Les 25-26 novembre 2016, en partenariat avec des associations professionnelles et le quotidien Libération, le Café pédagogique organise le 9ème Forum des Enseignants Innovants au lycée Paul Bert à Paris. A quoi bon ? Le Forum est à chaque fois un événement marquant pour ceux qui y participent : une centaine d’enseignants de tous niveaux, de toutes disciplines, de toutes régions, ont la chance de s’y rencontrer pour partager des pratiques, des réflexions, des valeurs. Le Forum est aussi en lui-même un message, collectivement adressé par tous ceux qui y participent et y collaborent : la créativité des professeurs est un fait, que trop peu valorisent ; elle s’exerce dans le quotidien de la classe, avec, sans, parfois contre l’institution ; elle est une invitation à « inventer les moyens d’incarner les finalités de l’éducation dans les réalités de l’Ecole. » (Philippe Meirieu). Le message va contre les vents dominants de la réaction : raison de plus pour le clamer à nouveau ensemble …
Une centaine d’enseignants sont invités au Lycée Paul Bert à Paris pour présenter des projets pédagogiques qu’ils ont menés avec leurs élèves. Contrairement à d’autres événements similaires, les enseignants présents ont été sélectionnés non pas par l’institution, mais par le Café pédagogique et par leurs pairs des associations professionnelles d’enseignants (Afef, Udppc, Apbg, Apeg, Aphg, Aplv, Apses, Apv, Ageem, Assetec, Cyberlangues, Apmep, Aeeps, Pepsteam, Apemu). Claude Lelièvre, historien de l’éducation, et Eric Charbonnier, expert à l’OCDE, participent aussi au Forum pour mettre en perspective les travaux des enseignants. De l’école maternelle au lycée, de Nice à Ploudalmézeau, avec ou sans numérique, la variété des projets présentés fera comme chaque année la richesse du Forum…
Quelques projets innovants au primaire
Les élèves de maternelle de Philippe Guillem publient chaque jour un tweet pour rendre compte de l’actualité de la classe : le projet initie aux modalités du vote démocratique et à la construction d’une identité numérique. Myriam Grimault a mis en place un carnet numérique de suivi des apprentissages : l’application sur tablette permet de créer un book incluant de la vidéo, des images, des enregistrements sonores et du texte ; les élèves voient leurs réussites valorisées et les progrès au fil du temps. Eric Hitier invite ses élèves de cycle 3 à produire des ressources (vidéos, photographies, fichiers sonorisés, cartes mentales interactives ….) pour un certain nombre d’œuvres du château d’Azay-le-Rideau, ressources qui, apposées sur le livret de visite, seront proposées au visiteur sous forme de Réalité Augmentée (QRCodes, Bleam ou Auras).
Après des débats sur l’égalité, la liberté et la fraternité, Florence Moureau a convié les élèves de deux grandes sections de maternelle, d’une classe de CE1 et d’une 6ème SEGPA à réaliser un roman-photo. Rose-Marie Farinella a bâti une séquence pour aider les élèves à faire la différence entre les vraies et les fausses informations qui circulent sur internet. Florence Magno utilise la tablette pour travailler la lecture à voix haute : comment gagner en efficacité et en performance pour entrer dans la compréhension fine de l’oral et de l’écrit ? Céline Souleille a lancé en CM1, avec la complicité des familles et des acteurs locaux du quartier de l’école, une carte de géographie interactive et contributive qui regroupe des recettes familiales : « Recettes du monde, recettes de nos origines». Facteur de liens entre les personnes, le numérique est vécu en classe comme une nouvelle forme de partage des savoirs et des savoir faire. Grâce à Delphine Moreau, une classe d’adaptation de 7 élèves handicapés moteurs (âgés de 12 à 14 ans, niveau global CE2) a programmé le robot Nao pour qu’il raconte l’épopée du héros sumérien Gilgamesh : ils ont invité des enfants de cycle 3 à assister au récit.
