Marc-André Selosse : Changer d’époque avec le nouveau programme de SVT
» Les sciences de la vie et de la Terre contribuent à préparer les citoyens de demain sur leur quotidien ». L’étude des mycorhizes est désormais au programme de SVT au collège. Quelle approche un enseignant doit-il alors privilégier pour enseigner la nutrition des végétaux ? Quelles sont les expériences possibles à réaliser ? Marc-André Selosse, professeur au Muséum national d’Histoire naturelle, Président de la Société botanique de France et Professeur invité aux universités de Gdansk (Pologne) et Viçosa (Brésil) apporte son regard d’expert au Café Pédagogique. L’universitaire qui n’hésite pas à comparer les champignons à des plugins, souligne aussi l’importance de l’expérimentation en petits groupes en SVT.
Quel est votre regard sur les nouveaux programmes de SVT dispensés au collège ?
Je ne suis pas mécontent du contenu microbien, et proche du quotidien, des nouveaux programmes et notamment de la prise en compte du monde microbien. Cette modernité et cette prise de conscience sont les bienvenues en matière de micro-organismes. J’ai pu relire les programmes et faire part de mes commentaires dans mon domaine de compétence et certaines remarques ont été prises en compte. Toutefois, j’aurais aimé plus de précision dans la progression. On peut espérer des accompagnements développés pour guider les enseignants. Pour ma part, je pense qu’un universitaire n’est pas en mesure de fixer les détails de connaissances, ne maîtrisant pas les contraintes de l’auditoire, mais qu’il doit en fixer le cadre conceptuel.
Quelle approche un enseignant doit-il privilégier pour enseigner la nutrition des végétaux ?
Je conseillerais de ne pas oublier les réflexes classiques : partir de la structure-même de la plante pour aboutir aux racines qui sont le support à microbes. Ces derniers sont là pour « faire le boulot ». J’ai tendance à comparer les champignons à des plugins, ces modules en informatique qui apportent de nouvelles fonctionnalités. Ainsi, selon les contraintes du sol, des partenaires microbiens adaptent la plante. Sur la racine, on trouvera une structure mixte rassemblant un champignon et la racine, le tout formant une mycorhize. On trouvera aussi, dans les nodosités des Légumineuses, des cellules mixtes avec des bactéries « emballée dans la plante ». Les nodosités de vesces par exemple sont très parlantes et permettent de beaux frottis. Concernant le domaine animal, rien ne vaut un jus de rumen ou, plus simplement, un contenu de caecum de souris pour mettre en évidence la digestion microbienne.
Des questions se posent alors en classe : comment ce système se met-il en place ? Quelles sont les échanges entre les micro-organismes et la plante ?
Les ectomycorhizes sont faciles à voir et même très jolies. Au collège, les ectomycorhizes sont aisément visualisables sous une loupe binoculaire, et on peut même voir des coupes sous microscope. Pour les endomycorhizes, une coloration sera nécessaire, le protocole sera plus long. Je conseille les protocoles proposés par l’APBG (Revue de l’APBG, 2011(1): 135-140) sur la coloration et l’annotation de ces observations.
C’est un peu inhabituel comme matériel pour l’enseignant, et d’accès un peu indirect. Mais, plus globalement, l’enjeu des sciences de la vie et de la Terre est de conduire l’élève à ce qu’il ne voit pas. Je pense à Bachelard pour qui « accéder à la science, c’est accepter une mutation brusque qui doit contredire un passé ». Ainsi, cet obstacle pédagogique (ces mycorhizes invisibles dans un premier temps) devient un vrai enjeu pour la classe.
Vous n’hésitez pas à parler de « sous-traitance » quand vous évoquez la place des champignons ou bactéries dans la nutrition végétale…
L’idée de cette métaphore, destinée surtout aux enseignants, est de montrer le double intérêt. Première possibilité, la plante ne sait pas faire. Exemple : pour la fixation d’azote, elle utilise alors les capacités de bactéries fixatrices d’azote. Deuxième possibilité, le coût biologique est moindre en présence d’un microbe : en présence de filaments de champignons, le prélèvement des nutriments est réalisé par des structures moins coûteuses en biomasse. En plus, il existe une flexibilité : les plantes qui mettent en place ces interactions selon les besoins. Dans un milieu riche, l’association n’est pas un avantage, les bactéries et champignons sont alors congédiés !
L’étude des spores des champignons formant les endomycorhizes présents dans le sol est également envisageable. Un tamisage particulier, préparé pour la classe, mettra en évidence la multitude de ces grosses spores (100 à 400 microns) de champignons.
Peut-on envisager des cultures en classe pour comparer les effets des mycorhizes ?
Il faudra faire attention à la richesse des sols. Si le sol est riche, les végétaux n’ont pas besoin de mycorhizes. A l’inverse, dans un sol pauvre où la croissance est réduite, le développement de ces associations symbiotiques entraînera un gain de croissance. Attention toutefois à l’utilisation d’un sol stérilisé. Les enseignants peuvent utiliser un « sol neutre », c’est-à-dire un sol sableux avec de la vermiculite. On peut ensuite introduire des inoculums du commerce (sachets de mycorhizes ou d’inoculum).
Quels sont les axes de recherche menés actuellement par vos équipes ?
Je travaille sur la symbiose en général. Mes équipes, en France, au Brésil et en Pologne travaillent sur 3 domaines : le flux de gènes (génétique des populations) chez les champignons mycorhiziens, la diversité des champignons mycorhiziens associés à des communautés végétales (nombre de partenaires, réponses aux perturbations du milieu, détermination des processus structurant cette diversité) et enfin les réseaux : en effet, il faut savoir qu’un même champignon peut coloniser des plantes différentes. Ces réseaux peuvent être utilisés par certaines plantes : elles prélèvent leur carbone sur d’autres plantes via des champignons partagés ! Je pense en particulier à des plantes de forêt qui s’adaptent ainsi à la pénombre.
