Il était une fois un collège où chaque élève disposait d’une tablette numérique, où la wifi était partout accessible, où chaque classe était équipée d’un dispositif de réplication d’écran … Un conte pédagogique ? Une réalité pour Christelle Lacroix, professeure de lettres, qui en profite pour expérimenter de nouvelles modalités d’écriture, comme la production collaborative de contes, par exemple via Twitter, ou la réalisation de livres interactifs en simulation globale, par exemple autour de la science-fiction. Au Forum des Enseignants Innovants 2016, elle a présenté ses « ateliers collaboratifs d’expression » qui ouvrent bien des horizons pour l’apprentissage du français. Eclairages sur les dispositifs, les outils, les nombreux intérêts des démarches suivies …
Vous présentez au Forum des enseignants innovants un projet intitulé « Ateliers collaboratifs d’expression » : de quoi s’agit-il exactement ?
Réaliser un atelier collaboratif d’expression, c’est permettre aux élèves, de créer du sens ensemble à travers une production écrite et/ou orale, littéraire et/ou transmédia en permettant que le travail de chacun soit pris en compte. Il faut dire que depuis que notre établissement est en déploiement iPad 1:1, c’est-à-dire depuis 4 ans, les possibilités de faire collaborer les élèves se sont démultipliées. En effet, la liberté spatio-temporelle qu’offre l’outil numérique a permis ces dernières années de faire vivre à nos élèves des expériences d’écriture et d’expression en général, au-delà de nos attentes.
Un atelier collaboratif en cours de français se conçoit en plusieurs phases. D’abord la découverte d’un thème du programme à travers des textes de la littérature ou documentaire. Puis la mise en projet des élèves en groupe, avec des temps de travail personnel et des temps de travail collectif et dont le sens créé dépend du travail de chacun. Ensuite une évaluation hybride, par le professeur, par les pairs, par le destinataire, en notes, en compétences, en prix public, diplôme,… Enfin la diffusion des travaux au destinataire : des élèves de primaire, les élèves du collège, du lycée, les parents, la société… : les travaux sortent de la classe. Les élèves écrivent pour être lus.
Les compétences disciplinaires prennent sens dans les travaux, mais au-delà de cela, ce sont les compétences transversales qui sont largement développées : la créativité, l’organisation, l’apprentissage de la vie en société passe par les moyens pédagogiques utilisés en classe. L’écoute de l’autre, l’attention aux idées de l’autre dans le respect des siennes, les décisions que l’on prend ensemble, cela s’apprend. L’école à ce rôle fondamental à jouer. Les ateliers collaboratifs sont indubitablement des catalyseurs d’intelligence collective.
Pouvez-vous nous expliquer en particulier en quoi a consisté votre expérience de Twittcontes ?
L’expérience Twittconte consiste à donner un téléphone portable aux personnages d’une histoire pour les faire communiquer entre eux sur le réseau Twitter et réécrire ainsi l’histoire du point de vue de chaque personnage, et ce avec la contrainte d’écriture des 140 caractères auxquels nous limite ce réseau social.
Le twittconte s’écrit à deux classes francophones qui se partagent les personnages et qui préparent chacun de leur côté, une série de tweets, qu’ils utiliseront ou non le jour du live. La part d’improvisation est réelle dans la mesure où la classe n’a pas connaissance de la préparation de la classe miroir. Le Twittconte, dont le concept a été imaginé par Régis Forgione et Bruno Mallet, n’avait jusqu’alors pas été expérimenté en collège. Cela a représenté un défi que Caroline Gerber et moi-même avons tout de suite eu envie de relever. C’est ainsi que les 6° 6 du collège Le Caousou de Toulouse, et les 6°E de mon collège (La Malassise, Longuenesse) ont collaboré pour réécrire en Tweets La sorcière de la rue Mouffetard, de Pierre Gripari.
Contrairement au primaire, les emplois du temps sont une contrainte : il a fallu adapter les créneaux de part et d’autre pour que cela soit possible. Le live s’est effectué sur deux fois deux heures : le 31 mars et le 1er avril 2016. Le défi a été relevé avec brio par ces élèves, tous motivés et engagés dans l’exercice.
Quels vous semblent les intérêts d’une telle (ré)écriture via Twitter ?
Le twittconte a permis de faire coopérer et collaborer les élèves en classe et en inter-classes. L’intérêt de l’expérience est multiple : l’éducation aux médias sociaux par le biais de Twitter, la communication transmédia par un système d’écriture nouveau, la découverte d’une classe au travail dans des conditions différentes, l’appropriation d’un texte littéraire (compréhension, explication, commentaire) et sa réécriture, l’entrée dans un imaginaire important pour la construction de soi, la prise de conscience de la psychologie d’un personnage qui se met à agir et à penser comme une personne réelle, la construction d’une expérience d’écriture vécue en temps réel, ensemble, avec des élèves autonomes et responsables qui coopèrent, collaborent, écrivent pour être lus.