Quelques projets innovants au collège
Marie Especel et Marlène Partika ont expérimenté les EPI par un projet lettres-géo-EMI autour des migrations dans le bassin méditerranéen : recherches documentaires, analyse d’images, cartographie numérique des déplacements des personnages d’un roman de Laurent Gaudé, réécritures via Twitter, interviewes écrites ou vidéos des personnages. Au final, le projet permet de « multiplier les représentations des phénomènes migratoires » et de « déconstruire des savoirs informels pour en faire des objets de savoir scolaire ». Morgan Gilot présente un dispositif original et transférable pour améliorer le climat scolaire au sein du collège et faire vivre la citoyenneté : deux à trois fois par trimestre, un débat est proposé à l’ensemble des élèves ; dans chaque classe, de la 6ème à la 3ème, un ou deux élèves volontaires sont invités à y participer. Régine Ballonad-Berthois a inventé « le cours d’anglais dont vous êtes le héros » pour impliquer l’élève directement dans son parcours d’apprentissage à travers ludification et création de vidéos interactives.
Claire Claverie présente un projet interdisciplinaire alliant approche historique du patrimoine local et Éducation aux Médias et à l’Information pour découvrir les traces de la romanisation dans le secteur sauvegardé de Bordeaux : grâce au logiciel libre Umap, les 6èmes ont créé une carte, avec repérage des sites à visiter, puis, au retour, un document cartographique multimédia nommant les sites visités, illustrés de photos prises pendant la sortie et légendées de petits textes documentaires. Logann Vince présente le blog « Critikollege » : un blog collaboratif sur lequel des collégiens publient des critiques artistiques. Charlotte Dubois expose le dispositif « L’Escale », un temps de pause, instauré pour les élèves en voie de décrochage. Le projet interdisciplinaire de Gilles Malewo a pour but de permettre à des habitants d’un quartier populaire de devenir acteurs dans l’évolution de leur quartier, d’y devenir une force de proposition..
Quelques projets innovants au lycée
Dans leur lycée polyvalent, Anne Pedron et ses collègues souhaitaient travailler ensemble, mélanger les filières autour d’une thématique commune aux programmes d’Histoire-géo des classes de Premières et de CAP : ce projet transversal et transdisciplinaire a permis la production d’un webdocumentaire sur les génocides au XXème siècle. Géraldine Bridon a créé un jeu sur 9 semaines pour ses élèves de seconde : ils ont pu relever des défis, avancer à leur rythme, choisir leur difficulté d’apprentissage, acquérir des compétences et des badges, travailler en équipes, le tout pour atteindre le « Royaume SVT ». Dans le cadre d’un projet interdisciplinaire associant les Lettres-Histoire et la Vente avec une classe de Première de lycée professionnel, les élèves d’Alexis Lucas ont enquêté sur l’âge d’or de l’économie bordelaise à travers son patrimoine colonialiste et ses archives : ils ont discuté des valeurs de l’économie de la servitude au travers de saynètes faisant débat entre les avatars du philosophe et du négociant, de manière à prendre conscience des enjeux citoyens et professionnels que pose le commerce des anciens et des modernes.
Afin de valoriser la série L dont les effectifs s’effondraient, de remédier aux difficultés de certains élèves et à l’orientation par défaut, Aline Le Pape et ses collègues ont créé une « discipline » nommée « Cultures » en 1ère et en terminale L : 2 heures supplémentaires à l’emploi du temps pour des cafés littéraires et des ateliers thématiques. Mariem Siala présente « L’institut itinérant », une caravane transformée par des élèves de lycée pro en un institut de beauté pour une pratique professionnelle hors les murs du lycée : l’objectif de sa première sortie a été de sillonner les routes de Corrèze afin d’offrir des soins esthétiques dans des villages enclavés ; le projet est désormais mené tout à la fois par la filière « Esthétique » et la filière « Accompagnement, soins et services à la personne » ; des binômes d’élèves ont été constitués pour favoriser les échanges de compétences autour du soin et du bien-être à apporter à des personnes dont le corps est un objet de souffrance.
Créativité, collaboration, citoyenneté, ouverture sur le monde, interdisciplinarité, éducation aux médias et à l’information, ludification … : le Forum 2016 va résonner de tous ces mots. Ils portent un investissement fort et des convictions profondes des professeurs invités, toujours au service des élèves et de leur compréhension du monde. Autant dire que le Forum est aussi un éloge en soi : celui de l’engagement des enseignants dans leur métier.
Najat Vallaud-Belkacem, Ministre de l’Education nationale, viendra rendre hommage à cet engagement comme Vincent Peillon l’avait fait au début du quinquennat. Le public pourra le découvrir à son tour le samedi 26 novembre à 10 heures.
Jean-Michel Le Baut