» Nous savons maintenant qu’en éducation le changement ne se décrète pas ». Dans une note sur les résultats de Pisa et Timss, Nathalie Mons, présidente du Conseil national d’évaluation du système scolaire (Cnesco ), revient sur l’immobilisme français dans Pisa alors que nos voisins voient leurs résultats monter. C’est l’art de réformer qu’il faudrait sans doute faire évoluer… Mais la note du Cnesco appelle surtout à mettre les maths sous surveillance et à changer en profondeur les conditions de travail des enseignants. Pas sur que ça plaise…
Un diagnostic courageux
» Si le score national français fait le yoyo autour de la moyenne de l’OCDE… avec constance, la France se présente en tête des pays de l’OCDE pour son déterminisme social à l’école ». Nathalie Mons fait un bilan acide des résultats de Pisa et de l’impuissance des gouvernements à les améliorer. Dans l’atmosphère de relatif soulagement et de déresponsabilisation qui entoure Pisa 2015, elle met le doigt là où ça fait mal : l’incapacité du pays à suivre le progrès général des systèmes éducatifs.
Les maths sous surveillance
Elle met l’accent d’abord sur les maths après la chute impressionnante de niveau dans l’enquête Timss (au Cm1) et la nouvelle baisse dans Pisa 2015 (élèves de 15 ans). Dans l’enquête PISA, l’écart se creuse entre les bons élèves et les élèves en difficulté. 24 % des élèves français sont en difficulté, c’est-à-dire sous le niveau 2 de compétences. Ce pourcentage a augmenté en 2015 (22 % en 2012). Dans le même temps, la proportion d’élèves très performants s’est amoindrie (de 13 % en 2012 à 11 %).
Pour N Mons; » une discipline… doit être placée sous surveillance : les mathématiques et l’apprentissage de ses fondamentaux. Une réflexion doit être entamée sur l’apprentissage des fondamentaux en mathématiques de façon résolue ».
Changer la socialisation des enseignants
Mais c’est surtout l’environnement de travail des enseignants et leur socialisation qui doivent évoluer selon elle. Pour elle c’est là que se noue l’incapacité à réformer. Certes, il faut » une continuité dans les politiques scolaires, au-delà d’une décennie, grâce à un consensus trans-partisan ».
Mais il faut surtout une véritable chaine qui permette de faire évoluer les pratiques dans la classe. N Mons évoque » des liens forts entre des programmes scolaires fondés sur les résultats de la recherche, des formations initiales mais surtout continues des enseignants massives, leur permettant de les mettre en oeuvre, des matériaux pédagogiques solides pour les aider à construire leurs cours, des banques d’évaluations diagnostiques des élèves pour donner des repères aux enseignants et dont l’analyse permet en retour d’amender les programmes pour les rendre plus efficaces ».
C’est bien l’écosystème dans lequel évoluent les enseignants qu’il faut selon elle faire évoluer pour en faire une machine efficace au service du changement, ce que les autres pays auraient réussi à faire.
Modèle anglais et japonais
Cela passe par » un soutien au travail des enseignants qui ne sont plus isolés dans leur classe : interventions d’enseignants spécialisés dans la didactique de certaines disciplines quand les enseignants rencontrent des difficultés avec des élèves, mentorat entre enseignants dans les établissements pour développer les réflexions entre pairs, auto-évaluation dans les établissements qui peut être pratiquée avec l’aide de personnels ressources extérieurs aux établissements ».
Le Cnesco met en avant l’expérience anglais. Pisa montre notamment que les Anglais ont su réduire énormément les inégalités sociales dans leur système éducatif, notamment l’écart entre immigrés et autochtones. » En Angleterre, le programme numeracy and litteracy strategies, mis en place depuis 1997, est fondé sur un cadre théorique construit sur des travaux de recherche et sur des résultats d’évaluations nationales et internationales (notamment TIMSS), elle repose sur quatre principes en mathématiques : séances de mathématiques quotidiennes, « enseignement direct », différenciation et calcul mental. Il a ainsi permis d’accompagner les enseignants dans leur travail, en les guidant dans les leçons, structurées par un cadre national très précis comprenant un planning de progression. Il a aussi proposé des formes de pratiques et de consolidation, avec notamment des rappels en début de chaque séance, aides ou petits défis pour les élèves. Des « référents » en mathématiques ont été désignés au sein de chaque école, localité et région. Les enseignants ont également pu assister à des démonstrations de « bonnes pratiques » et profiter de nombreuses ressources mises à leur disposition », écrit le Cnesco.
Il met aussi en avant les « lesson studies » japonaises. » Le principe de « lesson study » est un protocole de formation des enseignants par les pairs qui vient du Japon, en lien résultats issus de la recherche. Dans une première phase, des enseignants construisent ensemble la meilleure séance possible sur un thème donné, pour que, dans un deuxième temps, l’un d’entre eux la mette en oeuvre avec des élèves. Après observation et analyse de la séance, les enseignants se réunissent à nouveau : celui qui l’a animée s’exprime le premier, puis ses collègues présentent chacun à leur tour leurs propres analyses. Le groupe prend alors en compte les retours effectués afin d’améliorer la séance dans un nouveau processus collectif ».
Efficacité vs prolétarisation ?
Le Cnesco n’et pas seul à porter la nécessité de changer la socialisation des enseignants. P Rayou récemment en faisait le levier d’un changement positif du système éducatif français. Mais avec son diagnostic qui tranche sur le bilan de Pisa 2015 et cette nouvelle exigence, le Cnesco prend le risque de mécontenter tout le monde. Car cette nouvelle conception du métier briserait l’isolement des enseignants. Mais elle changerait aussi la nature du métier qui passerait d’un exercice seul mais libre à une fonction d’exécution accompagnée. Une nouvelle conception qui exigerait une évolution des représentations que se font de leur métier aussi bien les enseignants que l’encadrement où la satisfaction de l’efficacité n’est pas forcément compensée par une prolétarisation du métier. En un mot : ça va pas être facile…
François Jarraud