Les jeunes Français ont-ils tout désappris de leur histoire nationale ? Ignorent-ils les Grands Hommes ? Partagent-ils encore une mythologie (un roman) nationale ? Françoise Lantheaume et Jocelyn Letourneau ont réuni une équipe de spécialistes pour dépouiller une énorme enquête réalisée auprès de 7000 élèves âgés de 11 à 19 ans. Les résultats sont surprenants. Un siècle plus tard, Lavisse n’est pas mort. Napoléon fait encore vibrer..
Si les programmes scolaires en histoire ont été étudiés, si les leçons données par les enseignants ont fait l’objet d’études précises, on n’avait jamais demandé aux élèves de raconter « leur » histoire de France.
C’est ce qu’ont fait Françoise Lantheaume, professeure à Lyon 2, et Jocelyn Létourneau, Université Laval à Québec. Ils ont lancé une vaste enquête qui a interrogé les élèves en leur demandant de réaliser un récit sur l’histoire de leur pays.
Cette énorme base est travaillée sous plusieurs angles par de nombreux spécialistes. Ils travaillent sur le rapport au religieux, l’origine des savoirs des élèves, la place des grands hommes, l’histoire des origines, les variantes régionales, par exemple.
Une conclusion s’en dégage. « A l’encontre de ce que disent bien des politiques…, les jeunes de manière générale entretiennent une relation affective et admirative avec ce qu’a été leur nation… En tant qu’héritiers d’une histoire nationale, ils font leur cette histoire. »
Mais avec des variantes, que Françoise Lantheaume veut bien détailler et expliquer.
François Lantheaume : » On a affaire à un récit très nationalisé »
Quand on lit la presse on a l’impression que les jeunes français n’apprennent plus qui était Napoléon, Louis XIV ou Jeanne d’Arc. Est-ce vrai ?
Notre enquête montre que quand les élèves ont à raconter l’histoire de France, de grands personnages reviennent de façon massive. Si on les compare au Panthéon précédent finalement on retrouve Louis XIV, Charlemagne, Napoléon et Louis XVI en tête de classement. Les grands personnages sont toujours mobilisés par les élèves. Cependant, B Falaize et L de Cock, qui ont travaillé pour le livre sur cette question, montrent que ces personnages sont convoqués plus comme des icones que pour les actes qui leur sont attribués. Ils sont beaucoup cités mais leurs actions peu explicités.
C’était déjà le cas avant ?
Probablement…
On a l’impression que l’histoire de France connue des jeunes n’a pas changé depuis longtemps. Qu’en pensez vous ?
On n’a pas d’enquête équivalente il y a 50 ans. On a juste des bribes de connaissances. Mais on peut dire que les élèves ont une conception de l’histoire de France déterministe, optimiste et structurée par les guerres et le politique. Il y aussi des éléments vus comme permanents comme le territoire et même les personnages.
On avait l’hypothèse de différences de récits selon les régions, par exemple en Corse ou à La réunion. S Clerc, qui a travaillé cette question avec d’autres auteurs dans le livre, montre qu’au final on a affaire à un récit très nationalisé. La spécificité des iles n’apparait pas massivement. A La Réunion on évoque bien sur davantage l’esclavage. Mais le récit national est très proche des autres régions . Il ne bouge d’ailleurs pas beaucoup de l’école au lycée.
L’idée qui se dégage des récits des élèves, c’est que la France, qui a existé de tout temps sur le même territoire, depuis la Gaule, a connu beaucoup de guerres et de rois qui ont abusé. Face à eux le peuple s’est révolté. Cela a abouti à la démocratie comme une sorte de « happy end » de l’histoire.
C’est la France immuable de Lavisse qui est toujours dans les têtes ?
Il y a un peu de cela. Elle est cumulée avec une dimension plus conflictuelle. Un moteur de l’histoire, pour les élèves, c’est la succession de révoltes et de révolutions. C’est elle qui fait l’originalité de l’histoire de France.
