« Techniquement – la plus grande partie de la violence à l’école est inscrite au coeur du pédagogique. C’est l’approche uniquement sécuritaire qui est idéologique, dangereuse par son renforcement des pratiques d’exclusion et inadaptée à la réalité de la violence quotidienne ». Ancien Délégué ministériel à la prévention de la violence scolaire, redevenu chercheur et libre de parole, Eric Debarbieux publie un ouvrage qui réunit les meilleurs chercheurs internationaux sur la violence scolaire. Cette réunion d’études françaises et internationales converge vers des recommandations d’action qui concluent le livre. Face à la violence scolaire, la réponse est pédagogique et non sécuritaire. Dans un entretien accordé au Café pédagogique, Eric Debarbieux insiste sur un point : en France, il est urgent de changer notre philosophie de l’éducation pour lutter contre les violences scolaires.
Une oeuvre de combat
« Ce livre est une oeuvre de combat, d’intellectuels engagés contre tous les simplismes et les manipulations interminablement présentes avec le thème de l’insécurité. En ce sens, son projet a évolué : il ne s’agit pas d’un simple « point d’étape » mais d’une présentation de recherches qui entendent éclairer des débats vifs en France, mais aussi ailleurs, dans un contexte de globalisation des populismes et de la xénophobie ».
Eric Debarbieux sait de quoi il parle. Chercheur puis délégué ministériel à la violence scolaire sous deux quinquennats, Eric Debarbieux a réussi deux exploits. Le premier a été de faire durer une politique éducative sous deux majorités opposées dans un pays où il n’y a généralement pas de continuité. Le second a été à chaque fois de désamorcer les réactions populistes et de ramener l’action ministérielle sur ce que la recherche montre comme l’essentiel : la lutte contre le harcèlement.
Des pistes d’action
L’ouvrage qu’il publie le 19 octobre réunit les meilleurs spécialistes internationaux pour partager des conclusions. « Le lecteur de cet ouvrage sera frappé par la régularité et la solidité des résultats obtenus, qui se retrouvent peu ou prou dans tous les chapitres, mais mieux éclairés par l’un d’entre eux : nécessité d’une approche systémique et multifactorielle qui tienne compte des contextes externes et internes à l’établissement scolaire (Benbenishty et Astor), fort lien entre violence, harcèlement et discrimination (Dagorn et Rubi), nocivité d’une démarche uniquement répressive et excluante et remise en cause de la « Tolérance Zéro » (Skiba et Losen), prise en compte des souffrances d’où émerge le comportement menaçant (Cornell), stratégies de prévention basée sur le climat scolaire (Blaya et Cohen ; Masson et Montoya), nécessité d’une intervention précoce (Egide Royer) comme d’une formation véritable, si peu mise en place (Beaumont).
C’est en s’appuyant sur cette dimension internationale et un large éventail d’études que l’ouvrage n’hésite pas à s’attaquer à des questions chaudes. Face à la violence scolaire, toujours fortement chargée d’émotion, s’il faut apprendre à gérer les crises, le recours aux caméras et aux portiques est inefficace et même contre productif. Car la violence est d’abord interne et renvoie au fonctionnement pédagogique des établissements. Lutter contre la violence scolaire c’est s’intéresser au climat scolaire c’est à dire par exemple à la justice disciplinaire dans l’établissement.
La nécessité du travail en équipe
Là dessus le chapitre rédigé par E Debarbieux et B Moignard est très éclairant. Il souligne l’inégalité des enseignants devant le risque : un enseignant a 4 fois plus de risque d’être victime de violence dans les établissements défavorisés que dans les plus favorisés. Il évoque les divergences de perception de la violence entre direction d’établissement et enseignants. Il montre comment la façon dont sont appliquées les réformes fragmente les équipes , crée des tensions et augmente les risques de violence. Pour les adultes des établissements scolaires le grand défi reste de faire équipe alors que le fonctionnement institutionnel et la philosophie dominante de l’Ecole poussent en sens contraire.
Ethnicisation, islamophobie et violences
Deux chapitres travaillent sur un sujet encore plus chaud : le lien entre violence scolaire et notre conception de la laïcité. Hélène Bazex et Jean François Bruneaud par exemple montrent le lien entre ethnicisation en milieu scolaire et risque de radicalisation. » Il apparaît possible de considérer que la laïcité et la victimisation de la population musulmane sont instrumentalisées par les tenants d’un Islam radical. Et que la singularité du modèle français dans ses difficultés à soutenir une véritable dynamique inclusive puisse participer à la construction d’un djihadisme « à la française ». Il apparaît cependant que les vulnérabilités individuelles que présentent les personnes radicalisées sont également impliquées dans leur réceptivité aux principes du djihadisme », écrivent-ils.
Livre de réflexion et d’action, cet ouvrage compte. Il répond aux questions soulevées par la vague d’incidents qui touchent en ce moment les établissements scolaires. Il invite à ne rien céder aux populismes et à faire évoluer l’école. Et d’abord à soigner la bienveillance entre ses adultes.
François Jarraud
Éric Debarbieux, L’école face à la violence. Décrire, expliquer, agir, Armand Colin, collection U, EAN : 9782200616083
Eric Debarbieux : Faire évoluer notre philosophie de l’éducation
Peut-on dire qu’il y a eu des progrès ces dernières années dans la lutte contre la violence scolaire ? Comment faire face aux populismes ? Eric Debarbieux répond à quelques questions soulevées par son livre.
