exigences et des attendus de l’école qui se produit au moment où son public évolue. Dorénavant tous les enfants vont en 6ème. Cela conduit à des difficultés pour certains élèves. Et c’est en constatant cela que je me suis intéressés aux cahiers des élèves.
C’est un point important de votre thèse. Vous avez étudié les cahiers des élèves de 11 établissements, 6 défavorisés et 5 favorisés, situés dans plusieurs académies. Cela nous apprend quoi ?
J’ai passé du temps à découper ces cahiers en moments de travail et à observer ce qu’on demande aux élèves durant ces moments, quelles activités cognitives ils fonts, quel type d’écrit on leur demande, quels supports ils utilisent et finalement quels savoirs sont mis à la disposition des élèves.
Les enseignements sont différents entre collèges favorisés et défavorisés ?
Il y a des points communs et des différences. L’organisation des cours se ressemble partout. On est dans un modèle socio constructiviste qui fait appel aux recherches des élèves pour construire le cours. Celui ci est suivi d’une évaluation. Partout il y a peu d’exercices qui permettraient d’autonomiser les procédures. Finalement ce modèle n’est pas évident pour tous les élèves.
Le différences sont d’abord dans le type d’écrit demandé. Les élèves des collège favorisés se voient demander des écrits plus longs. On ne pose pas non plus les mêmes questions. On demande moins aux élèves des collèges défavorisés de modéliser. La plupart du temps ils sont interrogés sur des informations explicites et faciles à repérer. Dans les collèges favoriser on va demander aux élèves de concevoir un modèle avec des principes explicatifs.
Par exemple dans un collège défavorisé on va demander aux élèves comment se comporte le hérisson en hiver : il se met en boule. Dans un établissement favorisé on demandera d’expliquer ce comportement : le principe du manque de nourriture lié à l’hiver.
Au final on délivre des savoirs différents aux élèves. Aux uns on va dire qu’en hiver les oiseaux migrent. Aux autres on va demander de problématiser. Par exemple expliquer que les modifications des paramètres du milieu entrainent la raréfaction de la nourriture qui explique plusieurs stratégies pour se nourrir dont la migration.
En 6ème j’observe que certains élèves sont confrontés à ce que j’appelle le « savoir plus que » : des savoirs factuels accompagnés de facteurs explicatifs. Et là on transmet réellement des lunettes pour comprendre le monde.
Cette évolution est volontaire ou pas ?
Dans la mesure où les savoirs sont plus accessibles sur internet et diffusés plus rapidement il y a une volonté de transmettre des savoirs plus complexes qui est liée aussi au fait qu’ils se complexifient. C’est une bonne chose. Mais il faut réfléchir aux moyens mis en oeuvre pour qu’ils soient acquis par tout le monde. On peut s’interroger sur une modalité de reproduction du savoir où on complexifie le savoir alors qu’on accueille tous les enfants dans les classes.
A force de vouloir faire entrer les élèves dans la complexité plus tôt sans asseoir les savoirs nécessaires on favorise en fait certains élèves.
Quels conseils donner aux enseignants ?
D’abord il faut s’intéresser davantage aux cahiers des élèves. On ne se rend pas compte de leur effet sur les élèves. Ils vont s’intéresser d’abord à ce qui est écrit dans leur cahier et entouré de rouge. D’autre part il faut être clair sur les principes épistémologiques de ce qu’on enseigne.
Propos recueillis par François Jarraud