Un nouveau dispositif est actuellement en vogue : le hackathon. Dans de tels événements, des développeurs volontaires se réunissent sur un temps limité pour faire de la programmation informatique collaborative. Le hackathon pédagogique en est une déclinaison dans le domaine éducatif : des enseignants se retrouvent pour construire un projet, et ainsi partager et enrichir leurs compétences. Le hackathon fait de la formation un événement : est-il susceptible de favoriser jusque dans l’Education nationale une culture de la coopération et de la créativité ? Professeur-e-s de lettres, Sarah Pépin-Vilar et Lionel Vighier ont participé au hackathon « Faire Racine en classe à l’heure du numérique » qui a eu lieu au 7ème Rendez-vous des Lettres les 28-29 novembre. Ils témoignent ici d’une expérience qui interroge le système : peut-on transférer et adapter un tel dispositif pour revitaliser les modalités de la formation continue?
Sarah Pépin-Vilar : Une expérience intense de travail en équipe
Pouvez-vous expliquer à ceux qui ne connaitraient pas le dispositif ce qu’est un hackathon ?
Le terme de hackathon est issu du milieu des programmeurs informatiques. Dans le domaine de la formation pédagogique, il s’agit de réunir des enseignants pour réfléchir et proposer des solutions à une problématique didactique ou pédagogique. C’est un dispositif basé sur l’échange et la coopération, en temps limité. Les participants essayent de relever un défi à plusieurs dans un temps défini : un marathon pédagogique créatif dont le résultat sera la production d’une ressource pédagogique.
Comment avez-vous précisément travaillé durant ce hackathon autour de Racine ?
Le sujet était « Faire Racine en classe à l’heure du numérique », c’est-à-dire se demander comment le numérique peut favoriser l’appropriation des textes de Racine par les élèves. Le hackathon s’est déroulé en trois sessions de 1h30, réparties sur une journée et demie pendant le « Rendez-vous des Lettres ».
Ces trois temps correspondent à trois phases du travail : problématisation, créativité, production numérique. Les formateurs de l’académie de Toulouse Florence Canet, Jean-Charles Bousquet et Marie Saint-Michel (IA-IPR) ont conçu et animé la formation.
La phase de problématisation nous a menés à nous questionner sur nos représentations de l’étude de Racine en classe. En alternant moments de travail individuels et échanges, nous avons mis en lumière les freins que l’on pouvait rencontrer lorsqu’on veut aborder l’œuvre de Racine au collège ou au lycée, identifié ce qui nous semblait essentiel pour la transmettre, et réfléchi à l’apport du numérique. Nous avons ainsi dégagé quelques idées directrices.
Les formateurs ont mis à notre disposition, sur un padlet, un certain nombre de ressources pour nourrir notre réflexion avant la deuxième session de travail.
La phase de création a consisté en des activités visant à favoriser notre esprit créatif, c’est à dire à aller au-delà de nos premières idées. Ces activités qui semblaient nous détourner du sujet, en nous plaçant par exemple dans un monde idéal, ou en nous demandant d’endosser le rôle de personnes n’ayant aucun lien avec l’enseignement ou la littérature, ont permis de faire émerger de nouvelles idées, de regarder le problème sous un angle nouveau et de « lâcher prise » par rapport à notre posture habituelle.
Dans la dernière phase, celle de la production, chaque groupe a créé un scénario pédagogique et l’a explicité en un format numérique.
Quels vous semblent les intérêts d’un tel dispositif ?
Le hackathon se déroule dans une ambiance très détendue malgré la contrainte du temps, il n’y a aucune hiérarchie entre les participants. C’est un moment de travail qui s’apparente à un jeu.
Les échanges entre pairs qui sont au cœur de ce moment de formation permettent la mise en œuvre de l’intelligence collective. C’est l’occasion de vivre une expérience intense de travail en équipe que peu d’enseignants ont l’occasion de vivre, et qu’ils ont rarement vécue dans leurs études universitaires en général. C’est aussi une manière d’expérimenter ce que l’on demande à nos élèves : travailler en groupe, être capables de se répartir les rôles, de s’écouter et de respecter les idées d’autrui. Enfin, c’est un dispositif qui favorise la créativité et l’envie de renouveler ses pratiques.
Vous semble-t-il transférable ? Dans la formation initiale/continue des enseignants ? Voire dans les classes ?
Oui, je pense que le dispositif est transférable. C’est d’ailleurs je crois déjà le cas dans l’académie de Toulouse pour des modules de formation continue avec les formateurs qui nous ont accompagnés lors de ce hackathon Racine. Nous menons aussi l’expérience à la DANE de l’académie de Créteil, pour la formation des commissions numériques.
La difficulté est celle de l’adhésion des participants à une modalité de formation qu’ils n’ont pas toujours choisie et qui leur demande une véritable mise en activité. Participer à un hackathon est généralement une démarche volontaire. Mais la découverte même involontaire de ce dispositif original peut être très motivante.
