Peut-on injecter la créativité comme une compétence essentielle des apprentissages scolaires ? C’est la question posée par un numéro hors série de la revue suisse Formation et pratiques d’enseignement en questions piloté par Isabelle Capron Puozzo. Il donne des exemples de dispositifs pour développer cette compétence dans la formation des enseignants mais aussi en classe dans différentes disciplines.
De la formation des enseignants à la classe
« C’est en passant par la mise en oeuvre d’une pédagogie de la créativité, et ce dès la petite enfance jusqu’à la formation universitaire et continue, que l’on pourra promouvoir l’innovation pédagogique », explique Isabelle Capron Puozzo (HEP canton de Vaud). Oui mais comment faire ? Le numéro de Formation et pratiques d’enseignement en questions fait le tour des dispositifs utilisés dans les instituts de formation des enseignants suisses, généralement appelés Hautes écoles pédagogiques (HEP).
S Coppey Grange, Z Moody et F Darbellay (HEP Valais et CIDE) en donnent un bel exemple avec un dispositif de formation des maitres du primaire intégré au plan d’études romand. » La finalité de cet enseignement est de permettre aux enseignants en formation de concevoir des situations durant lesquelles l’apprentissage et la création sont interdépendants et de leur donner sens au travers d’une pédagogie de la créativité », expliquent-ils.
Ce programme identifie trois bases chez l’élève pour développer une pensée créatrice. Il s’agit d’abord de développer « la pensée divergente » c’est à dire la capacité à envisager un problème sous des angles différents. Un second appui c’est « reconnaitre sa part sensible » car » l’imagination est aussi centrale dans le mécanisme de cognition, puisqu’elle sert à « explorer le monde mentalement et à faire des expériences de pensée nécessaires pour faire des choix et résoudre des problèmes, élaborer des cultures complexes ». Enfin vient la concrétisation de l’inventivité c’est à dire l’activité créatrice combinatoire.
Des implications didactiques
L’étude dégage des implications didactiques de cette pédagogie de la créativité. Elle s’appuie sur des situations problèmes. » Liée à un obstacle clairement repérable ou défini, une situation-problème a du sens et suscite un questionnement chez l’élève. Par la rupture qu’elle provoque, elle l’amène à déconstruire un modèle initial et fait appel à des stratégies de métacognition ». Expérimentée en arts visuels et activités créatrices manuelles, un enseignement qui serait à mi chemin entre technologie et arts plastiques, le développement de la créativité passe ainsi par un cahier des charges qui définit un « contrat d’expression ». On trouvera dans la revue un autre dispositif toujours en activités créatrices et manuelles qui définit une méthode associant situation problème et objets intermédiaires.
Du coté formation, présentée par J Didier, N Perrin et K Vanini de Carlo (HEP Vaud et Université de Genève), l’apprentissage de la créativité peut passer par une Learning study, adaptation suisse des Lesson studies si prisées en Asie.
» La construction d’un enseignement orienté vers le développement de la créativité nécessite… la mise en évidence de situations d’enseignement où l’élève apprend à analyser, à anticiper et à résoudre des situations problèmes qui apparaissent lors de la conception et de la réalisation d’un objet technique.. En d’autres termes, enseigner la créativité, c’est donner la possibilité au sujet de s’émanciper par son savoir contextualisé ».
Pourquoi enseigner la créativité ?
Cela amène la question du pourquoi développer cet enseignement à la créativité ? Les auteurs pourraient mentionner l’évolution économique. O Maulini et Ting Li évoquent d’ailleurs la quête des pays asiatiques vers la créativité dans les systèmes éducatifs occidentaux. S Coppey Grange, Z Moody et F Darbellay donnent deux bons arguments pour cet enseignement.
D’abord son efficacité. » Sans entrer dans le débat sur l’efficacité d’une action pédagogique, c’est le caractère adapté de l’enseignement créatif qui nous intéresse ici, car il souligne la nécessité pour l’enseignant de faire lui-même l’expérience du processus créatif. Cremin (2009) écrit que « reconnaître et exercer sa propre créativité apparaît comme étant une part importante du système de signification professionnel et personnel des enseignants créatifs » (p. 43). Confronté à l’élaboration complexe de l’articulation des apprentissages avec le développement d’une fonction psychique associative ou combinatoire, l’enseignant doit se libérer de certaines contraintes didactiques et méthodologiques ».
Le second argument avancé par les auteurs c’est sa dimension éducatrice. » Oser sortir des chemins battus implique de cesser de se préoccuper de l’instruction des élèves uniquement pour se mettre à les éduquer tout en enseignant ». On mesure alors toutes les pesanteurs qui rendent cet enseignement à la créativité encore un objectif lointain…
F Jarraud
Le numéro de la revue Formation et pratiques d’enseignement en questions