« Recherches », Revue de didactique et de pédagogie du français, consacre son nouveau numéro à ce qui constitue pour tous les enseignants une mission, encore plus qu’une injonction : aider. Le riche dossier présente et analyse des pratiques variées, de l’école à l’université. Au moment où « l’accompagnement personnalisé », jusque là réservé aux élèves de sixième, est étendu à tous les élèves du collège, au moment où au lycée aussi on se lance dans une organisation délicate, parfois lourde et frustrante, du dispositif d’AP, le travail de la revue « Recherches » nous rappelle l’essentiel : aider, ce n’est pas externaliser et stigmatiser ; aider, c’est donner encore plus de sens aux apprentissages et favoriser une posture métacognitive. Et cela se joue au sein même de la classe, de l’école à l’université …
Par exemple, Michèle Lusetti analyse un travail mené par Emilie Martin avec des élèves de CP-CE1 autour d’un album, « L’heure des parents », qui aborde la diversité des configurations familiales (monoparentales, mixtes, recomposées, homoparentales ….) pour « rôder son rapport au monde et entrevoir des possibles humains ». A chaque double page, une question est posée : les personnages représentés constituent-ils une famille possible ? Les échanges, nourris, favorisent le développement de compétences argumentatives et linguistiques. Les enfants « se sont engagés dans une lecture impliquée reposant sur l’identification avec le personnage principal et des références à leur vie quotidienne, leurs expériences du monde et leurs valeurs ». C’est à partir de ces lectures subjectives, essentielles, que devient possible la distanciation, en l’occurrence ici le recul critique par rapport à des représentations stéréotypées du monde, voire même par rapport à une certaine homophobie. Alors, comment aider à lire ? Pour Michèle Lusetti, « toute lecture qui ne donnerait pas sens à la littérature comme moyen d’interroger son rapport au monde, aux autres et à soi-même, serait assez vaine. »
Par exemple encore, pour Olivier Markwitz, professeur au collège Jules Verne à Grande-Synthe dans le Nord, l’aide doit clairement prendre place en cours de tâche, et non a posteriori. Il présente des dispositifs concrets pour aider à entrer dans un texte ou dans l’univers d’un récit, pour intégrer à une situation de communication authentique l’appropriation d’une notion grammaticale, pour favoriser la réussite des élèves au brevet blanc par des fiches d’explicitation ou même par la présence dans le couloir d’un professeur répondant aux questions et levant certaines ambiguïtés possibles des consignes. « Aider, pour Olivier Markwitz, c’est créer des passerelles entre les élèves et les objets d’apprentissage en impliquant les individus autant que les élèves, en posant un problème qui interroge ces individus. »
Par exemple enfin, à l’université de Grenoble, Catherine Frier, Isabelle Estève et Alain Chartier tentent de se confronter aux difficultés rencontrées par les étudiants pour aborder des textes de spécialistes ou rédiger des écrits académiques. L’objectif est de développer des compétences en littéracie pour permettre l’apprentissage du « métier d’étudiant ». Cela suppose de « favoriser la subjectivation des savoirs savants », car « la pensée scientifique (abstraction, distanciation, réflexivité), l’imagination (pensée métaphorique, rêverie, fiction) et l’expérience (versant matériel et sensuel de l’activité d’écriture, expérience individuelle de la réalité) ne sont jamais séparées, mais fonctionnent au contraire en interaction permanente dans le processus d’élaboration des connaissances ». On découvrira avec intérêt les différentes étapes du dispositif expérimenté : lectures, analyses, constitution d’un dossier documentaire, réalisation d’un poster synthétique et, au final, écriture d’une fiction scientifique. Le travail accorde une grande place tout à la fois à l’autonomie et à la coopération. L’atelier d’écriture permet à l’étudiant de « retrouver une légitimité de scripteur ». Ce qui s’y joue, c’est à la fois « une appropriation dynamique du savoir scientifique » et « l’émergence d’un positionnement scientifique ».
Jean-Michel Le Baut