Le dispositif du hackathon me semble aussi transférable en classe. C’est une forme de pédagogie de projet.
Lionel Vighier : Mettre en place des hackathons dans les académies ?
En quoi a consisté le travail mené durant ce hackathon du Rendez-vous des Lettres ?
Le hackathon Racine a été mené dans le cadre du Plan national de formation des Lettres en novembre 2016. Je faisais partie de la délégation académique de Versailles en tant que IAN lettres de l’académie de Versailles. Le hackathon a été menée pendant deux jours, soit trois demi-journées, pour un total de six heures environ.
Le hackathon avait pour objet « Faire Racine en classe à l’heure du numérique ». Contrairement au hackathon traditionnel, il ne s’agit pas ici de développer une application numérique mais de concevoir un scénario pédagogique intégrant le numérique.
Nous étions cinq participants en plus des trois animateurs : ainsi trois groupes avaient pour mission de proposer un scénario pédagogique original pour enseigner une tragédie de Racine en prenant en compte à la fois le critère numérique et les différentes interventions auxquelles nous avions assisté lors du PNF.
Les activités du hackathon nous ont permis de problématiser le sujet, de chercher un maximum d’idées selon le principe du brainstorming, de libérer la pensée des schémas pédagogiques habituels par des exercices divers. Bien sûr, la dernière étape du hackathon consiste en la création d’un scénario pédagogique (seul interdit : la création d’un document de présentation type PowerPoint).
A quoi ressemble le scénario pédagogique ainsi produit ?
Le temps imparti, beaucoup plus restreint qu’un hackathon traditionnel, ne nous a pas permis de mettre en place un scénario pédagogique exhaustif. Cependant les groupes ont envisagé des scénarios pédagogiques permettant aux élèves d’entrer dans une tragédie de Racine, au choix entre Iphigénie et Phèdre. Nous avons mis l’accent sur la compréhension littérale de l’exposition, la compréhension des référents mythologiques et historiques, la construction progressive du sens par les élèves, en facilitant la circulation de sa lecture dans le premier acte, en stimulant et en mettant en perspective les réseaux de sens et les tensions qui le construisent. Surtout, le scénario pédagogique met l’accent sur le développement du sujet lecteur, en faisant appel à la subjectivité, voire à l’empathie de l’élève, en prenant appui sur les convergences et les divergences d’interprétation entre les élèves, tout cela dans le but de développer le plaisir de la lecture. Bien sûr, le hackathon a pour but de construire un scénario pédagogique idéal, dans des conditions idéales, où tout peut être envisagé. Et pourtant, j’imagine que tout n’est pas à jeter dans ce scénario utopique !
Quel jugement portez-vous sur ce dispositif du hackathon ?
Le hackathon m’a semblé un très bon moyen pour développer la communication, pour apprendre à penser autrement, pour dépasser certaines limites que certes la réalité nous impose mais que parfois on s’impose aussi à soi-même. C’est un exercice qui ne se fait que sous la pression du temps, et c’est aussi grâce à cette pression que la créativité parvient à s’exprimer.
J’ai aussi trouvé que la mise en relation avec les contenus des conférences était stimulante et permettait immédiatement de mettre en pratique ses contenus, de les interroger, de les problématiser.
Ce dispositif vous semble-t-il transférable ? Dans la formation initiale/continue des enseignants ? Voire dans les classes ?
Le dispositif du hackathon m’a semblé transférable surtout dans le domaine de la formation. Je l’ai trouvé très inspirant pour les cours, mais davantage dans certains détails, comme les pratiques du brainstorming, la gestion du travail de groupe, les exercices liés au développement de la créativité.
Mais c’est surtout aux formations destinées aux enseignants que j’ai pensé. En tant que formateur, cette expérience m’a donné envie de mettre en place un hackathon pédagogique interdisciplinaire dans mon académie, fondé sur l’appropriation de concepts didactiques et pédagogiques présentés dans une première journée, puis sur un défi lancé dans le cadre d’un mini hackathon d’une journée, proposant de problématiser, de mettre en pratique et en perspective les concepts découverts, définis dans la première journée. Une troisième journée pourrait être un retour d’expérimentations menées en classe.
Dans tous les cas, il faudra, selon moi, penser à l’avant et à l’après hackathon : je ne l’envisage que solidement fondé sur des concepts didactiques et pédagogiques, probablement neufs pour les stagiaires, et je souhaiterais penser son ancrage dans les pratiques pédagogiques du quotidien des professeurs en vue d’un réinvestissement à court, moyen ou long terme.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
(Photo extraites du Storify du hackathon)
Le dossier du Café pédagogique sur le 7ème Rendez-vous des Lettres
Le Storify du hackathon « Faire Racine » par Jean-Charles Bousquet
Vidéo de présentation d’un hackathon pédagogique