Le Campus Européen d’été de l’université de Poitiers dont le thème est consacré au Big data dans l’éducation a proposé dans sa deuxième journée d’approfondir la question de la personne face au numérique. Adrienne Charmet de la Quadrature du Net a d’abord posé le paysage global. Cette association qui milite pour que les libertés des personnes soient garanties dans le monde numérique a fort à faire ! De fait dans un contexte numérique la défense des droits des personnes prend une nouvelle dimension.
Big data et libertés
Adrienne Charmet nous a invité à constater la fascination et en même temps la surprise que nous avons face à ces informations que nous renvoient les sites et qui nous donne le sentiment de ne rien maîtriser. Le coeur de son propos est de nous inviter à reprendre la main sur les lois et les pratiques. Dénonçant la trop grande méconnaissance du numérique par les élus et les responsables et décideurs, elle évoque la nécessité de les informer et de leur ouvrir les yeux pour éviter qu’ils ne votent n’importe quoi. Cela d’autant plus qu’il y a de puissants lobbys qui agissent dans des sens différents.
Ce qui est particulièrement intéressant dans son propos c’est qu’elle nous rappelle qu’il y a deux grands intérêts qui peuvent se conjuguer pour limiter notre liberté : l’intérêt des grands opérateurs du web qui vivent de nos données d’une part, l’intérêt des Etats et des pouvoirs qui, au nom de notre sécurité nous surveillent. Elle ajoute d’ailleurs que cela est devenu tellement important que nous sommes en train de nous autocensurer. Qui oserait poser la question de savoir comment on fabrique des bombes directement dans un moteur de recherche ? Elle observe que nous sommes en train de nous limiter par peur des conséquences que pourraient avoir de telles questions enregistrés et surveillées par des pouvoirs pas forcément bien intentionnés.
L’arrivée des big data dans le paysage actuel est dû à une montée en puissance de celles-ci. La question de l’anonymisation se pose et Adrienne Charmet évoque le terme de « pseudonymisation » comme manière effective de faire, indiquant ainsi que l’on peut souvent retrouver, après analyse, la personne dont les données ont ainsi été transformées.
Quelques conseils ponctuent et concluent le propos :
1 – ne pas céder au fatalisme.
2 – prendre conscience qu’on est dans une évolution législative constante (numérique dans toutes les lois : données personnelles, information et liberté)
Pour la Quadrature du net il est essentiel de
A – comprendre les enjeux et de savoir de quoi on parle,
B – faire pression sur les législateurs. « Il faut donc faire comprendre que c’est un enjeu du citoyen au quotidien. On veut faire monter en compétence les décideurs politiques pour éviter qu’ils ne prennent des décisions catastrophiques »
Bibliobox
La deuxième partie de la matinée a été consacrée à la présentation de deux artistes (Lionel Palun puis Magali Desbazeille venus présenter leur manière de « mettre en installation » les big datas. Le regard des artistes, de par leur distance et leur mode d’appréhension de l’environnement nous renvoie des questions vives au-delà des évidences. Ici c’est l’importance des installations qui retranscrivent de manière visuelle les mouvements de foule dans les lieux publics, là c’est l’analyse des statistiques sur les sentiments humains par les grands organismes internationaux qui sont mis en scène. De part des refus, dans certains cas, de l’aboutissement d’une œuvre, on comprend que l’art dérange parce qu’il donne à voir les faces cachées de nos réalités. Ainsi suivre les gens dans un espace public en identifiant leur portable est une pratique utilisée par certaines organisations, les mettre en scène pour les révéler au public n’est pas acceptable. Cela signale aussi les probables conduites limites de ceux qui manipulent ces big data à l’insu des gens.
L’après-midi a permis d’une part de comprendre le projet des bibliobox (autre nom des piratebox dans un contexte d’accès au livre) présenté par Bruno Essard-Budail et d’autre part de comprendre le rôle d’un correspondant Cnil dans une organisation (ici celle de Canopé) présenté par Philippe Gauvin. On a pu retrouver autour de ces deux intervenants des problématiques voisines de celles du matin. La box proposée et installée dans plusieurs bibliothèques permet de s’affranchir de toute dépendance au web tout en utilisant, en local par wifi, un réseau internet non relié.
Ainsi sont mises à disposition de manière ciblée et sécurisée des informations dont l’utilisation ne laissera aucune trace, ne permettant donc pas d’exploitation ultérieure. Le correspondant CNIL a lui mis en lumière l’importance du respect de la personne et comment la loi s’applique. Il a en particulier souligné deux points importants : d’une part la nécessité pour les enseignants de s’approprier la loi et d’autre part l’importance d’une formation qui vise réellement l’acculturation et non pas un simple vernis suite à une conférence dont les enseignements seraient oubliés dès le lendemain.
L’espace Mendès France (EMF) de Poitiers a offert aux participants la possibilité de découvrir son activité autour des sciences et des technologies, et a proposé en fin de journée un atelier sur le cryptage des données et surtout, en soirée un spectacle/performance d’artistes dont l’œuvre est liée au numérique et aux données : Frank Bretschneider et Pierce Warnecke, projet SIN+FORM .
Une deuxième journée dense et riche aussi bien par les interventions que par la variété des questions posées et les échanges entre participants.
Bruno Devauchelle