Alors que le nouveau collège tente de se mettre en place, arrive en même temps le plan numérique, son quart des collèges (classes de 5è) équipés et sa cohorte de « piliers ». L’insistance sur l’EMI (Education aux Médias et à l’Information) et l’EMC (Enseignement Moral et Civique) ajoute au contexte général comme un signe fort : le numérique a transformé le monde, ne le laissons pas transformer nos jeunes à notre insu. L’insistance sur le numérique de plus en plus présente dans les programmes des disciplines et dans le socle commun (même s’il y a perdu sa place spécifique) vient renforcer ce sentiment de prise en compte systémique d’un fait social total.
Un nouveau B2I
Un avant-projet de décret et d’arrêté concernant le successeur du B2i école et collège circule actuellement (la fiche 16 du ministère y fait référence). Il est basé sur une initiative plus globale de redéfinition des compétences numériques nécessaires aux jeunes de l’école à l’enseignement supérieur. Le référentiel associé à ces textes montre qu’un même ensemble de domaines sera évalué par niveaux de compétences à chaque niveau d’enseignement. B2i lycée, C2i et C2i niveau 2 seront concernés par cette refonte globale qui souhaite apporter cohérence et surtout reconnaissance par le monde professionnel des compétences numériques des jeunes en sortie de parcours académiques. Il est probable que certains y verront (positivement et/ou négativement) une tentative d’adapter le monde scolaire aux besoins du monde professionnel…
A cela il convient d’ajouter la multiplication des sites Internet, voir applications pour smartphone, au service des élèves, des parents, des enseignants, à s’y perdre parfois tellement ils sont surprenant. Ainsi l’application eparent qui est censée mettre en lien le parent avec l’école de l’enfant. Un petit test rapide montre que cette application n’est rien d’autre qu’un annuaire d’informations diverses. La partie fournitures est un exemple : on y trouve un fatras de fournitures qui ne sont surement pas celles demandées par l’école pour le niveau considéré (le test a porté sur un élève de CP, on lui propose un compas…). Bref une application qui fera rapidement la preuve de son inutilité… hormis pour avoir l’adresse et le téléphone des écoles…
Montée en puissance des ressources
Il convient cependant de nuancer enthousiasme ou détestation et tenter d’analyser divers aspects proposés à cette rentrée. Remarquons d’abord que les quatre piliers évoqués pour l’école numérique sont toujours les mêmes depuis plus de trente années : – la formation des enseignants ; – la réforme des programmes ; – la mise à disposition de ressources pédagogiques nouvelles ; – l’équipement des enseignants et des élèves. On s’étonne de ne pas y trouver les infrastructures et la maintenance, qui sont devenus une évidence pour les collectivités territoriales et les acteurs dans les établissements scolaires. On est étonné de voir si peu figurer, dans la fiche 16 du ministère, la question des compétences des élèves, mais simplement la notion de codage et l’arrivée de l’ICN (Informatique et Création Numérique) en lycée. Par contre on y voit une insistance sur les ressources, dont on sait, de source sûre, qu’elles vont monter en puissance progressivement au cours de l’année (sachons être patient…). Il semble qu’il reste encore quelques problèmes à régler comme le Gestionnaire d’Accès aux Ressources qui simplifierait la recherche, ou encore l’identification unique qui éviterait la multiplication des étapes « codes d’accès – mot de passe » dont on sait qu’ils constituent une des plus grandes sources de difficulté.
L’EMI et la radicalisation
Il faut bien sûr parler de l’EMI si sensible (au côté de l’EMC) en ce moment. On ne peut que reconnaître la difficulté face à la manière dont l’ensemble des médias, de flux et interactifs sont désormais présents dans notre vie quotidienne. Avant l’arrivée d’Internet, le cadre semblait clair (les médias de flux, on peut les circonscrire). Depuis, la boite noire de l’accès à la publication sous toutes ses formes s’est ouverte. La découverte de la violence des échanges entre enseignants sur les réseaux sociaux (cf. les chroniques de Michel Guillou, Louise Tourret ou encore une note récente de l’AEF) n’est pas moins inquiétante que l’attitude de certains jeunes entre eux qui au travers de certains réseaux (ask, par exemple) s’invectivent,…). La « radicalisation » de la parole est-elle en train de gagner du terrain ? L’histoire du XXè siècle nous rappelle combien, dans une population, peu nombreux sont ceux qui osent prendre la parole en public, sur la place publique. Mais elle rappelle aussi que ceux qui invectivent font souvent peur, au point de soumettre les autres à leur violence en les amenant au moins à des comportements de passivité… pour se protéger. La non-violence a rarement eu bonne presse… dans le monde des idées, mais surtout dans l’histoire de notre monde.
« Faire société » à l’heure du numérique
En ce temps de rentrée scolaire, au-delà des rengaines habituelles, chacun de nous, enseignants, acteurs du monde éducatif, nous nous questionnons sur la possibilité de prendre en compte réellement ces évolutions dans un contexte global qui inciterait plutôt au repli. Comment retrouver de l’enthousiasme pour ces tâches qui semblent chaque jour plus difficiles à assumer dans un monde scolaire qui peine autant à évoluer ? La réforme du collège, avant même d’être lue par les intéressés, est déjà soupçonnée de tous les maux. Et le premier de ces maux est d’être une « nouvelle réforme ». L’imaginaire autour du mot réforme est incroyablement peuplé d’incompréhensions. Alors que l’on sait depuis vingt années au moins que le collège est en souffrance, que l’enseignement professionnel et technologique n’a pas la place qu’il mérite dans la vision panoptique des décideurs autrement que de manière incantatoire, et qu’un nombre important d’élèves sont en difficulté par rapport à leurs apprentissages dans ce contexte, chacun tend à se replier sur ce qu’il connait, évitant le saut vers le différent, l’inconnu.
C’est d’enthousiasme et d’envie dont le monde éducatif a besoin. Mais il a aussi besoin de laisser des espaces d’initiatives dans la tête de chacun des enseignants pour que ces envies puissent aussi se traduire en résultats tangibles. N’oublions pas le bon vieil effet Pygmalion… n’ignorons pas l’importance du sentiment d’efficacité, acceptons enfin de tenter le pari de l’empathie. La relation entre adultes et jeune est en train de se reconfigurer dans l’espace familial et scolaire. L’usage désormais accepté des technologies numériques est en train d’accentuer sa force de changement des relations humaines. Il est temps de retrouver dans ce contexte la place nécessaire des interactions humaines si l’on ne veut pas que les jeunes soient renvoyés soit à la simple imitation reproduction soit à l’expérimentation risquée de la vie pour se construire. Or le pilier principal du lieu scolaire c’est l’interaction et les ajustements cognitifs qu’elle rend possible, au-delà des techniques pédagogiques ou numériques… Pour le dire autrement, dans ce monde qui se numérise, le vivre ensemble ne suffit plus, il faut vraiment travailler le « faire société ».
Bruno Devauchelle