8h30, un certain vendredi de fin juin 2016, rangés les uns derrière les autres, les enfants de CE1 sont prêts à accomplir le premier exercice du matin. Deux étages à monter, près de 25 élèves, ce n’est pas rien… Arrivé dans la classe, chacun dispose son cartable à sa place. Une élève s’empare d’un cahier et fait l’appel en se déplaçant auprès des enfants pour cocher d’une croix leur nom alors que d’autres, assis par terre, jouent aux dés, aux cartes ou conçoivent des figures géométriques.
Un petit groupe s’est approprié l’espace de la bibliothèque à la recherche de quelques livres. Tranquillement ils s’assoient par terre, les uns à côté des autres.
Presque 9h00, D., l’enseignant agite un petit instrument de percussion, « Le temps libre et calme est fini », tous les enfants s’installent à leur place et l’un d’eux se dirige vers le tableau pour lire solennellement le planning de la journée affiché au tableau sous forme d’étiquettes aimantées : « Je fais partager, Travail individuel, Détente, Langue, Maths, Déjeuner, J’écris, Sport, Atelier ». L’organisation de la journée est donnée. Le « Je fais partager » peut commencer.
Je fais partager
B. récupère les étiquettes des enfants qui, dès le lundi, s’étaient proposés pour faire partager une expérience aux camarades de classe mais qui n’avaient pas encore eu l’occasion de la raconter lors des deux autres « Je fais partager » de la semaine. Alors de petits exposés brefs mais vivants s’enchainent. « Samedi dernier, j’ai fait un gala de natation synchronisé, j’avais un chignon qui tenait grâce à un filet. On m’avait mis de la gélatine pour que ça tienne. Après il a fallu enlever la gélatine ».
B. – qui prend son rôle très au sérieux- lance avec un calme olympien « Y a-t-il des réactions ou questions ? » Une poignée de mains se lèvent. Il peut alors distribuer savoureusement la parole : « Tu as dû te faire super mal … », « C’est quoi la gélatine ? ». Des questions auxquelles E. ne sait pas encore répondre « J’sais pas ce que c’est, je ne sais pas comment expliquer, ça s’étale sur les cheveux ». Mais elle s’engage à faire quelques recherches pour apporter la réponse aux questions de ses camarades de classe…
Ensuite, c’est au tour de K. d’évoquer un épisode qui aurait pu passer comme une lettre à la poste : son dernier rendez-vous chez le dentiste. « Dans la salle d’attente, il y avait des livres. J’avais trois caries. Pour endormir les dents, ils m’ont mis une crème à la menthe, une petite pâte pour que ça prenne la forme des dents. Ils ont dû enlever les bagues après. Je ne devais pas manger tout de suite car la pâte devait sécher ». Alors les questions fusent : « C’est quoi le nom de ton dentiste ? », « Moi aussi j’ai eu une carie et ils ont pris une photo de la bouche ». D. complète : « Moi aussi je suis allé chez le dentiste et on m’a fait la même chose ».
A. quant à lui évoque un spectacle sur des légendes amérindiennes au musée du Quai Branly. Présentation discrète qui suscite peu de questions. Alors B. toujours très investi dans son rôle de Président de séance se prend au jeu et veut rééquilibrer les prises de parole« J’aimerai bien que les questions viennent aussi de l’autre côté de la classe et pas que de ce côté »…et ça a l’air de marcher…
La preuve, quand E. raconte une visite à Eurodisney, Pirate des caraïbes, Indiana Jones, plusieurs mains se lèvent des quatre coins de la salle « Combien d’attractions ? », « Moi j’en ai fait plus ». Mais D. saisit l’opportunité d’une attraction à 360° pour interroger la salle « Vous savez ce que c’est qu’une attraction à 360°? » Flanqué au milieu de la salle, droit comme un piquet, il tourne sur lui-même, en prenant soin de s’arrêter à chaque quart de cercle. Puis dessine au tableau deux droites perpendiculaires et les arcs de cercle qui correspondent chacun à 90 degrés, reprenant pour chaque quart, 90 degrés… Certains s’écrient « AHAHAHA mais c’est comme la bouche d’égout ». La classe vient en effet de faire une série de photos d’objets du quartier. Ils avaient ensuite pour mission d’apporter l’une d’entre elles afin que leurs parents écrivent une légende derrière chacune d’elle… B. reprend la parole et dit « Le Je fais partager est terminé ».
Travail individuel
Le travail individuel peut alors commencer. Il est 9H30. Chaque enfant choisit entre plusieurs activités : mathématiques, lecture, écriture, préparation d’un exposé.
Chacun s’installe, au besoin il faut aller chercher des outils dans la classe mais tout se fait tranquillement. Pour ceux qui peinent un peu, il suffit de saisir une étiquette avec son nom et de l’aimanter au tableau. Chacun à son tour pourra ainsi demander de l’aide au maître qui anticipera et saura qui aller voir. Parfois certains s’entraident naturellement.
Il est 10h00, l’heure de la récré. Une petite demi-heure de détente vient de passer, les enfants ont gravi une seconde fois les deux étages. Le temps « Connaissance de la langue » va commencer. C’est d’abord en groupe que l’échauffement se fait. Chaque enfant propose un adjectif ou un nom et l’épelle puis chacun essaie ensuite de deviner parmi les mots écrits leurs genre et nombre. Puis D. distribue une fiche d’exercice qui fera l’objet d’un travail individuel. Le programme indiquait au départ « Mathématiques » mais la concentration des uns et des autres était tellement optimale qu’il laisse chacun vaquer à ses occupations. Certains finissent leurs exercices pendant que d’autres se réfugient dans un livre et s’assoient tranquillement par terre dans la bibliothèque. En parfaite autonomie.
C’est bientôt la pause déjeuner ! La matinée est vite passée… Dans le calme, même si la fin de l’année approche, ils racontent le bonheur d’être considérés comme des êtres responsables, intelligents, capables de s’organiser ensemble, d’administrer leur temps individuel et collectif. Certains me racontent ce qu’ils aiment, ce qu’ils ont appris, « J’aime bien le travail individuel », « J’ai appris le singulier et le pluriel, les verbes avoir et être, j’ai appris à lire en CP avec D.», « J’ai appris à faire du travail individuel », « J’aime bien la façon dont on apprend, elle est rigolote », « J’aime bien son organisation, comment il fait les choses, comment il les explique. Ce qu’il fait». Peut-être que ce qui est le plus plaisant, c’est de voir qu’ils sont conscients de cela et qu’ils mesurent que cette manière de travailler leur servira même s’ils ne savent pas bien si tous les enseignants qu’ils auront plus tard travailleront de cette manière… la vie le leur dira…
Anne Lise Schmitt, visiteuse d’un matin
Chaque mercredi retrouvez « La Classe plaisir » et ses moments précieux…