Tout au long de cette nouvelle année scolaire, en plus des moments de plaisir vécus ou à vivre, nous vous ferons partager les témoignages de parents de ma classe de CE1, interviewés l’an dernier. Je les ai questionnés sur qu’ils ont perçu et ressenti du fonctionnement, inspiré de la pédagogie Freinet, de la classe de leur enfant. Ces témoignages ont aussi leur place dans l’idée de classe-plaisir.
Premier entretien : les parents de S.
– Dans votre classe, j’ai l’impression qu’on essaie d’avoir plus l’apprentissage par le plaisir, guidé plus ou moins par ce qu’on a envie de faire. Il y a toujours un cadre, mais qui laisse plus d’initiatives à l’enfant. On est moins dans un rapport apprenant/professeur, avec un cours plus ou moins magistral. Il y a vraiment de la place pour l’enfant, et puis beaucoup de choses qui reviennent régulièrement et dans lesquelles l’enfant s’installe : le « Je fais partager », par exemple, qui paraît pour un adulte au départ un peu difficile à appréhender, puis on se rend compte que les enfants, en fait, prennent vraiment le pli et se font leur place. Et ce qui m’a le plus impressionné, je crois, c’est les histoires…
– Les textes libres ?
– (père) Les textes libres. Parce qu’au départ, ils ne savaient pas encore écrire et vous leur faisiez écrire les petits mots et vous complétiez. Et on arrive deux ans après (CP puis CE1) avec des romans… Et il y a ces présentations de textes à l’ensemble de la classe… Et puis le journal, je trouve ça extraordinaire. C’est simple, je suis très impressionné par le fait que vous arriviez à tenir le rythme hebdomadaire.
– Ça prend un peu de temps, mais pour moi, ça fait partie des choix que je fais. C’est une priorité, et il y a des choses que peut-être je fais moins que d’autres enseignants.
– (père) Parce que non seulement ça permet aux parents de suivre une évolution et ça valorise beaucoup l’enfant, qui peut dire « mon texte a été sélectionné », et « mon texte n’a pas été sélectionné par le prof, mais par l’assemblée des enfants ».
– Une petite question : vous dites, au départ, que ce sont des choses un peu difficiles à appréhender. A votre avis, c’est lié à quoi : est-ce lié au fait que ce n’est pas ce que vous aviez l’habitude de voir, genre français-maths… ou c’est autre chose ?
– (père) Non, c’est plutôt ça. De voir tous ces différents ateliers ou « temps », ça paraît beaucoup. Mais comme il y a la répétition, ça s’installe dans…
– (mère) … dans la semaine.
– (père) Et moi, quand j’étais plus jeune, j’étais responsable d’ACE (action catholique des enfants), dans le parti JOC, ce genre de choses. L’idée c’était de ne pas imposer des choses, de faire parler les enfants et les mettre ensemble, faire des projets communs. Et c’est un petit peu l’idée que je retrouve. Les enfants sentent qu’ils ont la possibilité de s’exprimer, de proposer des choses… S., maintenant, quand elle fait quelque chose de particulier, elle dit « Oh, ça, je peux le présenter au “Je fais partager” ».
– (mère) Ça, S., elle l’a bien adopté, le « Je fais partager ». Je me souviens, dès qu’elle faisait un dessin : je vais le présenter au « Je fais partager ». Moi, ce qui m’avais aussi impressionnée, c’était la présentation de mai dernier, la « matinée ouverte » un mercredi où on était venus en fin d’année, où les enfants avaient listé ce qu’ils voulaient nous présenter sur la classe et ils avaient préparé ce qu’ils présenteraient. Donc ça, déjà, waouw ! Et après, quand vous aviez fait Ernest et Célestine en théâtre, s’ils sont en binôme ou en trinôme, chacun peut parler, s’il y a des enfants qui ont plus de difficultés pour s’exprimer en public, les autres lui laissent le temps, ne vont pas forcément le reprendre pour aller plus vite ou être plus efficace. J’ai l’impression qu’ils sont acteurs, et en même temps ils laissent la place aux autres. C’est pas « moi je », mais « nous » présentons ou jouons au théâtre… Et au théâtre, effectivement, ils étaient aussi tous investis.
– A votre avis, qu’est-ce que ce fonctionnement de classe, que vous avez donc connu deux ans, pourrait changer pour S. ? Quels sont les points qui feraient un peu changer sa façon d’être ou d’apprendre, ou même son avenir, même si dans l’avenir, il y a plein de choses qui jouent ?
– (mère) Je pense peut-être qu’elle aura plus d’audace par rapport à ses initiatives. Parce que je pense que vous êtes plutôt à l’écoute de ce qui vient des enfants, peut-être qu’elle aura moins d’inhibition pour s’exprimer, proposer des choses… Alors que dans un cadre plus classique, on est un peu rapidement rabotés sur ces choses-là. Sur l’expression écrite, elle me dit qu’elle ne veut pas écrire, etc., mais je vois pour F. (le grand frère), il y a rarement eu d’expression écrite dans ses classes et je trouve que c’est chouette aussi, le cahier d’écrivain…
– (père) Moi, je ne sais pas trop répondre à votre question. Je me pose plutôt la question dans l’autre sens, c’est-à-dire qu’est-ce qui se serait passé si elle avait eu quelque chose de plus classique pendant ces deux années ? Et je pense qu’elle aurait eu beaucoup plus de mal.
