Et si apprendre l’anglais devenait un jeu d’adolescent ? C’est le pari de Régine Ballonad-Berthois, enseignante au collège Léonard de Vinci à Saint-Brieuc et formatrice RésEnTice dans l’académie de Rennes. « Le cours dont vous êtes le héros » veut impliquer davantage l’élève dans son parcours d’apprentissage en créant en classe les conditions d’une pratique réelle d’une langue étrangère. Pour plonger les élèves dans un autre monde, l’enseignante commence sa séance par une vidéo qu’elle a réalisée. Un effet de suspens est produit : que va-t-il se passer ? Pour le savoir, les élèves devront créer la suite, afin que la vidéo initiale devienne interactive et s’enrichisse de leurs productions. Régine Ballonad-Berthois nous éclaire sur les modalités et enjeux de ce projet original de ludification pédagogique qu’elle présente au Forum des Enseignants Innovants 2016.
Régine Ballonad-Berthois, vous participez au Forum des Enseignants Innovants. Pouvez-vous, en quelques mots, présenter votre projet ?
Depuis deux ans, je m’intéresse particulièrement à la simulation globale et à la ludification. Mes rencontres et échanges avec différentes personnes de la sphère professionnelle et privée m’ont naturellement amenée à mettre en place « le cours dont vous êtes le héros ». Mes élèves deviennent ainsi les héros de leurs apprentissages. Ils choisissent ce qu’ils font, quand ils le souhaitent et rendent compte de ce qu’ils ont acquis sous la forme qu’ils ont choisie. Il y a une trame de départ. A eux de donner libre cours à leur imagination et de développer leur créativité en pratiquant la langue.
Vous présentez un projet qui utilise le principe du « … dont vous êtes le héros », que l’on retrouve souvent dans la littérature jeunesse ou bien encore dans les jeux de rôle. Comment l’idée vous est-elle venue d’associer cet univers à celui de votre cours d’anglais ?
Un jour, au cours d’une discussion avec une collègue d’espagnol, j’ai eu un déclic lorsque son fils, Rémi, est intervenu pour dire : « En 6ème, j’aimais bien les cours de maths, car la prof me faisait rêver. » A cet instant, Rémi venait de me livrer la clé de ce que je cherchais à mettre en place dans mes cours pour obtenir un engagement maximal : « faire rêver mes élèves. » Le meilleur moyen d’y parvenir consiste à partir de ce que les élèves connaissent : la littérature de jeunesse avec les livres dont vous êtes le héros et les jeux vidéos. J’ai toujours été interpellée par la capacité des jeunes à passer de longues heures à jouer en réseau ou tout simplement à ne pas se lasser de jouer à des jeux sur leur smartphone. J’ai donc commencé à m’intéresser aux ressorts et mécanismes de ce type de jeux et j’ai voulu les adapter à un cadre pédagogique.
Que répondriez-vous à quelqu’un qui serait critique sur le fait d’utiliser le jeu de rôle en classe, qui craindrait que les élèves s’intéressent davantage au scénario qu’aux apprentissages en jeu ?
Si l’on interroge n’importe qui dans la rue pour savoir quel cours qui l’a le plus marqué, je suis sûre qu’il vous répondra qu’il s’agit du cours dans lequel on n’a pas l’impression d’apprendre. Trop souvent, l’apprentissage est associé à la contrainte et non au plaisir. Il faut souffrir pour apprendre. Certes, ce type d’approche peut produire des effets sur le court-terme mais que reste-il sur le long terme ? Très peu de choses, voire rien. Un élève qui s’engage volontairement dans ses apprentissages est un élève qui développera des stratégies et des compétences. Il travaillera pour lui et non pour des notes, pour ses parents ou pour son professeur. Le jeu ne doit pas être incriminé, bien au contraire ! On apprend beaucoup plus en jouant et en prenant plaisir à jouer.
Qu’est-ce que ce projet a changé dans votre manière de faire classe, et qu’a-t’il changé dans les apprentissages de vos élèves ?
Depuis deux ans, j’ai changé de posture. Je ne suis plus dans une approche frontale, j’accompagne mes élèves dans leurs apprentissages. Je les aide à développer leurs stratégies propres qui leur permettront de développer leurs compétences. Il n’y a pas qu’une seule façon d’apprendre. Le tout est de bien se connaître pour pouvoir se dépasser. C’est la raison pour laquelle en début d’année scolaire, j’ai fait passer un test de profil d’apprentissage à mes élèves. Je voulais qu’ils comprennent quels sont leurs points d’appui et qu’ils s’en servent pour apprendre à apprendre. Je constate un meilleur investissement des élèves, qui deviennent partie prenante et qui souhaitent aller plus loin dans cette aventure pédagogique ! La prochaine étape est le passage à la réalité virtuelle, afin qu’ils puissent rendre compte de manière concrète de ce qu’ils comprennent dans un environnement en 3D qu’ils devront créer. En vivant leurs apprentissages, ils retiendront davantage puisque le cours deviendra une « expérience tangible ». Ils discuteront de leurs choix, ils prendront des décisions et devront produire pour rendre compte de leurs apprentissages. C’est ce que j’appelle la « collaboraction ».
Propos recueillis par Logann Vince et Jean-Michel Le Baut