L’intérêt pour une classe de participer à une telle expérience d’écriture est évidemment indéniable : la motivation qui a accompagné les élèves a été remarquable, soucieux au nord comme au sud, de donner sens à leur petit « chef d’oeuvre», même si le maintien de l’attention de tous les élèves jusqu’au bout a été inégal.
La posture de Caroline Gerber et moi-même, avec l’outil numérique, a été la même : elle a permis d’accompagner les groupes dans la démarche d’écriture sans confrontation : avec les élèves, et non pas face à eux, nous avons découvert le Twittconte en train de s’écrire, sur l’écran en étant du côté des élèves, avec leurs yeux.
La transposition de l’activité du primaire au collège a été largement réalisable ; nous comptons cette année amener nos élèves à se faire twittconteurs d’un genre un peu différent que vous pourrez suivre sur Twitter après le deuxième trimestre. Il est évident que nombreuses sont les situations où les élèves pourraient communiquer en temps réel et réécrire les histoires, avec décalage et humour, pour mieux se les approprier.
Au delà de la collaboration entre élèves, l’expérience a permis une collaboration entre professeurs puisque, nous avons ensuite publié, avec Caroline Gerber, Sandrine Geoffroy, Bruno Mallet et Régis Forgione un iBook multitouches, disponible sur le store.
Vous avez aussi amené vos sixièmes à créer un conte à 8 : selon quel dispositif ? quels sont les intérêts selon vous de l’écriture collaborative ?
Dans le cadre d’un chapitre sur les contes, l’écriture de ce genre littéraire va de soi. L’enjeu de cet atelier est de réussir à créer une histoire cohérente à plusieurs, en respectant les idées de chacun, sans oublier aucune étape, en sachant que de vrais lecteurs (des élèves d’écoles primaires) les attendent. Le principe est le suivant : les élèves ont 9 cartes en main, les abattent une fois utilisées et passent à la suivante, voilà pour l’expérience individuelle. Commence alors l’expérience collaborative : les membres du groupe décident d’un scénario commun, à partir des idées de chacun, puis chaque élève se voit confier une carte, et devient responsable de ce morceau d’histoire. La première et la dernière sont confiées au même élève.
Chaque élève écrit sa partie dans le fichier qui lui est communiqué. Au dos de sa carte papier d’abord puis sur l’application Quip. L’écriture de chacun se faisant en synchronisation, chaque élève du groupe découvre l’ensemble du conte et sa cohérence ; il ajuste alors son texte si nécessaire. L’application a un intérêt supplémentaire, c’est le tchat : un temps d’entraide de 5 minutes par carte et au moyen du tchat est mis en place ensuite : chaque élève du groupe propose des idées pour que chaque autre élève de son groupe puisse améliorer sa partie d’histoire et que l’histoire dans son ensemble soit cohérente. La démarche permet une évaluation individuelle (par carte) et collective (par histoire) toujours de façon hybride, en notes et compétences, par le prof et par les pairs.
L’histoire est ensuite transformée en livre, et envoyée à diverses classes de primaire qui lisent et élisent la plus belle histoire. Le retour des collègues de primaire est toujours le même : les petits lecteurs, stimulés par les travaux des sixièmes, se mettent aussitôt spontanément en écriture de conte après l’atelier de lecture.
La pédagogie mise en oeuvre dans cet atelier collaboratif d’expression est facilitée par l’outil numérique et a fait largement ses preuves : les élèves découvrent l’importance du « travailler ensemble », sont motivés, apprennent par leur propres productions. En effet, sortant le nez du cahier, les élèves mis en projet comprennent pourquoi ils travaillent et s’engagent davantage. Pas un seul élève ne décroche de son projet.
Une autre expérience a consisté en l’écriture d’un livre interactif en 3ème : comment avez-vous procédé ? quels profits en ont tirés les élèves ?
Dans le cadre d’une étude sur les « Progrès et rêves scientifiques » en troisième, Virginie Paresys et moi-même avons invité les élèves de nos classes à s’interroger sur la problématique suivante : « Est-on maître de ce que l’on crée ? » et à tenter l’expérience de création littéraire par le biais du numérique (incontournable dans un chapitre sur les progrès scientifiques) en simulation globale.
