Marie Especel et Marlène Partyka sont des profs comme on les aime : joyeuses, dynamiques, aimant les élèves et passionnées par leur métier. Les 25 et 26 novembre derniers à Paris, elles ont participé au 9ème Forum des enseignants innovants. Rencontre.
Quand l’une commence une phrase, l’autre la termine.
– » Quand je vais faire mon cours de géo, j’ai le roman que les élèves étudient en français sous le bras « , explique Marlène Partyka, 34 ans, prof d’histoire-géo au collège Jacques Prévert de Bourg en Gironde, petite ville située à quarante kilomètres de Bordeaux.
– » L’avantage est que je sais que certains concepts évoqués dans le roman ont déjà été abordés « , complète Marie Especel, 38 ans, sa collègue de lettres. Le livre en question, » Eldorado » de Laurent Gaudé, met en scène un jeune migrant soudanais et un garde-côte italien.
– » Nous avons travaillé sur la distinction migrant économique-migrant politique, sur les dessins de presse et sur la photo du petit Aylan, et encore sur la différence entre information et opinion « , reprend Marlène.
– » C’est enrichissant pour toutes les deux, les élèves trouvent davantage de sens à ce qu’ils lisent « , ajoute Marie.
Migrations
Marlène Partyka et Marie Especel étaient venues à Paris exposer le projet qu’elles ont mené ensemble l’an dernier avec la classe de quatrième option Media. Son titre : » Des migrations et des (dés)informations « . Et son sous-titre : » Regard croisé sur un sujet controversé : les migrations internationales « .
Dans le cadre de l’Education aux medias et à l’information (EMI), l’idée était de mener un travail approfondi sur un sujet d’actualité, tragique, voire traumatisant, qui a bousculé les élèves. Or, démunis, ils ont bien du mal à prendre de la distance et ils risquent de tomber dans l’amalgame.
Twittroman
Marlène et Marie, qui ont l’habitude de collaborer, ont décidé de travailler en interdisciplinarité, c’est-à-dire en abordant le thème à travers trois disciplines – le français, le géographie et l’Education aux medias. Leur projet est ce que l’on appelle dans le jardon de l’éducation nationale un EPI, pour Enseignement pratique interdisciplinaire, ces EPI que la réforme du collège entend généraliser.
Après avoir lu le roman avec Marie, étudié les aspects migratoires et géographiques avec Marlène, les élèves en ont inventé la suite sur Twitter. Ils ont créé 5 comptes pour les 5 personnages. Puis à l’aide de dialogues de 140 signes, ils ont écrit la suite du voyage de Soleiman, le jeune migrant soudanais. A la fin du livre, après avoir traversé la Libye, il était en Algérie. Il parviendra jusqu’en France après moults péripéties.
Marlène et Marie n’imaginent pas revenir en arrirè, au bon vieux cours que chacune dispenserait dans son coin, avec les éléves zappant d’un cours à l’autre, sans voir le lien entre ce qu’ils apprennent.
Compétences
Marlène enseigne depuis 6 ans et Marie depuis 8 ans au collège Prévert de Bourg en Gironde. Il fut le premier du département à travailler par compétences. Les élèves n’ont pas de notes-couperet qui récompensent ou qui sanctionnent. Ils sont évalués sur ce qu’ils ont acquis, en connaissances mais aussi en savoir-faire.
Les collégiens découvrent les notes en troisième, année du brevet où il faut bien faire des moyennes. « Une découverte souvent douloureuse, commente Marie, un douze pour un élève dyslexiques illustre un vrai progrès alors que pour un élève excellent, c’est médiocre . » Marlène appprouve.
» Dans un établissement où l’on évalue par compétences, enchaîne-t-elle, on est obligé de s’interroger sur sa pratique prédagogique. » Sur les cinquante professeurs de Jacques Prévert, Marie et Marlène estiment que dix à quinze font des projets et innovent. Un proportion significative.
Isolement
Le collège Prévert n’est pas situé en REP. Mais pour les deux enseignantes, il mériterait de l’être : 57% des élèves sont issus de catégories socioprofessionnelles (CSP) défavorisées.
De plus, même si l’on n’est pas dans le rural profond, les enfants souffrent d’un certain isolement culturel. » Récemment, nous les avons emmenés au festival du film d’histoire de Pessac, cela a coûté 600 euros notamment à cause du transport car on a dû louer un car « , précise Marlène. » Dans un collège du centre de Bordeaux, il suffit d’un billet de tram pour aller au Musée d’Aquitaine « , renchérit Marie.
Après avoir réussi le Capes, Marlène a fait trois ans de » purgatoire » en Seine-Saint-Denis ( » J’ai adoré ces années-là, le problème est que mon mari était à Bordeaux « ). » Dans mon collège REP de Saint Denis, j’avais 21 élèves contre 30 aujourd’hui, se souvient-elle. Et pour les sorties, on prenait le métro pour aller au Louvre. «
Mission
« Notre travail, c’est aussi d’offrir une ouverture culturelle et de développer l’esprit critique, et ici ce ne sont pas des vains mots « , commente Marie. « On travaille aussi à donner confiance aux élèves « , ajoute Marlène.
Lorsqu’elles parlent de leur rapport au métier, toutes deux rivalisent d’enthousiasme. » J’adore, ce n’est d’ailleurs pas un métier, encore moins un job pour moi, je me sens chargée d’une mission « , commence Marlène. » Oui une mission, mais pas une vocation « , tempère Marie.
Toutes deux ont découvert qu’elles avaient encore un point commun : une mère institutrice spécialisée. On les dirait faites pour s’entendre.
Véronique Soulé