On peut évoquer aussi les mycorhizes lors de « la sortie des eaux par les plantes terrestres » il y a plus de 400 millions d’années.
Aujourd’hui 8 plantes sur 10 ont des endomycorhizes. C’est parce que, dès le début de la colonisation terrestre, les plantes étaient pourvues de cette association symbiotique. Les fossiles découverts aujourd’hui en attestent. Je conseille à ce sujet la lecture de Sciences & Viede juillet 2016.
Certaines plantes sont dans un second temps devenues autonomes avec un développement du système racinaire. La racine n’apparaît que dans un second temps, et d’abord comme organe maximisant l’interaction avec les champignons. D’ailleurs, les plantes primitives ont des axes rampants tels des rhizomes mais sans racines, dans la flore de Rhynie par exemple.
Vous parlez de la modernité des nouveaux programmes avec une plus grande place réservée au monde microbien. Pourquoi ?
Parce qu’on découvre actuellement combien les microbes structurent la nutrition et la santé des macro-organismes. Quand on parle de la rhizosphère, il y a une grande analogie avec le tube digestif animal. Ce sont des lieux où se masse une grande diversité microbienne, qui nourrit et protège l’hôte. Les bactéries ont un rôle fondamental dans la digestion et la production de vitamines. Mais de plus, notre flore intestinale entre en compétition avec d’autres bactéries pathogènes qui pourraient s’installer. Certaines diarrhées longues et douloureuses chez les nouveau-nés s’expliquent par l’absence de cette flore intestinale dans les premiers instants de vie. La compétition pour les ressources disponibles et des effets antibiotiques expliquent l’effet d’écran des microorganismes de la rhizosphère et du tube digestif.
Enfin, ces micro-organismes provoquent une maturation, une meilleure réactivité du système immunitaire. On ne sait encore comment exactement, mais les microbes développent une capacité du système immunitaire à réagir mieux aux agressions, chez les animaux comme chezles plantes. La protection se fait donc aussi par une modification indirecte de l’hôte.
Que reste-t-il à faire pour améliorer la transmission des récentes découvertes : du monde de la recherche vers les enseignants ? Quels sont les supports les plus adaptés pour cet enseignement ?
Je considère qu’une des difficultés, mais aussi un des rôles du professeur, c’est de se remettre en question. J’entends par là que l’enseignant doit s’informer et suivre des formations pour se maintenir au niveau des récentes découvertes, surtout dans une discipline comme la nôtre qui évolue aux frontières du quotidien, près de l’alimentation ou de la médecine. Pour cela, des revues comme Sciences et Vie, Pour la Science ou La Recherche, les publications de l’APBG et les formations académiques sont utiles aux enseignants de SVT. Au Muséum d’Histoire naturelle de Paris, nous dispensons également des formations. Il faut penser aussi aux Maisons pour la Science, la fondation La Main à la Pâte et aux muséums régionaux, souvent actifs. Je regrette toujours la maigreur des budgets liés à la formation continue des enseignants, si vitale pour notre discipline, comme devant l’évolution actuelle des programmes.
L’essentiel pour les générations suivantes est de leur « apprendre à voir » à partir d’un échantillon naturel. Il ne faut pas hésiter à revoir sa batterie de réflexes et de matériaux pédagogiques. On trouvera sur la toile de très belles photographies voire des films au microscope, qui sont tout autant d’excellents outils pédagogiques. Le ministère prépare actuellement de petites vidéos pédagogiques sur les nouveaux programmes, qui seront disponibles en ligne.
L’homme a pendant des siècles travaillé à améliorer la betterave, le blé et même les vaches et la santé humaine. Aujourd’hui, les enjeux futurs tournent autour de la contribution microbienne sur le développement de ces végétaux et animaux. Il y a plus à espérer du monde microbien pour des progrès de demain, même d’ailleurs touchant à la betterave, au blé ou aux vaches !
L’aspect microbien de ces nouveaux programmes prépare la génération suivante à mobiliser davantage les connaissances du monde microbien dans les nouveaux enjeux ou les pratiques. Les autres pays ne font pas tous cela actuellement. Je considère que l’on doit changer d’époque au moins aussi vite que les autres, et que cela peut nous aider à gagner une compétitivité dans la modernité. N’oublions pas que les sciences de la vie et de la Terre contribuent à préparer les citoyens de demain sur leur quotidien.
Pour terminer, quels souvenirs avez-vous de vos cours de sciences naturelles au collège et au lycée ? En quoi les expérimentations réalisées au cours des travaux pratiques sont-elles importantes ?
J’ai toujours été passionné par la nature et particulièrement par les cours de « sciences naturelles » de la 6ème à la classe préparatoire. Mon professeur de sciences en 5ème, Monsieur Declaron, nous avait un jour demandé d’aller chercher des champignons en forêt, avant de les observer en cours. Depuis ce temps, je n’ai pas arrêté !
Ces temps d’observation en travaux pratiques sont très constructifs et développent une synergie nécessaire aux apprentissages. Ces expérimentations ne peuvent se faire qu’en petits groupes de 12 à 15 élèves. Ces conditions de travail sont importantes pour la bonne réalisation des travaux pratiques. Il nous faut incessamment lutter pour maintenir aux SVT une place correspondant à leur importance pour les élèves et pour des effectifs compatibles avec l’observation et l’expérimentation. Sans doute ne doit-on pas négliger des lobbys, comme l’APBG, qui unissent nos efforts pour y parvenir.
Entretien par Julien Cabioch @vivelesSVT
Publications de Marc-André Selosse