La masterisation a-t-elle changé la profession enseignante dans le premier degré ? C’est ce que donne à penser le sondage Harris réalisé pour le Snuipp, premier syndicat du primaire, auprès des professeurs des écoles ayant moins de 5 ans d’ancienneté. Réalisé tous les 3 ans, l’édition 2016 est marquée par l’arrivée dans le métier d’une large majorité de jeunes ayant un master. S’ils partagent avec leurs ainés la vocation enseignante, ils se singularisent par une attitude plus critique envers l’institution, des choix pédagogiques singuliers et aussi un net glissement à droite. Francette Popineau, secrétaire générale du Snuipp, réagit à ces résultats.
La génération master
Pour la première fois, en 2016, 79% des jeunes professeurs ont fait 5 années d’études supérieures. La génération précédente, celle de 2013, détenait majoritairement une licence. Eux ont un master. Et ça se voit dans leurs choix. Aussi est-il regrettable que le sondage ne les interroge pas sur leur origine sociale. En 2015, Géraldine Farges (Iredu) avait démontré un embourgeoisement net des professeurs des écoles. On peut penser que cela doit expliquer quelques unes des différences que le sondage Harris, réalisé pour le Snuipp, trouve par rapport aux générations antérieures de jeunes professeurs des écoles.
Toujours la vocation
Mais cette génération partage aussi avec les collègues plus âgés beaucoup de choses. A commencer par la passion du métier. 74% d’entre eux parlent de « vocation » et généralement ils l’ont découverte à l’école, comme élève. Alors ils connaissent les insatisfactions du professeur. Ils se plaignent de manquer de temps, de l’échec des élèves, de l’hétérogénéité des classes. Ils protestent en premier contre les effectifs des classes. C’est leur première revendication. Ils y voient la première cause d’échec des élèves. Ils sont aussi contre les nouveaux rythmes scolaires et la limitation du redoublement.
Critiques sur sa formation
La première surprise c’est que cette génération sortie de Espe, et qui a donc connu le retour à une véritable formation, est très critique sur cette formation. 77% la jugent insatisfaisante. Les satisfaits sont deux fois moins nombreux qu’en 2010. Ce qui leur a manqué ? Une réelle formation à la réalité de la classe (pour 39% +3% par rapport à 2013), des connaissances pédagogiques, un accompagnement dans leurs débuts, une connaissance de la charge de travail.
Du coup ces jeunes enseignants entrent dans le métier avec insatisfaction pour 71% d’entre eux (91% en 2010).La surprise c’est surtout la charge de travail et l’implication du métier dans la vie privée.
Epanouissement et innovation
Là où ils marquent leur singularité c’est dans leurs choix d’enseignants. Les nouveaux professeurs des écoles se fixent comme objectif premier l’épanouissement des élèves (59% +9% par rapport à 2013) bien avant la transmission des connaissances. (34% , -10%). On mesure le décalage avec les demandes des politiques… Dans leur vie professionnelle ils préfèrent innover que faire appel aux recettes éprouvées (57 contre 40% alors que c’était 50/50 en 2013).
Glissade à droite
Dernière particularité de ces nouveaux enseignants. Si leurs choix d’enseignants les écarte des discours de droite sur l’école, ils sont nettement plus à droite que la génération précédente. Seulement 52% se réclament de la gauche. 40% se disent du centre et de la droite. D’autres encore se déclarent d’extrême droite. La génération master tourne la page de l’école normale.
François Jarraud
Francette Popineau : » Les enseignants n’ont pas intérêt à perdre leurs valeurs »
Commandé par le Snuipp, le sondage sur les nouveaux enseignants n’apporte pas que des bonnes nouvelles au premier syndicat du primaire. Nous avons demandé à Francette Popineau, co-secrétaire générale du syndicat, son analyse des résultats de cette enquête.
Dans les remarques sur le métier il y a une forte demande sur les mutations. Comment l’interprétez vous ? Elles sont devenues plus difficiles ou les enseignants réagissent différemment ?
C’est lié à l’âge d’entrée dans le métier qui a évolué. Ces nouveaux enseignants sont plus installés dans leur vie personnelle. C’est lié aussi à la mobilité dans la société en général. Aujourd’hui les enseignants n’entrent pas dans le métier comme on y entrait. Les gens ont envie de suivre leur conjoint ou de bouger beaucoup plus que les enseignants plus anciens. Et il y a aussi des départements qu’il est difficile de quitter. Et c’est mal vécu par la nouvelle génération. Il va falloir qu’on s’attelle à cette histoire. Surtout que c’est souvent difficile à comprendre pour les collègues. Par exemple un enseignant de l’Eure qui veut aller dans les Pyrénées atlantiques ne pourra pas quitter l’Eure, qui manque d’enseignants, alors que dans les Pyrénées atlantiques on va recruter sur liste complémentaire faute de candidats. Cet enfermement est quelque chose qui ne nous tracassait pas mais qui aujourd’hui n’est pas admis.
Un autre point surprenant c’est la critique forte de la formation alors que c’est la génération du retour de la formation et des Espe.