Les origines pour les élèves c’est la Gaule et « nos ancêtres les Gaulois » ?
C’est souvent le cas. Mais beaucoup de récits situent le début à un moment qui plus personnel, qui a marqué une élève. Le jeune va préciser que c’est « pour lui » tel événement qui fonde le début. Pour certains c’est la première guerre mondiale, pour d’autres Louis XVI. Cela montre que les élèves ont un rapport affectif à l’histoire de France. Ils n’ont pas du tout un discours de lamentation.
Mais ce discours affectif fait que l’origine est au-delà des connaissances historiques. Il correspond à un moment fort de leurs apprentissages ou de leur vie personnelle.
Quelle place joue encore l’école dans la construction de cette vision de l’histoire de France ?
Il est difficile pour un élève d’identifier la source de sa connaissance. Mais pour lamoitié d’entre eux, ils répondent les cours. V Chambarlhac, qui a travaillé cette question pour le livre, estime que quand on cumule les cours avec les sorties scolaires, l’école devient nettement prépondérante. Il faut aussi noter que ce récit national s’appuie sur des sources papier. On pensait que des éléments numériques seraient plus forts. Mais Internet est peu présent quand il s’agit de construire le récit national.
On est frappé par le fait que cette histoire apparait commune alors qu’on a aussi le sentiment qu’il y a des mémoires familiales différentes et même des conflits de mémoire entre français. Comment expliquer ce paradoxe ?
C’est frappant en effet. On a testé en Corse et à La Réunion une autre question : « raconte l’histoire du pays ». Le mot pays était assez flou pour désigner la France ou leur ile. Les résultats montrent que les élèves racontent la même histoire que les élèves des autres territoires. Dans tous les cas l’histoire est très nationalisée. Cela tient à l’école mais aussi à la « mythistoire » transmise dans la société.
On est marqué par des absences. Dans le livre vous montrez l’absence de l’histoire coloniale. Mais on peut aussi souligner l’absence de l’histoire ouvrière. Comment l’expliquer ?
L’histoire coloniale est plus présente que la dimension sociale. Elle apparait dans 300 récits. Mais c’est quand même fort peu. Les élèves ont une visions d’une France toujours attaquée. Ils ne se représentent pas une France dominatrice. C’est assez éloigné de la réalité.
Quant à l’histoire sociale, elle est écrasée par la notion de « peuple ». Les groupes sociaux ne sont que fort peu présents dans les récits. En revanche le mot peuple résume les groupes sociaux toujours homogènes.
Finalement c’est le roman national que les jeunes ont acquis ? N’est ce pas la faillite des cours d’histoire ?
Il faut rappeler que la consigne c’était de demander un récit. Et pour les élèves, jusque là, le récit n’était pas de l’ordre de la pratique de l’histoire en classe. Mais l’enquête dément l’attitude étrange qu’il y a sur le fait que les élèves n’auraient plus d’idées sur l’histoire de France.
Par contre pour les tenants du roman national, il faut préciser que ce récit est très laïcisé. On n’est pas dans le récit des origines chrétiennes de la France… Finalement le récit est très républicain.
Mais est -ce un récit qui aide à la construction du sentiment démocratique ?
Les élèves citent beaucoup la démocratie mais surtout à propos du vote. La démocratie pour eux c’est voter. La délibération, la démocratie sociale ils ne les évoquent jamais. Les conflits d’intérêt sont très présents. Mais ils sont liés aux transformations politiques.
L’enquête a été poursuivie dans plusieurs pays européens. Il s’en dégage l’idée Que les jeunes français ont un rapport fort à l’histoire et à la « grande histoire » par rapport à d’autres pays.
Il y a bien un effet d’imprégnation car l’enseignement de l’histoire court tout au long de la scolarité avec redondance
Propos recueillis par François Jarraud
Françoise Lantheaume , Jocelyn Létourneau (dir), Le Récit du commun. L’histoire nationale racontée par les élèves, P.U.L., ISBN978-2-7297-0907-5
L’histoire à l’école élémentaire depuis 1945