Après avoir découvert les origines de la création robotique avec le mythe de Pygmalion et du Golem, les élèves ont lu la nouvelle d’Asimov, Le Robot qui rêvait, en dévoilement progressif et en s’interrogeant sur les possibles narratifs au fur et à mesure de la découverte du texte. Ils ont été ensuite invités à rejoindre le laboratoire d’écriture « scientifico-littéraire » de leur professeur pour démarrer l’expérience collaborative. Ils ont réécrit l’histoire sous la forme de capsules numériques intégrées ensuite au récit d’Asimov en imaginant d’autres possibles narratifs à des moments clés de l’œuvre. Le projet a été présenté aux élèves sous la forme d’une image interactive, donnant accès au plan du laboratoire d’écriture scientifico-littéraire, à la répartition des tâches, à la maquette du livre qu’ils allaient réécrire ensemble, au Padlet sur lequel ils allaient déposer leur capsule numérique, à la grille d’évaluation. L’étape de création terminée, un quizz a été créé par le professeur, permettant une évaluation de la compréhension globale de l’histoire et inséré au livre. Le livre de chaque classe a été proposé en lecture via un lien numérique aux élèves de la classe miroir, médiatisé par le biais du réseau Twitter et le site internet La classe numérique du professeur LaX, adressé aussi aux différents CDI de l’établissement, en diffusion papier avec insertion de flash codes.
L’expérience ne s’est pas arrêtée là, puisque les élèves ont eu l’occasion de découvrir un autre robot qui rêve, bien réel cette fois, à partir d’un article de presse : Bina 48. De la (science-)fiction à la réalité, il n’y a qu’un pas : les élèves l’ont franchi en allant à la rencontre de Bina 48, un humanoïde mi-femme, mi-robot, créé avec le physique, les pensées, les souvenirs d’une personne réelle, Bina Rothblatt. Bina 48 gérant ses comptes Facebook et Twitter, ce fut l’occasion pour les élèves de vivre un prolongement de l’expérience collaborative, celle de communiquer avec l’humanoïde via ce réseau, et de s’interroger sur la crédibilité déontologique, la valeur éthique de cette création.
La publication du Storify du projet a même permis à la presse locale de s’y intéresser en s’abonnant au compte classe et en proposant aux élèves une rencontre en vue de la publication d’un article. Une belle surprise et une grande satisfaction car l’écriture collaborative permet, on le voit ici, de sortir les élèves de la classe, et de les retrouver acteurs actifs de la société.
Ces différentes activités reposent sur l’utilisation du numérique : quelles sont sur ce point vos conditions matérielles de travail ? en quoi le numérique vous semble-t-il susceptible de transformer et revitaliser l’apprentissage du français ?
Les conditions matérielles dans lesquelles nous travaillons sont exceptionnelles : les élèves disposent chacun d’un iPad dès la sixième. Le réseau wifi permet à toutes les salles, y compris la salle d’EPS, d’être connectées. Un vidéo projecteur doté d’une Apple TV permet aux élèves dans chaque classe de prendre la main sur le vidéo projecteur : ils deviennent ainsi, si le professeur le souhaite, tour à tour secrétaires du cours. Personnellement, ma posture a complètement changé avec l’arrivée de l’iPad. Je ne suis plus face aux élèves, au tableau, mais avec eux dans la classe, une voix qui les accompagne, et qui voit le tableau (l’écran) avec les yeux des élèves.
Avec cet outil, les ressources sont disponibles via l’application iTunes U, pour l’élève en tous lieux et à chaque instant. Les compétences transversales sont largement développées : communication avec l’élève, entre élèves largement facilitée ; développements avec l’audio et le visuel des différents types d’intelligences (apprendre sa leçon en l’écoutant, la regardant, réécouter la voix du prof à la maison…) ; organisation des fichiers inter et intra-applis (avec l’application Documents, le cartable s’organise comme un bureau d’ordinateur) ; créativité (Bookcreator pour produire un livre numérique, Animate Anything pour faire parler un personnage de tableau au retour d’une sortie musée, iMovie pour créer des vidéos ou une bande annonce, annoncer la dernière exposition du CDI ou le prochain spectacle de théâtre, iSpectacle, etc…) ; structuration mentale, (par exemple prise de conscience de l’espace page avec l’accès simplifié au traitement de texte Pages qui permet depuis cette année de travailler également en collaboration sur le même document).
Il faut bien dire que le français y trouve son compte, que les possibilités sont infinies, que ce soit pour travailler la langue, la lecture, l’écriture, l’oral. Et chaque discipline d’ailleurs est à même d’y trouver son compte. En témoigne le livre numérique « Un iPad dans mon cartable » que nous avons réalisé avec l’équipe pilote de l’établissement, Carole Vanheeghe, David Ramery et Sébastien Verbert…
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Le Twittconte en ligne
Le livre numérique sur le Twittconte
Le labo d’écriture scientifico-littéraire sur Thinglink
Le labo d’écriture scientifico-littéraire sur Padlet
Le site de Christelle Lacroix
Storify du projet A la rencontre d’une androïde