Il semble nécessaire, à cette rentrée, de lancer un grand mouvement que nous proposons d’appeler : « Vider les cartables ! ». Attention, il ne s’agit pas d’organiser un travail de contrôle et de surveillance destiné à éviter tout usage prohibé de ce moyen de transport en ces périodes troublées de risque terroriste. Derrière ce slogan, il s’agit de rassembler un certain nombre de problématiques liées au développement du numérique et de son impact sur le cartable de l’élève. Imaginez que le poids de votre sac soit entre 20 et 30% de votre poids corporel. C’est pourtant ce que l’on observe quand on pèse le cartable de certains de nos enfants. Alors pourquoi cette question récurrente du poids des cartables est-elle encore d’actualité ? Après avoir retourné la question à de nombreuses reprises, en tant qu’enseignant, parent, formateur, chercheur, j’en suis arrivé à la conclusion suivante : le problème est toujours osé dans les mêmes termes : alléger les cartables ne doit pas changer les habitudes de l’école. Pour le dire autrement, les manières d’enseigner (et d’apprendre) n’ont pas à être changées par cette question, il faut plutôt alléger les livres, les dédoublés, les numériser, mais surtout ne pas toucher aux manières d’enseigner.
Irremplaçable cartable ?
Marronnier classique, la question du poids des cartables est plus largement celle des formes d’usage du cartable dans le contexte scolaire. Il ne faut pas s’en tenir au poids, c’est trop simple, si l’on ne se demande pas ce que l’on met dans le cartable et pourquoi ; Peut-on comparer un cartable à un sac à main ? Oui et non, selon les usagers, mais non si l’on s’en tient aux prescriptions scolaires. Au vu des progrès technologiques actuelles on pourrait imaginer qu’il n’y ait plus de cartable mais simplement un smartphone dans la poche. Si l’on y regarde de plus près cette hypothèse pourrait, fonctionnellement, être acceptable. En effet, aujourd’hui un smartphone est suffisamment puissant pour rendre l’ensemble des services que l’on demande aux objets qui sont aujourd’hui dans les cartables.
Mais cette hypothèse du smartphone, voire de la tablette, ne tient pas. En tout cas pas en l’état actuel de l’environnement personnel et scolaire. Ni du côté des manuels scolaires, ni du côté des classeurs et autres cahiers, ni encore du côté du travail personnel de l’élève, les choses n’évoluent suffisamment pour que l’on dépasse ces impossibilités. Ajoutons à cela que dans l’imaginaire de l’école, le cartable est un « passeur », un lien, une sorte de continuité entre l’école et la maison. Il n’est pas innocent que les premiers essais d’Environnement Numérique de Travail se soient nommés « cartable numérique » (cf. l’expérience de la Savoie à la fin des années 1990). L’école embarque nombre de ces objets qui peuplent l’imaginaire collectif et construisent une image quasi immuable de l’école : blouse, craie, tableau, encrier jadis, désormais modernisés, mais pas vraiment remplacés. Ainsi le cartable serait irremplaçable. Imaginons une école ou un collège qui les bannirait, on aurait alors à construire de nouvelles manières de faire, en espérant que les moyens numériques feront autre chose que se substituer en les singeant les pratiques antérieures.
Révolution de l’écolier
Faut-il vider les cartables à l’entrée dans la classe ? Certains voient d’un bon œil cette idée qui reviendrait à vérifier que les élèves ont bien « ce qu’il faut » et surtout qu’ils ne cachent pas de smartphone ou téléphone (interdit au collège et à l’école primaire…). Ce qui est dans le cartable relève de l’autorité de l’école : c’est elle qui dit ce qu’il doit contenir. Armes, drogues, certains envisagent et réalisent depuis assez longtemps l’intervention policière pour effectuer cette tache de fouille. Mais où est l’école de la confiance ? Le cartable est aussi un sac à main, objet personnel et personnalisé. Quand un jeune, découvrant la tablette que voulait lui confier le collège, a demandé s’il pouvait personnaliser la page d’accueil, il ne faisait que prolonger ce que chacun de nous a fait jadis : personnaliser son cartable, ses livres, ses cahiers (parfois même les chaises et les tables confiées par l’école). Même si nombre de bons élèves résistent à cette personnalisation par crainte de l’autorité scolaire et parentale, nombreux sont ceux qui le font. Le cartable est, pour certains, un espace privé, personnalisé. Mais pour l’institution c’est un espace qui lui appartient et donc elle peut le fouiller. L’élève doit se plier à la forme scolaire.
L’arrivée des Equipements Individuels Mobiles (EIM) selon qu’ils sont institutionnels (plan numérique) ou personnels (BYOD) est un changement potentiel pour le cartable. Parce qu’ils sont de plus en plus dans la poche, qu’ils sont connectés, qu’ils disposent de fonctionnalités bien supérieures aux ordinateurs d’avant les années 2000, ils ont toutes les qualités pour concurrencer les cartables. Lecture, écriture, calcul et bien d’autres possibilités sont disponibles en permanence, alors pourquoi ne pas les utiliser. Nous voyons poindre petit à petit une « révolution de l’écolier ». Cependant nous résistons, logiquement, à la perte de ce paradis imaginaire si bien montré par Nicolas Philibert dans son film « Etre et Avoir ».
Imaginaire, car la montée en puissance de nouveaux espaces d’accès aux savoirs est en train progressivement de modifier les représentations sociales de l’apprendre, de la scolarité. Certes tout cela s’entend sur un temps long, la question du poids des cartables en est un bon indicateur. Difficile d’imaginer ce qui adviendra, mais impossible d’ignorer le fait que le cartable est en train de perdre progressivement son image symbolique. Cela s’inscrit dans un temps long, comme tout changement dans la culture humaine. Les indices sont parfois faibles et les résistances nombreuses. Il ne s’agit pas de dire ici que c’est une bonne ou une mauvaise chose, laissons cela aux polémistes et autres idéologues, il s’agit de constater des faits qui petit à petit changent le paysage qui nous entoure avant de modifier celui que nous avons dans notre tête.
Bruno Devauchelle