Ancien directeur de l’enseignement scolaire (Dgesco) entre 2012 et 2014, ancien conseiller spécial de Vincent Peillon, Jean Paul Delahaye connait parfaitement les rouages de l’éducation nationale. Il a largement contribué à la définition et la mise en place de la réforme de l’Ecole. Trois ans après le lancement de la refondation, les résultats de Pisa 2015 montrent qu’il y a peu de progrès. Comment explique-t-il cette situation ?
Les résultats de Pisa 2015 ne sont-ils pas décourageants après l ‘annonce de la refondation tout le travail de ces dernières années ?
Non pas du tout. C’est au contraire un grand encouragement. Le niveau en sciences est stable, même si le nombre d’élèves en difficulté augmente. Les maths aussi. On progresse en compréhension de l’écrit. Notre problème c’est que la moyenne ne veut rien dire chez nous. Il y a un grand écart entre les élèves selon leur origine sociale. On voit un creusement des écarts. L’Ocde nous dit que la relation entre performances et origine sociale des élèves est une des plus fortes des pays participant à Pisa.
Ca peut être vu comme le fait que la refondation ne sert à rien. Mais il faut rappeler que les élèves ont été évalués en 2015. La loi de refondation c’est 2013, les nouveaux programmes datent de septembre 2016. Les nouveaux moyens en espe c’est 2014. Les élèves qui ont passé Pisa 2015 étaient déjà en 4eme en 2013. Autrement dit leur scolarité était déjà très entamée et ce n’est pas la refondation qui est évaluée dans Pisa 2015.
Donc c’est un formidable encouragement à poursuivre la refondation. On voit que la question posée en 2013 reste pleinement d’actualité comme la réduction des inégalités. On est au début de la priorité au primaire par exemple, de la reconstruction de la formation des enseignants, de la concentration des moyens sur les territoires en difficulté, de généraliser ce que la recherche montre qui fonctionne . On a tous les outils pour dépasser aujourd’hui les oppositions.
On voit par exemple que la France a beaucoup plus de redoublants que les autres pays mais c’est en forte baisse depuis 2009. C’est encourageant. Et cette baisse n’a pas provoqué d’effondrement des résultats, même si évidemment elle ne suffit pas en soi.
On voit aussi que le système de tutorat est moins développé en France que dans les autres pays. Or dans la réforme du collège on met en place 3 heures d’accompagnement personnalisé. Finalement ce que montre l’Ocde est une justification de ce qu’on a fait dans la réforme du collège.
Tout ce qu’on a engagé en 2013 va demander du temps. C’est l’affaire d’une génération. Mais l’Ocde nous dit que la France est dans la bonne direction.
Au moment où on est à la veille d’élection importante cela confirme un diagnostic : l’école doit cesser d’être un problème pour devenir une grand e cause nationale.
Sur quelles indications pédagogiques données par Pisa faut il insister ?
Le tutorat mais aussi la formation des enseignants français, la priorité au primaire, des moyens pour ceux qui ont moins. Mettre aussi dans les zones prioritaires de l’organisation, davantage de moyens pour les enseignants. On l’a toujours fait pour les élites, les CPGE par exemple qui ont à la fois un meilleur traitement et des horaires aménagés. On a peu songé à le faire pour ceux qui enseignant en zone prioritaire. On a commencé avec les rep+ il faut aller plus loin.
L’Ocde pose aussi la question du plaisir à l’école. Les élèves français ont moins de plaisir que les autres à aller en cours de sciences. N’est on pas devant quelque chose qui tient à l’histoire de notre école ? Et comment faire ?
Dans la loi de refondation on a mis que l’école doit être fondée sur la collaboration et non la compétition. On met en place des cycles pour donner du temps. On est bien dans une organisation qui vise à restaurer le plaisir de l’élève. Mais c’est vrai que notre école a du mal à accepter la notion de plaisir. Les jeunes étrangers qui passent quelques jours dans nos écoles sont sidérés du silence et de l’absence de dialogue. Il faut faire évaluer cela mais à travers des formations. Car le plaisir n’est pas contradictoire avec l’effort.
Ceux qui décrochent aujourd’hui c’est aussi parce que l’activité qui se fait en classe n’a pas de sens pour eux. C’est pour cela que l’on met en place les EPI. Pour leur montrer que des connaissances sont au service d’un projet.
Le système français est aussi inégalitaire sous l’angle ethnique. L’origine étrangère est une sorte de tache qui touche aussi bien la première que la seconde génération. Comment l’expliquer ?
En effet les écarts entre natifs et immigrés sont considérables. Ce n’est pas dissociable de la question sociale. Ce sont des enfants qui vivent dans la pauvreté et dans des lieux où ils sont concentrés.
Timss était une catastrophe. Pisa n’est pas bon. Comment éviter que ce soit interpreté comme un condamnation de ce qui a été fait ?
Ca ne sera pas facile car il faut expliquer. Si on entre dans la logique des solutions paresseuses qui consistent à dire que c’est impossible de faire réussir tous les enfants, qu’il faut renoncer et retourner à l’examen d’entrée au collège c’est grave. Il faut expliquer que l’on a pris des orientation mais que l’on n’a pas assez réagi. Il faut enfin prendre au sérieux ces thermomètres. Comme l’Ocde nous y encourage ne baissons pas les bras. Tout n’est pas parfait mais il ne faut pas rompre la dynamique qui se met en place. Ce n’est pas facile en période de crise. Mais le drame serait de dire ne faisons rien ou faisons le contraire.
Propos recueillis par François Jarraud