Le livre s’appuie sur des études et des auteurs internationaux. C’est le cas de la moitié des chapitres. Est-ce utile au regard des spécificités françaises ?
C’est très intéressant. S’il n’y avait pas eu ces contacts internationaux on n’aurait pas connu les politiques publiques et les recherches sur le harcèlement. Il y a des constantes internationales, par exemple la concentration du harcèlement sur un nombre restreint d’individus adultes ou élèves ou encore les tentations populistes d’enfermement. C’est intéressant d’aller voir dans les pays qui ont essayé ces politiques, par exemple la tolérance zéro, et de voir à quel point ça n’a servi à rien et a même été contre productif. Ce livre est scientifique. Mais il peut aussi répondre à des questions vives dans la société.
Le titre de l’ouvrage est fort. « La science contre les populismes » . Qu’est ce qui justifie ce titre ?
Il y a plusieurs populismes autour de l’école. Par exemple ces Donald Trump de l’antipédagogie qui empêchent de penser l’école. Ils recommandent l’inverse de ce qu’il faut faire. Par exemple ils s’opposent totalement à un traitement pédagogique des questions de violence à l’école. C’est difficile d’avoir une approche bienveillante quand on vous dit que la bienveillance est l’ennemie des savoirs.
Mais il y a aussi une vraie hystérie islamophobe qui a à voir avec les phénomènes de radicalisation qui sont aussi traités dans le livre. Il y a enfin un prurit répressif qui tourne autour des questions de sécurité et qui doit être interrogé. Je n’ai rien contre les politiques de sécurité fortes. Comme délégué ministériel j’ai créé les premiers stages avec les gendarmes à Saint Astier pour les chefs d’établissement. Donc je n’ai pas de réticences. Mais si on va trop loin c’est contre productif.
De la même façon, je sais qu’il faut punir. Qu’on porte plainte contre des agressions lourdes est une évidence. Mais quand dans la vie quotidienne des établissements on multiplie les exclusions, on contribue à éloigner l’école d’un certain nombre de populations qui se durcissent en réaction. C’est contre productif. C’est ce que les professeurs me disent sur le terrain : plus on punit et plus les enfants deviennent de plus en plus durs. Voilà un sujet où les expériences internationales sont particulièrement intéressantes pour nous.
Elles expliquent aussi mon hostilité aux détecteurs de métaux dans les établissements scolaires. Selon la police, ils sont dangereux car créent un rassemblement. Mais il créent aussi de l’inquiétude. Surtout, ils vont contre l’idée d’une école qui intègre. Et ils génèrent des réactions négatives. Ils font partie des populismes.
Le livre tourne autour de l’idée d’améliorer le climat scolaire. Mais que peut faire un professeur ?
On a prévu de publier un ouvrage là dessus l’année prochaine sur les violences dans la classe. Le livre qui parait aujourd’hui traite du collectif. Il y a une réalité criminologique qu’il faut retenir : quand vous êtes seul et que vous n’avez pas un collectif d’adultes pour vous protéger vous n’y arriverez pas. Le travail d’équipe est essentiel.
Or on est encore parfois dans un refus du collectif dans les établissements. Cette année par exemple, je constate que les conflits d’équipe ont fortement augmenté dans les établissements. Les difficultés à travailler ensemble sont encore plus fortes. La notion d’équipe reste controversée dans les écoles en France
Les chefs d’établissement, les CPE et les enseignants ont une vision différente de la violence scolaire. Comment faire pour qu’ils aient une position commune ?
Les points de vue doivent se rapprocher. Il faut commencer par un travail sur la bienveillance entre adultes. C’est quelque chose qui n’a pas été assez pensé dans la refondation. Les modes de gouvernance pyramidaux de l’Education nationale sont extrêmement fragiles. Il y a une grande solitude dans toute la hiérarchie intermédiaire. Ca pose des problèmes importants.
Peut on parler de violence institutionnelle ?
C’est un terme que je n’emploie pas. Mais c’est bien ça. Travailler sur le climat scolaire vis à vis des adultes comme des élèves c’est travailler contre la violence institutionnelle. Cela concerne l’exclusion. Mais aussi ce qui est relayé dans le livre et dont le Café a déjà parlé, sur le nombre de répondants adultes qui disent avoir été harcelés par des collègues ou la hiérarchie : 14% ! Ce n’est pas rien. C’est même un chiffre supérieur à celui des élèves !
Peut-on dire qu’il y a eu des progrès ces dernières années ?
Oui en effet. Ce livre est une remise à jour d’un livre plus ancien, publié il y a 20 ans. En l’écrivant j’ai vu qu’il y a eu des changements fondamentaux. D’abord sur la connaissance du phénomène. Les enquêtes de victimation et de climat scolaire sont devenus courantes. Le livre commence d’ailleurs par un article de la Depp, un service ministériel, sur ce sujet. Ces enquêtes ont permis de mettre en lumière un phénomène qui était absent : le harcèlement. Les plans académiques de formation incluent maintenant régulièrement cette question. La thématique du climat scolaire est plus fréquemment utilisée. Et des enquêtes très récentes montrent une baisse du harcèlement de 2%.
Ce dont on a besoin maintenant c’est une évolution de fond dans la philosophie de l’éducation. Sur ce point on n’a pas assez progressé.
Propos recueillis par François Jarraud