On est moins surpris car la formation est très inégale et complexe. On demanderait une réelle formation sur deux ans avec alternance et une formation plus forte en didactique. On sait que leur formation actuelle est très bousculée. Ils ont une responsabilité de classe avec els préparation à faire avec un outillage théorique insuffisant et un mémoire de master à faire . Et tous ces éléments sont discriminants pour le concours. Je comprends donc que ce soit trop exigeant. Ils sont sous pression. Il faut revenir sur tout cela. C’est bien d’avoir remis la formation en place. Mais il va falloir la cadrer nationalement.
Ces nouveaux enseignants sont majoritairement insatisfaits du système dans lequel ils entrent. Est-ce nouveau et n’est ce pas dommage de commencer ainsi une carrière par une vision si critique ?
Je ne crois pas que ce soit nouveau. On se rend compte de la complexité du métier en le faisant. Avant on a une représentation d’enfant de la classe. On ne mesure pas ce qu’est le métier d’enseignant qui n’est pas la même chose que le métier d’élève. En entrant dans le métiers les nouveaux enseignants relèvent par exemple la durée des temps de préparation. Ils constatent aussi les différences de niveau dans la classe. Par défaut de formation cela représente une grosse difficulté pour eux. Ils vivent aussi le fait que, même en travaillant beaucoup, il y a un échec persistant des élèves. C’est quelque chose que la société nous renvoie et qui est insupportable pour tous les collègues et encore plus quand on entre dans le métier avec la vocation de faire réussir tous les élève.
Ils parlent aussi des comportements qui peuvent être violents et c’est un point beaucoup plus cités qu’en 2013. Ces nouveaux enseignants se sentent très démunis. Ca aussi ca interroge la formation. Ils ne se sentent pas accompagnés.
Un autre point bien marqué dans l’enquête c’est l’unanimité pour faire baisser les effectifs élèves. C’est quelque chose que vous allez reprendre dans l’action syndicale ?
On n’a jamais cessé de le mettre en avant C’est un levier fort. C’est le point d’achoppement pour toute la profession. Le métier est en plaine mutation. Par exemple , on scolarise tous les enfants y compris ceux qui ont des besoins spécifiques. C’est une bonne chose. Mais on ne peut pas bien accompagner tous ces enfants si on en a beaucoup. C’est ce qui remonte de toute la profession.
Un autre trait spécifique de cette génération c’est l’intérêt pour l’épanouissement de l’élève . Ils s’intéressent beaucoup à cet épanouissement et nettement moins à la transmission des fondamentaux. Je me demande si ce n’est pas un reflet de leur origine sociale ? Prennent ils bien en compte la difficulté scolaire de tous les enfants ?
Ce serait un mauvais procès de penser cela. Ces nouveaux enseignants ont étudié jusqu’à bac +5. Autant dire que ce sont des enfants de l’école. Mais quand ils deviennent enseignants ils découvrent l’influence de la société sur les enfants. Ils découvrent que tous les enfants n’ont pas les codes de l’école.
Ceci dit, quand ils disent l’épanouissement ce n’est pas une négation de cela. Je pense qu’ils ont envie que les enfants fassent société dans l’école et puissent y vivre bien pour pouvoir bien apprendre. Je suis persuadée que c’est ca le sens de leur voeux.
Du coup, avec cette position, ne sont-ils pas en opposition avec la demande de la société française ?
Mon beau frère dit que à chaque changement de ministre on nous dit de nous recentrer sur les fondamentaux. « Ca tombe bien je ne me suis jamais décentré », conclue-t-il. Ca reflète tout à fait la situation. Personne ne s’est jamais décentré des apprentissages fondamentaux. L’épanouissement n’est pas du tout incompatible avec l’apprentissage des fondamentaux C’est même un facteur pour entrer dans les apprentissages. Il faut être bien à l’école pour bien apprendre. On ne peut pas bien apprendre, par exemple, si on sait que si on n’apprend pas bien à lire en CP on y restera, ce qui est un non sens. Bien sur qu’il faut de l’instruction mais dans un contexte ou on apprend à être bien à l’école.
Dans les changements observés dans l’enquête, il y a un fort décalage des nouveaux enseignants dans leur rapport à la gauche par rapport à la génération précédente. Le mot gauche est perçu beaucoup moins positivement qu’avec les jeunes professeurs de 2013. Le mot libéralisme beaucoup plus positivement. Un tiers de ces nouveaux professeurs se disent de droite, 7% d’extrême droite. Ca ne va pas poser un problème au Snuipp ?
Bien sur que c’est un problème pour le Snuipp. Mais c’en est un aussi pour toute la société. Ca nous inquiète et la société nous inquiète. Les enseignants n’ont pas intérêt à perdre leurs valeurs et celles de la devise républicaine. On doit porter ces valeurs de fraternité. On est sur la défensive car on n’a pas assez d’instruction sur l’organisation de notre société. J’aime mieux penser que les enseignants ne vont pas eux aussi céder aux idées simplistes et a la médiocrité qu’on trouve autour de l’école. C’est pour cela que le Snuipp ne reste pas sur les seules questions de travail. Par exemple, lors de l’Université d’automne on a interrogé toutes les questions de la société. Et c’est ce que ces jeunes professeurs attendent du syndicat. Quand on est dans sa classe on voit bien que l’égalité et la fraternité sont malmenées par la société. On va mener ce travail pour reconstruire la culture des enseignants et insuffler ces valeurs dans l’école.
Propos recueillis par François Jarraud
L’enquete Harris pour le Snuipp
Changement d’époque chez les enseignants (G Farges)