– Et pour quelles raisons ?
– Parce que j’ai l’impression que S., elle est beaucoup dans le ressenti, dans les relations, elle est très à l’aise dans les présentations, les choses comme ça et je crois que c’est une méthode qui lui convient particulièrement.
– Et est-ce qu’il y a aussi des réserves ou des interrogations qui pourraient être liées à ce type de fonctionnement ?
– (mère) Moi, je n’en vois pas.
– (père) Moi, les réserves, je les avais plutôt au début, parce qu’il y avait peu de devoirs, ça avance un peu « bizarrement », mais je n’en ai plus vraiment. La seule question, c’est : après ?
– C’est marrant, à chaque fois on me dit ça…
– Je suis très heureux de ce fonctionnement de classe, qu’il y avait un peu en maternelle, où on continue parce qu’on sent que pour l’enfant, c’est chouette, il prend du plaisir, il apprend beaucoup, il y a toute cette partie « relations », le groupe, faire des projets ensemble. Comment ça va se passer pour la suite ?
– Cet après, c’est « Est-ce qu’elle va s’adapter ? », « Est-ce que tout ça ça va pas être tellement opposé que ?… » Ce serait quoi, cette inquiétude sur l’après ?
– (père) Oh, je pense qu’elle va s’adapter, ça j’ai pas de…
– Si on était comme dans un jeu de rôle. Moi, je suis un parent lambda, qui n’a pas d’enfant dans la classe : « Suzanne elle est dans une classe un peu « bizarre » : c’est quoi, cette classe ? » Comment vous pourriez dire de façon assez simple à quelqu’un ce qu’est cette classe ?
– (père) Une classe autogérée.
– Une classe autogérée ?
– (mère) Déjà, c’est un groupe solidaire, puisque vous travaillez sur ça aussi. Il y a beaucoup d’échanges entre les enfants, avec vous. Il y a aussi des devoirs. Moi, je ne suis pas très devoirs au départ, mais il y a des tas de parents que je sens angoissés dès qu’il n’y a plus de devoirs… Donc là, il y en a, mais c’est juste aussi une façon de présenter, par exemple le verbe, les leçons de grammaire, c’est une façon de personnifier les apprentissages, qui parle effectivement plus aux enfants de cet âge, en tous cas, qui fait moins peur. Et puis c’est un peu aussi un laboratoire, on a l’impression que vous essayez… S. elle nous dit « On fait quelque chose de nouveau », comme « Eurêka »…
– Oui, il y des choses que je fais et que je mets un peu de côté, parce que ça ne fonctionne finalement pas aussi bien que je le pensais.
– (mère) Ou la phrase au tableau…
– La phrase du jour.
– (mère) Donc c’est quelque chose qui n’est pas figé, qui réagit, qui rebondit, qui est dynamique…
– (père) Et moi je dirais que c’est pas n’importe quoi, il y a un cadre, mais il est là pour sécuriser les enfants, et à partir de là, il y a plein d’expressions, de projets, d’initiatives. Le journal, moi je trouve ça extra, et la manière dont les devoirs sont donnés aussi.
– Plusieurs parents m’ont dit ça aussi.
– (mère) Et que ce soit régulier, aussi. Le lundi soir, c’est le journal…
– (père) On sait que le week-end, on va travailler à la petite question, du coup, au bout d’un moment, on travaille avec Suzanne sur un P’tit Doc sur la question et après c’est Suzanne qui… Là, pour le fil, c’est elle qui a dit « On va aller voir des vidéos pour voir comment on fabrique le fil » et après, c’est elle qui a fait un petit texte résumé de ce qu’elle avait vu…
– Oui, elle l’a présenté.
– (mère) Et puis j’aime aussi la feuille de tous les quinze jours, même si je ne comprends pas toujours bien…
– Ah, le plan de travail !
– (mère) Que S. n’a pas forcément envie de me présenter, d’ailleurs, mais c’est un autre outil de suivi pour nous qui sommes à l’extérieur…
– Plus scolaire.
– Est-ce que vous, enfant, avez été dans une classe qui aurait pu s’apparenter à la pédagogie Freinet ?
– (mère) Moi, je ne pense pas.
– (père) Moi, j’ai été dans une école Célestin Freinet, mais je ne me souviens pas que ça ait été comme ça.
– Où ça?
– (père) A Abidjan, en Côte-d’Ivoire, mais je ne m’en souviens plus trop, j’étais petit… »
Daniel Gostain
Pour en savoir plus :
– Le « Je fais partager »
– Les textes libres
– La « phrase du jour »
– Les temps de classe
– Eurêka
PS : Sur Eurêka, il vient de paraître un bel article dans le magazine « La Classe » de septembre !
Chaque mercredi retrouvez « La Classe plaisir » et ses moments précieux…